Privés de néonicotinoïdes, les betteraviers tâtonnent à la recherche d’alternatives

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La récolte de betteraves à Pont-du-Château, en Auvergne, Puy-de-Dôme, le 7 novembre 2019 © AFP Thierry Zoccolan

Laon (AFP) – « Faire des betteraves, qu’est-ce que c’était simple avant ! ». Agriculteur à Comines (Nord), Jean-Paul Decherf navigue à vue cette année, entre l’interdiction des néonicotinoïdes, qui laisse les betteraviers sans solution face à la jaunisse, et la pression du changement climatique.

« Là, c’est bien vert », sans traces de jaunisse, constate ce sexagénaire devant ses 10 hectares de betteraves sucrières. Mais impossible pour lui de faire des pronostics sur la croissance des racines pour cet été.

Selon l’association Cultures sucre, les Hauts-de-France concentrent 12.000 planteurs, la moitié des betteraviers français, tandis que la France occupe le deuxième rang des producteurs mondiaux de sucre de betteraves, derrière la Russie.

Après une récolte 2020 ravagée par la jaunisse, une maladie transmise par les pucerons verts, Paris avait autorisé par dérogation l’usage des néonicotinoïdes sur les semences, passant outre l’interdiction par l’UE de ces insecticides accusés de décimer les abeilles.

Une décision fin janvier de la justice européenne a contraint le gouvernement à renoncer.

« Ce qu’on prône, c’est +pas d’interdiction sans solution+ », vitupère Guillaume Wullens, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) du Nord-Pas-de-Calais, qui estime que deux ou trois ans seront encore nécessaires pour trouver des variétés plus résistantes à la jaunisse.

Il s’agace aussi de voir décroître les surfaces semées alors que le prix du sucre a bondi de 82% en un an en Europe.

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 Solutions non chimiques

Cette année, faute de graines enrobées de néonicotinoïdes, Jean-Paul Decherf a pulvérisé un insecticide sur ses jeunes plants, après les avoir scrutés, à la recherche des minuscules pucerons.

Plus gourmands en main d’oeuvre, les insecticides autorisés sont également beaucoup moins efficaces que les néonicotinoïdes en cas de forte attaque de pucerons.

A l’Institut technique de la betterave (ITB) de Laon, on teste tous azimuts des solutions non chimiques pour remplacer les néonicotinoïdes, dans le cadre d’un plan bénéficiant de sept millions d’euros de financements publics, qui doit s’achever fin 2023.

Des centaines de milliers de pucerons sont élevés dans des serres hermétiques à 22 degrés, puis lancés à l’assaut de plants de betteraves, dans d’autres serres.

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Parmi les solutions testées: des produits de bio-contrôle tuant les pucerons, des plantes compagnes –comme l’avoine– dont la présence réduit celle des pucerons ou des bandes fleuries qui fixent les prédateurs.

Les techniques les plus prometteuses sont ensuite testées en plein champ, comme ce champignon qui se développe dans le puceron, l’huile de paraffine qui forme une barrière sur les feuilles ou encore un sucre liquide pulvérisé sur les insectes.

Puceron momifié

Hubert Compère, qui fait partie des betteraviers associés aux recherches de l’ITB, a subi en 2020 une baisse de rendements de 40%.

Une bande fleurie borde aujourd’hui sa parcelle, dans laquelle se sont développées, entre autres, des micro-guêpes, prédatrices des pucerons, qu’elles momifient en y pondant un oeuf.

« Par rapport à ce qu’ont connu nos parents, c’est le grand changement », explique-t-il, manifestant son « angoisse » chaque année face au risque de jaunisse.

Angoisse encore attisée par le réchauffement climatique: la douceur favorise le développement des pucerons et les étés très secs affectent les rendements –même sans jaunisse.

Or, l’été 2022, marqué par une sécheresse exceptionnelle et des températures caniculaires, pourrait devenir la norme au milieu du siècle, selon Météo-France.

« Le réchauffement climatique, c’est top pour les pucerons verts », sur lesquels « il n’y a pas eu de recherche pendant 30 ans », remarque le directeur du département expérimentation de l’ITB, Ghislain Malatesta.

Producteur bio à Arleux-en-Gohelle, Stéphane Delmotte voit lui la question des néonicotinoïdes comme « un épiphénomène dans un bouillon de recours massif aux engrais de synthèse, aux produits phytosanitaires » et à l’irrigation.

Pour lui, tant que les sucriers et les agriculteurs conventionnels viseront 100 tonnes à l’hectare –lui en produit 60– aucun changement en profondeur ne sera possible.

© AFP

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