Les méduses sont souvent la bête noire des baigneurs en été. Personne n’a vraiment envie de les rencontrer et les récents échouages massifs de ces dernières sur les côtes les ont remis dans l’actualité. Elvire Amajan, spécialiste du zooplancton et directrice de la station de recherche de l’IFREMER d’Arcachon nous en dit plus sur les méduses. Il faut apprendre à voir autrement, que par le prisme de la nuisance ou la mésaventure de vacances, les méduses. Il existe une vingtaine de grandes espèces de méduses sur le littoral de la France métropolitaine. Dans cet interview de notre série À la rencontre du vivant, Elvire Amajan aide à porter un autre regard sur les méduses.
Les méduses sont souvent mal-aimées et mal connues, pouvez-vous expliquer leur rôle dans les écosystèmes marins ?
Les méduses sont des organismes planctoniques, elles font partie du plancton animale. Le plancton ne se définit pas par la taille, mais par le fait de ne pas disposer de capacités suffisantes de nage pour lutter contre les courants ou éviter des obstacles. Le plancton, et donc les méduses, sont des animaux errants, c’est-à-dire transportés par les courants. En revanche, les méduses peuvent effectuer des migrations verticales assez rapides sur plusieurs dizaines voire centaines de mètres, ce qui leur permet de se protéger de certains courants. Elles restent cependant très tributaires de la direction des masses d’eau et du vent qui influence la couche de surface des océans.
« Les cnidocystes libèrent un venin qui permet aux méduses de pêcher leurs proies. »
Quelle place ont les méduses dans la chaîne alimentaire ?
Les méduses se nourrissent d’organismes plus petits présents dans le plancton comme les copépodes, de minuscules crustacés, d’œufs et de jeunes larves de poissons. De nombreux poissons mangent également les méduses. À une époque, elles étaient vues comme un cul-de-sac dans la chaîne trophique. On a longtemps pensé que seuls les thons, les poisson-lune, les tortues luths et quelques grands mammifères comme les dauphins et les cétacés mangeaient des méduses. Des études plus récentes indiquent qu’une centaine de poissons différents mangent les méduses.
« Il y a une vingtaine d’espèces de grosses »
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D’ailleurs, ces corps gélatineux possèdent une longue histoire dans l’évolution. En des termes simples, qu’est-ce qu’une méduse ? Qu’est-ce qui les distingue des autres espèces marines ?
Parce qu’elles sont composées à plus de 96 % d’eau, les méduses sont des corps gélatineux. Leur particularité est d’être dotée de cellules urticantes nommées cnidocystes. Les cnidocystes libèrent un venin qui permet aux méduses de pêcher leurs proies.
Combien d’espèces de méduses y a-t-il le long des côtes françaises ?
Il y a une vingtaine d’espèces de grosses méduses, les plus connues du grand public. Ensuite, il existe aussi de nombreuses autres espèces plus petites, de moins de 3 centimètres, qui, bien que toutes ne le soient pas pour l’homme, demeurent urticantes.
Ce mécanisme est responsables des piqures tant redoutées par les êtres humains. Sont-elles dangereuses pour l’humain ?
Ce mécanisme, qui ne sert qu’à la pêche ou la défense se révèle très efficace, d’autant que les méduses peuvent produire à volonté des cellules urticantes. Contrairement à une abeille, si une méduse vous pique une fois, elle peut encore ensuite vous piquez plein de fois puisque la méduse régénère en permanence ses cnidocystes.
« La méduse régénère en permanence ses cnidocystes. »
L’homme est plus ou moins sensible au venin libéré par les méduses, cela est fonction de l’espèce. Sur les côtes françaises, on trouve des méduses extrêmement urticantes comme la méduse pélagique (Pelagia noctiluca) en Méditerranée et la méduse barque portugaise (Physalia physalis). Les rencontrer peut se montrer douloureux voire dangereux.
D’autres espèces sont moins urticantes, d’un niveau proche de l’ortie, comme la méduse boussole (Chrysaora hysoscella).
La prolifération des mésuses inquiète. Elle est souvent présentée comme une conséquence du réchauffement climatique, mais ne serait-ce pas aussi le symptôme d’autres problèmes environnementaux, lesquels ?
Tout d’abord, il faut comprendre que les méduses sont des organismes disposant d’une grande plasticité. Elles s’adaptent donc très bien à de grandes variations de températures. La méduse pélagique, par exemple, est une espèce qui vit beaucoup en profondeur à des températures autour d’une douzaine de degrés Celsius en Méditerranée, elle remontre à la surface à des températures supérieures à 25°C dans la journée. La grande capacité des méduses fait qu’elles supportent très bien les milieux peu oxygénés. Enfin, elles ne sont pas gênées par l’augmentation de l’acidité des océans puisqu’elles n’ont pas de carapace.
« Les méduses sont des organismes disposant d’une grande plasticité. »
Par ailleurs, les méduses peuvent profiter de la surpêche pour proliférer. Toutefois, à date, on manque d’études sur les méduses pour être catégorique sur ce point-là. L’exemple de la Namibie semble toutefois permettre aller dans le sens de cette hypothèse. Au large, la surpêche a réduit les populations de poissons de petit pélagique comme les sardines et les anchois. Les méduses ont alors proliféré, tandis qu’en Afrique du Sud voisine, où la pêche est mieux réglementée, le phénomène n’a pas été observé. Les méduses sont à la fois des compétiteurs et des prédateurs des poissons. La surpêche, surtout sur le petit pélagique, enlève un concurrent aux méduses sur le zooplancton.
« L’augmentation des infrastructures comme les ports, les ponts, les parcs éoliens avec des supports type béton favorise la reproduction des méduses parce qu’ils peuvent être colonisés par des polypes de méduse. »
Enfin, beaucoup d’espèces de méduses, dans leur cycle de reproductions ont une phase polype qui requiert un support solide pour sa croissance. L’augmentation des infrastructures comme les ports, les ponts, les parcs éoliens avec des supports type béton favorise la reproduction des méduses parce qu’ils peuvent être colonisés par des polypes de méduse.
Quelle idée reçue sur les méduses voudriez-vous battre en brèche ?
L’idée que les gens se font des méduses est généralement assez juste. Néanmoins, il subsiste de nombreuses idées farfelues sur les gestes à adopter en cas de piqûre. Il ne faut pas se rincer à l’eau douce, ni uriner sur la piqûre, ce qui risquerait de l’infecter. Les bons gestes sont de sortir de l’eau, de se rincer à l’eau de mer, l’urine n’a aucun effet sur le venin des méduses. Il existe aussi si nécessaire, en pharmacie, des pommades. Si la douleur persiste, il faut aller consulter un professionnel de santé.
« Il subsiste de nombreuses idées farfelues sur les gestes à adopter en cas de piqûre »
Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui vont en voir et en croiser cet été ?
Je tiens à rappeler qu’on ne peut que vivre avec les méduses, ce sont des organismes vivants qui vivent dans leur milieu. C’est toujours impactant quand elles touchent nos côtes, mais c’est l’affaire de quelques jours avant qu’elles ne repartent au large.
« On ne peut que vivre avec les méduses, ce sont des organismes vivants qui vivent dans leur milieu. »
Si vous en voyez, sortez de l’eau et signalez-les au poste de secours. Il peut être bien pour la sécurité de tous de fermer temporairement les plages si certaines espèces de méduses sont présentes en trop grand nombre. Les méduses échouées sur la plage restent urticantes, il faut donc ne pas les toucher ni laisser les enfants jouer avec.
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Comment expliquez-vous les échouages récents recensés ?
Cette année, on a eu beaucoup d’échouages signalés par les personnes qui fréquentent les plages. Beaucoup ont eu l’impression de ne jamais avoir vu ça avant. Les méduses sont pourtant présentes toute l’année au large. Après, leur arrivée sur les plages dépend de la direction du vent et des courants qu’elles suivent. Cette année, la température de l’eau est vite montée, il est probable que les méduses aient suivi des courants chauds le long de nos côtes. Elles ont été ramenées sur les plages où elles se sont échouées massivement à la faveur de vents d’Ouest à ce moment-là.
« Les méduses sont pourtant présentes toute l’année au large. »
Pensez-vous que le fait que les méduses soient si différentes de nous, mammifère terrestre, explique en partie la répulsion qu’elles suscitent ?
Le fait que la méduse pique et fasse mal n’incite pas les gens à avoir une attirance pour elle. Quand elles se trouvent hors de l’eau, les méduses sont vraiment très moches, mais dans l’eau, les méduses sont merveilleuses à voir. Les choses changent puisqu’on voit fleurir des aquariums de méduses un peu partout, dans les musées d’océanographie et même chez les particuliers. Dans l’eau, la méduse reste un animal avec des couleurs et des formes attrayantes. De plus, certaines ont des capacités bioluminescentes. La méduse se montre fascinante.
Quand elles se trouvent hors de l’eau, les méduses sont vraiment très moches, mais dans l’eau, les méduses sont merveilleuses à voir.
Avez-vous un dernier mot ?
Il ne faut pas voir les méduses sous le seul prisme de la nuisance. Le fait qu’il y en ait plus devrait nous inciter à nous y intéresser davantage. Elles ont peut-être d’autres choses à nous apporter. Au Japon, elles sont rentrées dans la consommation humaine, ce qui peut être une réponse à leur forte prolifération. Il faudrait réfléchir à la manière de les valoriser culinairement, en les préparant en salade ou en bâtonnets sucrés. Les méduses sont aussi utiles dans la recherche biomédicale. De nombreuses études s’intéressent au collagène contenu dans les méduses car il permet la régénération des cellules antibactériennes et antioxydantes. Ce qui ouvre des perspectives médicales pour aider lors des greffes d’organes.
« Au Japon, elles sont rentrées dans la consommation humaine, ce qui peut être une réponse à leur forte prolifération »
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Je pense que la méduse est un sujet d’avenir pour les chercheurs et qu’on regardera moins les méduses comme des petites bêtes qui nous embêtent mais comme quelque chose d’intéressant pour l’homme à d’autres titres.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Pour aller plus loin
Le site Internet de l’IFREMER
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