Beyrouth (AFP) – Depuis sa voiture dans la banlieue de Beyrouth, Renata Rahmé remet au guichet d’un centre de tri ses vieux appareils électroménagers en échange d’une rétribution, une initiative privée inspirée des chaînes de restauration rapide américaines pour inciter au recyclage.
« La première fois que je suis venue, je ne savais pas qu’il fallait faire du tri en séparant tous les éléments, le métal d’un côté, le papier de l’autre », confie cette productrice de films de 47 ans, qui a récemment découvert cette pratique écologique.
Une nouvelle habitude également adoptée par Rony Nachef, 38 ans, qui juge le recyclage « idéal pour régler le problème des déchets au Liban ».
Dans ce pays en plein effondrement économique, où le recyclage demeure principalement l’apanage d’initiatives privées, Pierre Baaklini a lancé en juin 2022 « le premier drive-throw du monde » avec son entreprise Lebanon Waste Management (LWM), selon lui.
Le succès du concept, contraction de « drive-through » (service au volant) et du verbe « to throw » (jeter, en anglais), a permis à cet entrepreneur dynamique de 32 ans d’en ouvrir un deuxième lieu de recyclage en février dans le quartier arménien de Bourj Hammoud, connu pour abriter une des plus grosses décharges de Beyrouth.
« Avant, le gouvernement s’occupait de ramasser les déchets, mais aujourd’hui il est en faillite et n’a plus les moyens d’assurer la logistique », déplore cet ancien agent immobilier.
Les automobilistes défilent dans ce centre de recyclage de LWM, apportant bouteilles en plastique, carton, métal et matériel informatique… Les déchets sont pesés puis triés. Un kilo de carton s’échange contre 2.000 livres libanaises (0,02 euro), tandis que le kilo de canettes en aluminium atteint 50.000 livres libanaises (0,54 euro).
Sensibilisation
Depuis l’ouverture du premier centre, 450 tonnes de déchets ont ainsi été récupérées.
« Nous avons également une usine de recyclage qui nous permet de revendre ensuite les matières transformées à différentes entreprises », explique M. Baaklini.
Dans les allées où pendent des lianes de câbles électriques, Bourj Hammoud a vu le nombre de collecteurs de déchets se multiplier.
Beaucoup d’entre eux sont des réfugiés syriens, souvent mineurs, qui s’affairent sur les monticules de poubelles jetés en pleine rue et sur les bennes à ordures à la recherche du moindre déchet revendable.
Dans son centre, Pierre Baaklini dit accueillir plutôt une « clientèle aisée et sensible aux thématiques écologiques », mais souhaite à terme inclure ces collecteurs dans un système de collecte des déchets organisé avec la municipalité.
Au Liban, où la population reste encore peu sensibilisée au recyclage, son concept a aussi « un objectif éducatif », insiste-t-il, ajoutant qu’il accueille régulièrement des groupes scolaires lors de journées de sensibilisation.
Négligence
Le recyclage est apparu au Liban dans les années 1960 mais « les autorités l’ont toujours négligé », affirme Ziad Abichaker, fondateur de Cedar Environmental, une organisation qui développe des projets écologiques « zéro déchets ».
Avec les collecteurs de déchets, le taux de recyclage a augmenté mais « d’un autre côté, 90% des usines de tri construites avec l’argent de donateurs internationaux ces dernières années ont complètement arrêté de fonctionner », en raison de la corruption et de défauts de construction, explique-t-il.
Il n’existe pas de données précises sur le taux de recyclage au Liban mais « sur les 5.000 tonnes de déchets journaliers, environ 10% sont recyclées », estime l’ingénieur spécialisé dans les questions environnementales.
La destruction de deux centres de tri lors de l’explosion meurtrière survenue en août 2020 au port de Beyrouth n’a fait qu’aggraver le problème d’une gestion des déchets reléguée au second plan par les autorités.
L’incompétence et la corruption avaient déjà provoqué une crise spectaculaire des déchets en 2015, lorsque des montagnes d’ordures se sont déversées dans les rues et dans la mer, alimentant la colère de la population.
Selon Ziad Abichaker, un plan national de gestion des déchets est à l’étude par les autorités depuis plusieurs années. Mais vu la paralysie politique dans le pays, « tout finit dans l’impasse en ce moment et il n’y a pas de progrès sur le sujet ».
© AFP
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