Il a fallu plusieurs années à Jean-Albert Lièvre pour enfin réaliser son film Gardiennes de la Planète, qui sort en salle le mercredi 22 février. Ce long-métrage cherche à présenter les baleines sous un nouveau jour en faisant la part belle à la sensibilité grâce à d’époustouflantes images et à la voix de l’acteur Jean Dujardin. Entretien avec Jean-Albert Lièvre tant pour parler du film Gardiennes de la Planète que du rapport au Vivant.
Comment est né le film Gardiennes de la Planète, qui n’est pas totalement un documentaire ni à proprement parler une fiction ?
J’avais depuis longtemps envie de faire ce film. Tout a commencé par ma rencontre avec une baleine à bosse sur un tournage difficile pour une émission de télévision. Nous étions sur un récif corallien au large des îles Turks-et-Caïcos dans les Caraïbes et on n’arrivait pas à les approcher. Je suis donc resté quelques jours de plus pour filmer des images complémentaires de baleines à bosse.
À un moment, l’eau s’est troublée. J’ai cru avoir malaise mais, en fait, c’était une baleine qui est apparue super près de moi. Elle a tourné autour de moi et il y a alors eu un échange de regard. J’ai ressenti une telle émotion que j’en ai rêvé pendant des jours. C’est pourquoi j’ai souhaité faire ce film, afin de partager ce regard et l’émotion, complétement dingue, qu’il a suscitée en moi.
« Une fresque sur l’univers des baleines dont l’ambition est de faire comprendre que l’humanité n’est pas la seule société intelligente sur cette planète »
Cela a pris du temps. Puis, un jour, je suis tombé sur poème d’Heatcote Williams sur les cétacés. Il m’a donné le déclic et l’inspiration. J’ai compris que je devais concevoir un film poétique afin d’émouvoir grâce à la beauté. Gardiennes de la Planète constitue donc à sa manière l’adaptation d’un poème écrit dans les années 1980. Je propose une fresque sur l’univers des baleines dont l’ambition est de faire comprendre que l’humanité n’est pas la seule société intelligente sur cette planète.
Sur un plan plus personnel, vous racontez la rencontre avec une baleine à bosse à Silver Bank, (un fond corallien au large des îles Turks-et-Caïcos), qu’est-ce que cet épisode a changé à votre vie ? Et au regard que vous portez sur le vivant ?
L’expérience que j’ai vécue m’a remué. Quand on croise le regard d’une baleine, on a l’impression d’être observé par une intelligence. Il y a une observation, un échange et une connexion.
En quoi cette expérience vous a guidé dans l’élaboration du film ?
J’ai voulu retranscrire cet échange sur grand écran afin d’offrir aux spectateurs une émotion à vivre au cinéma. Le cinéma permet de montrer des baleines en taille réelle et d’immerger le spectateur grâce au son qui vient de partout comme s’il était sous l’eau. Je veux que le spectateur soit observé par les baleines autant qu’il les observe.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné chez les baleines ?
J’ai été très surpris par la curiosité dont les baleines font preuve. Quand elles décident de s’approcher de vous, elles viennent au contact. De plus, en dépit de leur allure imposante, elles montrent de la tendresse. Elles dégagent une forme de douceur et de sérénité lorsqu’elles évoluent sous l’eau. Elles sont très agréables à regarder.
Et, puisque le film insiste sur leur sensibilité, qu’est-ce qui vous a le plus ému chez elles ?
Les échanges qu’elles ont entre elles. Les baleines échangent de la tendresse, des caresses, cela se voit entre elles et aussi dans les rapports mères-petits. Quand on les observe hors de l’eau, cela peut sembler violent puisque c’est un choc, un coup de queue qui éclabousse. Mais, quand on les regarde évoluer sous l’eau, les baleines font preuve de grâce. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis permis d’inverser certains plans pour renoncer cette impression de suspension Les baleines n’ont pas de haut ou de bas, elles se retournent en permanence.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous aller à la rencontre du vivant ?
C’est avant tout se reconnecter avec le monde du vivant et savoir qu’on en fait partie, comme les plantes, les éléphants, les abeilles et les baleines. Le Vivant, c’est la Terre et ce qui lui confère cette particularité unique dans le système solaire : avoir une planète qui vit. Dans la lignée de la pensée de James Lovelock avec son hypothèse Gaia, j’estime que la Terre est un être vivant à part entière qui s’autorégule lui-même par l’ensemble des êtres vivants à sa surface. Nous ne sommes qu’un animal parmi tant d’autres.
Que voulez-vous que les spectateurs retiennent du film Les Gardiennes de la Planète ?
Je veux que les gens ressortent du film en se disant que cette planète est partagée par d’autres sociétés intelligentes que les sociétés humaines. J’aimerais aussi qu’ils prennent conscience de l’existence d’autres formes d’intelligence. L’humanité utilise la sienne pour tenter de maîtriser son environnement pour l’adapter à ses besoins tandis que la société des baleines a utilisé son intelligence afin de vivre en harmonie avec son environnement sous l’océan.
« La société des baleines a utilisé son intelligence afin de vivre en harmonie avec son environnement sous l’océan »
Les baleines disposent d’une expérience plus grande que nous de la planète. D’une part, elles vivent sur un territoire trois fois plus grand que le nôtre, les fonds marins, que, d’autre part, nous connaissons mal. Et elles étaient là bien avant nous.
Le film appelle à une coopération entre les espèces pour préserver la planète. Pensez-vous qu’il soit possible qu’à la fin du siècle l’humanité se voit réconcilier avec le Vivant et que ce dernier se reconstitue ? comment ?
Je pense que la société humaine est à l’adolescence de son évolution. Comme tous les ados, elle a fait des erreurs, cependant elle va apprendre, mûrir et trouver la bonne voie. L’humanité est confrontée à des problèmes, elle trouve des solutions, celles-ci peuvent également par la suite devenir des problèmes qui nécessitent de trouver de nouvelles solutions. Par exemple, la voiture était vue dans les villes comme une avancée, plus propre que les charrettes à cheval et leur purin… mais c’est aujourd’hui un problème qu’on tente de résoudre par l’électrification, la mobilité douce et les transports collectifs. Le plastique était vu comme un progrès pour préserver les ressources naturelles, aujourd’hui sa prolifération est devenue un vrai fléau qui menace les océans. Il faut l’interdire. On croit donc faire des progrès alors qu’en fait on commet une erreur, on revient donc en arrière.
Je pense que nous devons tous réaliser que nous sommes tous interconnectés. Ce n’est pas l’Homme d’un côté et la Nature de l’autre, les deux forment un ensemble. Il faut que l’Homme cesse de se dissocier du Vivant puisque tout contribue à l’équilibre du climat. Je pense que cette prise de conscience vient, je suis un optimiste.
Quel serait selon vous l’action la plus importante à réaliser en faveur du vivant ?
Il faut prendre un ensemble de mesures sur du long terme au niveau international. Les mesures ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre car sur terre on a des frontières, or on a besoin d’une gouvernance mondiale. Les baleines ou les éléphants ne connaissent pas les frontières. Surtout, on ne devrait pas craindre de prendre des décisions aujourd’hui dont le résultat sera visible que dans 3 ou 4 générations.
« On ne devrait pas craindre de prendre des décisions aujourd’hui dont le résultat sera visible que dans 3 ou 4 générations. »
Quelle contribution a apporté Jean Dujardin au film ? pourquoi lui ?
Jean Dujardin a accepté après avoir vu le film dans une version où je faisais le commentaire. Il a été intéressé et touché par ce qu’il apprenait. Auparavant, il avait déjà nagé avec des cachalots, l’expérience l’avait émue. La voix de Jean Dujardin est droite et sobre, elle apporte une émotion en plus. Il ne s’agit ni d’un commentaire lu, ni d’un commentaire joué. De surcroît la popularité de Jean Dujardin confère aux Gardiennes de la Planète une plus grande visibilité.
Auriez-vous un dernier mot ?
Je souhaite que le public ressente ce que j’ai senti au contact des baleines. Je veux que cette émotion passe pour ceux qui n’ont pas la chance d’aller les voir et que cela les sensibilise à la nécessité de préserver le Vivant.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Balendard
Merci à GoodPlznet pour ce coup de pouce vers le vivant