Siem Reap (Cambodge) (AFP) – Sur une toile blanche, Chan Vichet peint l’une des célèbres sculptures des temples d’Angkor représentant le dieu hindou Shiva, sans lever l’oeil vers les soldats cambodgiens qui chargent sur un camion les débris de la maison détruite d’un voisin.
Le peintre habite et travaille à 500 mètres des célèbres ruines classées au patrimoine mondial de l’Unesco, d’où il tire son inspiration pour les oeuvres qu’il vend aux touristes.
Bientôt, ce peintre devra quitter, à contre-coeur, le bout de terrain qu’il occupe depuis sept ans, comme les 10.000 autres familles qui seront expulsées du site archéologique par le gouvernement cambodgien.
Quelque 120.000 personnes habitaient en 2013 les 400 km2 de la zone protégée, soit six fois plus que vingt ans plus tôt.
Cette expansion de la population locale, parallèle à celle du tourisme, menace l’intégrité du site, de part les déchets générés, ou l’usage excessif de l’eau, ont assuré les autorités locales.
[À lire aussi Cambodge: autour d’Angkor, le fragile retour des espèces sauvages menacées]
Celles-ci comptent ainsi reboiser les espaces précédemment occupés par des maisons de fortune, sans Leau courante ni tout-à-l’égout, et parfois privées d’électricité.
Leur programme de relogement ne concerne pas les populations installées depuis des générations, et repose sur la base du volontariat, ont-elles insisté, en espérant avoir terminé d’ici juin.
« Depuis que j’ai entendu parler du plan de relogement, je me sens engourdi », explique Chan Vichet, âgé de 48 ans.
« Je me force pour faire vivre ma famille, mais je n’ai plus toute ma concentration, ni ma créativité », déplore le peintre.
Une fois sa maison démolie, il déménagera avec sa famille à Run Ta Ek, à 25 kilomètres d’Angkor. Loin des parcours empruntés par les touristes, s’inquiète l’artiste qui craint pour son gagne-pain.
Là-bas, des engins de terrassement s’activent sur les terres autrefois dédiées à la culture du riz, pour mettre en oeuvre les promesses des autorités: une école, une clinique, un marché couvert, une pagode…
Les nouveaux résidents reçoivent un droit de propriété sur un lopin de 20 mètres sur 30, 350 dollars, une carte de santé et de la tôle pour le toit de leur future maison qu’ils doivent bâtir.
Heav Vanak, 51 ans, qui a perdu une jambe à cause d’une mine, regarde son petit-fils jouer dans la poussière, sous la bâche d’un site en construction.
« Je n’ai pas assez d’argent pour acheter les matériaux nécessaires à la construction de ma nouvelle maison », explique-t-il.
« Nous sommes impuissants. Comment pouvons-nous protester? », souffle-t-il.
« C’est un endroit vivable », se défend Long Kosai, le porte-parole de l’organisme public gérant le site (Apsara).
Les familles sont « heureuses de déménager », insiste-t-il, rappelant les perspectives d’emploi permises par l’ouverture prévue en octobre d’un nouvel aéroport international à Siem Reap, la grande ville qui jouxte Angkor.
Imbroglio avec l’Unesco
Les célèbres temples d’Angkor, qui accueillaient plus de deux millions de visiteurs étrangers en 2019, se préparent au retour en force des touristes, avec la fin des restrictions de voyage liées au Covid-19.
Si le site n’est pas bien protégé, « dans le futur, notre Angkor Wat sera retiré de la liste du patrimoine mondial », auquel il figure depuis 1992, avait prévenu en septembre le Premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis près de quarante ans.
Mais l’Unesco, qui s’était inquiétée en 2008 des risques liés au développement urbain, n’a jamais appelé au déplacement de populations locales, s’est défendue l’organisation dans un communiqué à l’AFP.
Cette question sensible s’est posée ailleurs, comme à Pétra en Jordanie, ou à Louxor en Egypte.
Selon les orientations de l’Unesco, les relogements doivent être conduits avec le consentement des personnes concernées, et les communautés locales doivent être les premières bénéficiaires du tourisme.
A Run Ta Ek, les nouveaux résidents ne sont pas les seuls à se dire malheureux.
Ceux installés de longue date se plaignent des terrains alloués aux relogés, qui ne peuvent plus être utilisés pour leur subsistance.
« Avant, nous faisions pousser du riz et gagnions assez pour notre famille. Maintenant, nous ne pouvons qu’élever des poulets et des canards, et ça ne rapporte pas assez. J’ai aussi un crédit à la banque », souffle Horn Ravuth, 41 ans, habitant de troisième génération.
© AFP
Ecrire un commentaire