Paris (AFP) – Sa réapparition en France en 2009 après 133 ans d’absence avait relevé d’un petit miracle. Mais depuis 2019, la Déesse précieuse, une libellule rare et menacée, n’a plus donné signe de vie, laissant craindre une nouvelle disparition, qui cette fois pourrait être définitive en raison du changement climatique et de la dégradation des zones humides.
Quatre ans déjà que sa silhouette gracile, verte métallisée et tachetée de marques bleues, n’a plus été aperçue dans les tourbières du Jura, unique site où elle était présente en France, avec une petite dizaine d’individus recensés.
En 2019, la sécheresse touche la France « au point qu’est réduit à néant le point d’eau qui abrite l’insecte. Sans surprise, aucune émergence, aucun image ne sont observés cette année-là », indiquait fin décembre le naturaliste François Dehondt, à l’origine de la redécouverte de la demoiselle, dans une tribune dans Le Monde.
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La tendance se poursuit en 2020, puis en 2021 alors que l’eau revient pourtant dans la tourbière. Et en 2022, année la plus chaude et l’une des plus sèches jamais observés en France, toujours aucune trace de la Déesse.
Disparition présumée
Alors perdue de vue ou totalement disparue?
« Le plus probable est que sa redécouverte n’ait été qu’une phase de rémission dans une grave maladie dont souffre notre biodiversité: l’effondrement », estime, dépité, M. Dehondt.
L’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE), en charge de la surveillance de l’espèce évoque, lui, pour l’instant une « disparition supposée ».
Mais « vu l’état de dégradation du milieu et la sécheresse qu’on connaît depuis des années, c’est vraiment très compromis », estime auprès de l’AFP Xavier Houard, coordinateur du pôle Etudes entomologiques & Conservation de l’OPIE.
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« Les voyants sont au rouge. Toutefois il n’est pas encore possible d’être totalement affirmatif », ajoute-il, précisant qu' »on ose parler de +disparition avérée+ qu’après 25 ans de +non-observation+ sur la base d’un suivi fin et spécifique ».
D’autant plus que « pendant 120 ans, l’espèce a déjà démontré sa capacité à passer sous les radars des observateurs… », rappelle M. Houard.
En 2009, la communauté scientifique avait qualifié la réapparition de cette libellule, la plus petite d’Europe (24 à 26 millimètres de longueur), de « scoop entomologique ». La dernière fois que l’on avait pu la voir dans nos contrées remontait à 1876!
Discrète et souvent dissimulée dans les laiches (petites plantes à feuilles coupantes) des milieux tourbeux, Nehalennia speciosa de son nom latin vole peu et assez mal, et il faut souvent secouer la végétation pour la débusquer.
Elle fait partie des 11 espèces menacées de libellules françaises sur les 89 recensées dans le pays.
Classée sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – comme 16% des libellules – avec le statut de « vulnérable » au niveau mondial, elle est en « danger critique d’extinction » en France.
Zones humides en danger
Principales menaces pour elle: le réchauffement climatique, la destruction de son habitat naturel, la pollution et les pesticides.
Comme les autres libellules, la Déesse précieuse est « un formidable indicateur pour témoigner de l’état de santé des zones humides » et sa disparition probable « est un peu un signal d’alarme », souligne M. Houard.
« Ces écosystèmes disparaissent trois fois plus vite que les forêts », prévenait fin 2021 le directeur général de l’UICN, Bruno Oberle.
Depuis 1900, on estime que 64% des zones humides dans le monde -lacs, rivières, marais, lagunes, tourbières – ont disparu, dont 35% ces 50 dernières années, selon un rapport de la Convention de Ramsar. Plus d’un quart des espèces qui y vivent sont en danger d’extinction.
Ces zones jouent un rôle essentiel pour l’environnement: refuge de biodiversité, elles stockent environ 25% du carbone de la planète et jouent le rôle de réservoir d’eau. Mais les menaces qui les entourent sont nombreuses: l’urbanisation, l’intensification de l’agriculture, les drainages, la sécheresse…
« Il est urgent de restaurer les zones humides! » martèleront donc ce jeudi les participants à la journée mondiale des zones humides. L’ONU vise la restauration de 50% des tourbières détruites d’ici 2030.
© AFP
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