La permaculture selon Charles Hervé-Gruyer de la ferme du Bec-Hellouin : « un métier passion basé sur l’engagement en faveur du vivant et des générations futures »

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Charles Herve-Gruyer sur sa ferme du Bec Hellouin en Normandie où il expérimente et perfectionne la permaculture © CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Charles Hervé-Gruyer est l’un des pionniers de la permaculture en France avec la ferme du Bec-Hellouin en Normandie. Charles Hervé-Gruyer et les personnes qui travaillent avec lui sur l’exploitation depuis des décennies s’efforcent de démontrer la viabilité d’autres modèles agricoles plus respectueux du vivant. C’est aussi un lieu de formation à la permaculture et à l’agriculture bio. Il dirige actuellement la collection d’ouvrages thématiques Résiliences aux éditions Ulmer pour permettre à chacune et chacun de trouver son chemin vers la résilience. Une vingtaine ont déjà été publiés aux éditions Ulmer. Dans cet entretien pour GoodPlanet Mag’, nous avons interrogé Charles Hervé-Gruyer sur son rapport au vivant et sur les difficultés du secteur du bio ainsi que celles du métier d’agriculteur paysan.

La permaculture : travailler avec le vivant

L’agriculture implique d’être en relation à la fois avec des végétaux et des animaux, qu’est-ce que cela vous apporte de travailler avec le vivant ?

Travailler avec le vivant est ce que j’adore dans mon métier. Pour moi, la vie est un miracle. Notre planète est un petit jardin dans les étoiles. Être jardinier ou jardinière, maraîcher ou maraîchère, paysan ou paysanne consiste à prendre soin de la seule planète vivante connue. Travailler la terre est donc un immense honneur et privilège. Je ne me lasse pas de ce métier qui offre une source sans cesse renouvelée d’émerveillement et de gratitude. 

« Être jardinier ou jardinière, maraîcher ou maraîchère, paysan ou paysanne consiste à prendre soin de la seule planète vivante connue. »

 Avez-vous le souvenir d’un moment marquant avec le vivant sur votre ferme ?

Je vis tous les jours des moments marquants à la ferme, ne serait-ce que lorsque j’emprunte le petit pont qui enjambe la rivière du Bec. Nous avons en effet renaturé notre portion de rivière, on peut y voir nager les truites et j’apprécie les jeux du soleil sur l’eau.

« J’essaye désormais de rentrer dans un rapport plus respectueux et intime avec chaque animal et chaque plante de la ferme. »

Je me souviens d’un moment vraiment marquant avec mon cheval de trait lorsque nous travaillions sur une parcelle très dure. Il faut au préalable savoir que j’ai eu l’occasion de côtoyer durant une quinzaine d’années des peuples amérindiens. Ceux-ci ont une relation spirituelle très forte avec la nature avec laquelle ils parlent. J’ai travaillé pendant 17 ans avec le même cheval de trait qui s’appelait Winik, ce qui est d’ailleurs un nom amérindien. Ce jour-là, donc, je marchais à côté de Winik en le guidant à l’aide de son licol quand le cheval s’est arrêté net au moment où l’outil qu’il tractait s’est pris dans une grosse racine. Je fais donc un pas en avant emporté par mon élan, je passe devant le cheval lorsqu’en une fraction de seconde j’ai entendu un message s’imprimer dans ma tête. Le message du cheval, pas avec des mots, disait : « tu peux compter sur moi, je vais donner le meilleur de moi-même ». Je me retourne pour voir le cheval se dresser sur ses pattes postérieures. Il se jette en avant dans son collier, il arrache l’outil et qui continue à avancer. Ce moment m’a vraiment frappé puisque rien ne laissait présager un tel message. Ce n’est pas une chose que j’avais prémédité. Je me suis alors dit que je pouvais rentrer dans une relation plus intime et subtile avec cet animal avec lequel je travaillais pourtant depuis des années.  Dès lors, notre relation a changé, il y avait moins de peur de part et d’autre et plus de confiance. J’essaye désormais de rentrer dans un rapport plus respectueux et intime avec chaque animal et chaque plante de la ferme.

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L’agriculture intensive s’est développée au détriment de la biodiversité, envisagez-vous la permaculture comme une forme de réconciliation entre les agriculteurs et le vivant ?

Absolument puisque la permaculture invite à prendre les écosystèmes naturels comme modèle et source d’inspiration. Au Bec-Hellouin, le fait de se passer de pétrole pour travailler à la main ou avec des animaux sur du maraîchage, nous a conduit à être dix fois plus productifs par unité de surface. Donc, on libère les 9/10 du territoire à production maraîchère égale à celle effectuée avec un tracteur. Disposer de 9/10 d’espaces supplémentaires permet de créer différentes niches écologiques comme des arbres, des haies, des mares, d’envisager d’autres types de culture ou de laisser vivre des animaux. En plus d’être des lieux d’accueil pour la biodiversité, elles forment un système complexe donc plus résilients.

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« Au Bec-Hellouin, le fait de se passer de pétrole pour travailler à la main ou avec des animaux sur du maraîchage, nous a conduit à être dix fois plus productifs par unité de surface. »

Des études sur la biodiversité de notre ferme ont montré le succès des mesures prises en faveur du vivant. Le naturaliste et écologue Gauthier Chapelle a identifié une soixantaine d’espèces d’oiseaux dont certaines rares et menacées tandis que le spécialiste des abeilles sauvages Nicolas Vereecken a recensé une quarantaine d’espèces d’abeilles sauvages. Ce territoire plus complexe se montre accueillant pour la biodiversité qui nous rend de nombreux services.

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Avez-vous des préconisations pour remettre de la biodiversité aux champs ? Qu’apporte-t-elle ?

La démarche repose sur la prévention. La biodiversité permet d’assurer aux fermes et aux jardins une bonne santé. Le fait d’avoir énormément de cultures et que tout soit mélangé favorise la santé des cultures. En outre, les études ont montré que plus un écosystème est stable plus il favorise les auxiliaires utiles, tandis que, au contraire, plus un écosystème ou un agrosystème est régulièrement perturbé, plus cela favorise les ravageurs des cultures. Ces derniers sont souvent des espèces plus petites, à maturité sexuelle précoce qui en se reproduisant rapidement entraînent des dynamiques de population explosives.

« Il y a des maladies ou des ravageurs qu’on avait avant qu’on n’observe même plus. »

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L’approche complexe et globale de la ferme du Bec-Hellouin fait que nous disposons de beaucoup d’abris pour les auxiliaires utiles, ce qui défavorise les ravageurs des cultures. Établir des niches écologiques différentes permet d’accueillir sur son exploitation une grande diversité d’auxiliaires utiles, qui ont aussi besoin d’avoir « le gîte et le couvert » toute l’année. C’est pourquoi avoir beaucoup d’espèces de plantes sauvages différentes comme des fleurs à butiner, des haies avec des baies, des tas de bois ou encore des pierres est bien. J’observe sur la ferme qu’on intervient de moins en moins. Il y a des maladies ou des ravageurs qu’on avait avant qu’on n’observe même plus. C’est le cas de la mouche de la carotte, de la mouche du poireau, la cloque du pêcher ou le mildiou des tomates. On n’a presque plus de pucerons ou de la piéride du chou alors qu’on voit les papillons voler. Il y a une sorte d’autorégulation qui s’opère.

 Les difficultés du métier d’agriculteur en font une vocation à réinventer

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Ferme du Bec Helloin – © Clément Tiers/Yann Arthus-Bertrand

 Le métier d’agriculteur est connu pour être difficile. Quel regard portez-vous sur cette affirmation ?

Être agriculture bio est un métier difficile qui se montre peu rémunérateur. Cela en fait un métier passion basé sur l’engagement en faveur du vivant et des générations futures. Hélas, notre société soutient tellement peu les agriculteurs. On ne se rend pas compte de ce qu’est ce travail, notamment le maraîchage bio. Le revenu mensuel moyen d’un maraîcher bio tourne autour de 850 euros nets pour une cinquantaine d’heures de travail hebdomadaire. Depuis 20 ans que j’exerce cette profession, je ne vois aucune évolution dans les mesures gouvernementales. Malgré de belles annonces du gouvernement, on n’en voit pas les effets. Il y a même ce paradoxe qui fait qu’un agriculteur conventionnel touche des aides pour réduire les pesticides alors qu’une personne établie en bio ne perçoit pas d’aides. 

« Un métier passion basé sur l’engagement en faveur du vivant et des générations futures. »

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À quelles difficultés faites-vous face dans votre métier ?

Même nous qui sommes une ferme reconnue faisons face à des difficultés. Il y a le risque d’épuisement. J’ai 65 ans et je passe 60 à 70 heures chaque semaine sur la ferme. C’est extrêmement difficile. Si je prenais maintenant ma retraite, je ne toucherais que 50 euros, et ce après avoir cotisé plus de 15 ans à la mutualité agricole. Le système apparaît profondément injuste et dégueulasse car on ne soutient pas l’agriculture vertueuse, on préfère réparer les conséquences des ravages de l’agriculture intensive, comme dépolluer les nappes phréatiques ou soigner les cancers, sans remettre en cause le modèle.

« On prend soin du climat, de la biodiversité, des sols et de l’eau tout en produisant des aliments de qualité sans pour autant recevoir de soutien des pouvoirs publics. »

La question du réchauffement climatique étant de plus en plus prégnante, il faudra aussi s’intéresser au rôle de l’agriculture. Des études montrent que les sols de la ferme du Bec-Hellouin stockent 26 fois plus de carbone organique que les objectifs du 4 pour 1000 de l’INRAE, nous ne sommes pas pour autant aidés. On prend soin du climat, de la biodiversité, des sols et de l’eau tout en produisant des aliments de qualité sans pour autant recevoir de soutien des pouvoirs publics. À cela s’ajoute une forme de désaveu du bio de la part des consommateurs en raison de la crise du pouvoir d’achat. Je regrette de voir de plus en plus de petits paysans et paysannes s’épuiser, perdre leurs économies, leurs couples et mettre la clef sous la porte. C’est tragique.

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Les derniers chiffres du bio en France montrent un ralentissement du marché et des conversions, comment les analysez-vous ?

Ces chiffres suscitent de l’anxiété car ils montrent que notre société n’est pas prête à opérer un grand switch, ni les pouvoirs publics, ni les citoyens et les citoyens. Et ce malgré les efforts entrepris dans ce sens par une multitudes d’acteurs engagés en faveur de la transition écologique. Les gens ne sont peut-être pas prêts à rogner sur leurs dépenses de numérique, mais en cas de perte de pouvoir d’achat ils tournent le dos à la bio. Sans l’État, sans les consommateurs, que reste-t-il pour soutenir les agriculteurs et agricultrices bio qui essayent quelque part de construire un futur meilleur et de sauver l’humanité et la planète.

« Derrière les chiffres, l’échec d’une ferme représente un drame profond et intime. »

 J’ai aussi énormément de peine pour ces jeunes qui s’installent et voient leurs rêves se briser. Les données technico-économiques ne disent rien de souffrance humaine vécue par les personnes. Derrière les chiffres, l’échec d’une ferme représente un drame profond et intime parce que ce sont des années de boulot, des années d’épargne et d’investissement. 

Que faudrait-il faire pour aider la filière ?

Au Bec-Hellouin, nous nous efforçons de démontrer l’efficacité et la rentabilité du maraîchage bio en permaculture. Le maraîchage et la forêt-jardin sont bénéfiques pour l’environnement tout en offrant à celles et ceux qui y travaillent un cadre et un paysage de travail bien plus agréable que celui proposé par la grande monoculture. Avec moins de charges, on se révèle plus rentable. On n’a pas le pouvoir de changer les politiques macro-économiques, nous travaillons donc à notre petit niveau afin d’améliorer les pratiques et les rendre plus rentables. Il faut donc arriver à partager des connaissances, convaincre du bien-fondé de développer de nouveaux modèles agricoles, notamment pour relever le défi du changement climatique.

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En dépit de tout ce que vous venez de dire précédemment, que diriez-vous à une personne désireuse de se lancer dans le travail de la terre tout en respectant le vivant ?

En toute franchise, dans le contexte actuel, je déconseille de devenir un professionnel de l’agriculture bio. Depuis 2008, au Bec-Hellouin, nous avons formé plus de 5000 personnes désireuses de changer le monde.  Je dis désormais aux centaines de personnes qu’on forme chaque année qu’elles seront peut-être plus efficaces et plus heureuses à créer une micro-ferme familiale ou communautaire qui sera un lieu de résilience face aux crises. Créer une micro-ferme, y travailler 3 à 4 jours par semaine et garder votre ancien métier 3 jours sur 5 pour assurer des rentrées régulières d’argent vous donnera plus de marges de manœuvre tout en vous permettant d’aider vos proches. Parce que pour se lancer à temps plein dans l’agriculture bio, je dis pourquoi pas, mais vu le contexte actuel, il faut avoir le cœur bien accroché et un moral d’acier. Faire de l’agriculture bio son métier principal laisse moins de latitudes pour innover et investir dans la résilience, car la survie et les fins de mois deviennent des priorités.

« En toute franchise, dans le contexte actuel, je déconseille de devenir un professionnel de l’agriculture bio. »

Je pense que c’est bien de créer une micro ferme tant que la situation reste à peu près stable sachant qu’il faut du temps pour qu’elle prenne vie et devienne un endroit agréable pour soi et ses proches. Un petit peu de temps est nécessaire pour qu’un système complexe s’établissent, que les arbres poussent, que la biodiversité s’installe et que les cultures commencent à produire. Si des millions de personnes le font, cela maillera le territoire de millions de bouées de sauvetage si demain se produit un effondrement.

« Plus efficaces et plus heureuses à créer une micro-ferme familiale ou communautaire »

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Avez-vous un dernier mot ?

Je crois que les médias jouent un grand rôle pour essaimer les bonnes pratiques. Avec les éditions Ulmer, nous proposons une série d’une vingtaine de petits guides pratiques monothématiques. On peut bien sûr chercher en autodidacte des informations sur Internet, mais ce n’est pas toujours évident car on lit tout et son contraire tandis que les livres sur l’autonomie tendent à se ressembler et à se révéler très généralistes. Nos guides ont l’ambition d’être précis pour accompagner de manière concrète les gens dans leur transition de vie.

« Si des millions de personnes le font, cela maillera le territoire de millions de bouées de sauvetage si demain se produit un effondrement. »

Les 3 prochains sortent en septembre. Ils portent sur diminuer son empreinte numérique, l’autre sur filer les fibres naturelles végétales ou animales et construire une éolienne. Pour ce dernier, on a construit une éolienne pilote sur la ferme, elle tourne au moment où je parle.

Propos recueillis par Julien Leprovost

Pour aller plus loin

Le site Internet de la ferme du Bec-Hellouin

La collection Résiliences sur le site Internet des éditions Ulmer

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Un commentaire

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    • Sturm

    Vous dites à la fois que « la permaculture est rentable » mais que le métier de permaculteur ou perma-cultivateur ne l’est pas… ou git la contradiction?
    – l’investissement en temps jusqu’à la rentabilité est-il trop long?
    – une aide à la création jusqu’au seuil de rentabilité serait-il suffisant ?
    – ou le temps de production lui-même (pour la même quantité de produit) est-il plus long que le temps de production agro-iindustrielle?
    – la qualité des produits de la permaculture est certes plus élevée et globalement plus bénéfique pour la nature et les êtres humains
    – l’Etat devrait-il donc soutenir le producteur et/ou le consommateur ?
    – serait-ce possible d’imaginer de nouveaux circuits financiers et/ou d’autres facteurs non financiers de reconnaissance pour sortir du système économique industriel, capables de garantir une circulation globale et autonome bénéfique pour tous du producteur au consommateur en passant par de plus petits distributeurs ?
    = sans passer par des subventions, dont l’effet peut souvent être pervers ?

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