Joyeux (France) (AFP) – De l’herbe de prairie pousse au beau milieu de l’étang asséché: dans la zone humide de la Dombes (Ain), la sécheresse a contraint les pisciculteurs à faire des choix afin de préserver leur production, qui pourrait diminuer de moitié cette année.
Si la région a déjà connu le manque d’eau, cette année la sécheresse, qui dure depuis l’automne précédent, affecte particulièrement l’élevage des poissons.
« C’est du jamais vu dans les Dombes. On a dû sacrifier certains étangs », explique Jules Blanc, conseiller au sein de l’APPED, l’Association de promotion du poisson des étangs de la Dombe qui regroupe l’interprofession, de l’exploitant aux sociétés de transformation.
La tradition remonte au Moyen-Age dans cette région au nord de Lyon, au paysage de 1.200 étangs unique en France. Le sol argileux a facilité la création d’étangs dans ces anciens marécages grâce à la construction de digues.
L’eau arrive naturellement par ruissellement dans le fonds de vallée. Les étangs sont reliés par un système de fossés qui crée une chaîne, et permet d’envoyer de l’eau en aval. Chaque étang est exploité selon un cycle de 4 ou 5 ans, avant d’être mis « à sec » pendant une saison, pouvant être mis à profit pour la culture du sarrasin ou du soja par exemple.
Si la production de 2022 avait été bonne malgré un été chaud et sec, cette fois la situation est plus compliquée, et il a fallu choisir de remplir à un bon niveau un certain nombre d’étangs et laisser d’autres à sec.
« A Joyeux on a eu 460 mm (de pluie) étalés en quatre mois. Avec même zéro en octobre, et 5 mm en février », récapitule Gillian Noël, technicien piscicole polyvalent chez l’un des principaux propriétaires-exploitants de la Dombes.
En conséquence, sur les 23 étangs du propriétaire, il a lancé la saison avec 15 étangs exploités, au lieu des 18 prévus. Mais, désormais, « il ne m’en reste plus que six » en activité, dit-il, alors que les semaines à venir s’annoncent décisives avant les pêches prévues en octobre.
‘Besoin d’aide’
La filière de la Dombes produit 1.000 tonnes par an (carpes, brochets, tanches, gardons, sandres…), soit un tiers de la production française de poissons d’étang, mais table cette année sur à peine 500 tonnes de production. C’est encore moins que lors de précédentes périodes de sécheresse, comme en 2019 ou 2020 — 600 tonnes au plus bas.
« Le peu d’eau qu’on a eu n’a pas ruisselé. Il n’y a rien qui coulait dans les étangs », soupire Gillian Noël, en regardant l’un d’eux presque asséché: les poissons introduits au printemps n’ont pas eu le temps d’arriver à maturité avant le coup de chaleur de juillet, qui a provoqué une forte mortalité.
Devant un deuxième étang où l’eau s’est également bien retirée, les échassiers s’avancent loin dans la vase, guettant le peu de poisson qui reste au plus profond de la mare.
« Cet étang fait normalement 17-18 tonnes de poissons. Cette année, il a fait 230 kilos, sur trois tonnes d’empoissonage », ne peut que constater Jules Blanc.
« On avait tiré des leçons. On sait que quand l’étang n’est pas bien plein, on ne passe pas l’été. On s’adapte », souligne-t-il.
Selon l’APPED, plusieurs mesures ont déjà été prises pour mieux gérer l’eau: entretien du réseau des fossés pour capter l’eau au maximum, optimisation de l’eau entre les chaînes d’étangs, aération des étangs pendant les périodes critiques notamment avec des aérateurs solaires, introduction d’espèces plus résistantes dans l’eau chaude, comme le blackbass, un carnassier d’Amérique du Nord, ou encore des expérimentations pour économiser l’eau comme d’organiser la pêche sans vidanger les étangs.
« Sur le court terme, on aura besoin de soutien des pouvoirs publics, sinon la filière pourrait ne pas s’en remettre », plaide Jules Blanc, s’adressant au département et à la région. « Cette année, on demande une aide supplémentaire, on en a besoin ».
Le département de l’Ain notamment a déjà beaucoup investi pour soutenir la professionalisation de la filière, dans des travaux, du matériel, de la formation.
L’enjeu est aussi important pour la nature environnante, soulignent les pisciculteurs: la Dombes constitue la zone humide la plus importante d’Europe en termes de biodiversité.
© AFP
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