Ahn (Luxembourg) (AFP) – Sans glyphosate, « c’est beaucoup plus de travail et d’énergie »: dans ses vignes, le Luxembourgeois Roger Demuth a dû abandonner pendant deux ans l’herbicide controversé, interdit par le Grand-Duché et qui y reste boudé malgré sa réautorisation au printemps dernier.
Les Vingt-Sept se prononceront le 13 octobre sur la proposition de la Commission de reconduire pour dix ans dans l’UE l’autorisation de cet herbicide soupçonné d’être cancérigène mais pour lequel le régulateur européen n’a identifié aucun niveau de risque justifiant l’interdiction.
Jusqu’ici, le Luxembourg est le seul pays européen à avoir banni la commercialisation du glyphosate, à partir de janvier 2021, avant que la justice du Grand-Duché ne lève en avril dernier cette interdiction jugée contraire aux règles de l’UE, qui l’autorisait jusqu’en décembre 2023.
[À lire aussi Glyphosate: Bruxelles propose de renouveler pour 10 ans l’autorisation dans l’UE]
Pendant plus de deux ans, les agriculteurs luxembourgeois ont cependant dû apprendre à s’en passer: cela a souvent nécessité l’acquisition de nouvelles machines pour désherber mécaniquement, avec du temps de travail et des dépenses de carburant accrus –au total un coût multiplié par trois.
« Il faut passer avec les tracteurs 5 ou 6 fois, si c’est une année plus humide, pour que les mauvaises herbes ne poussent pas trop haut » entre les ceps, explique Roger Demuth, dont les vignes occupent des pentes vertigineuses près de la frontière allemande.
« Pour désherber un hectare de vigne avec ces brosses rotatives, on met facilement 4 heures, contre une heure avec le glyphosate (…) Sans matériel performant, vous pouvez compter vingt heures… », confirme son voisin vigneron Armand Schmit, dont les deux fils assurent ces nouvelles tâches. Leur domaine de 14 hectares était cependant passé au bio dès le millésime 2020.
[À lire aussi Les fourmis protègent mieux les cultures que les pesticides]
D’autres viticulteurs réemploient aujourd’hui l’herbicide mais assurent avoir modifié leurs pratiques: « On essaye d’en utiliser le moins possible », insiste Roger Demuth.
« Image de marque »
Avant l’interdiction, le Luxembourg consommait 13,6 tonnes de glyphosate par an. Si les chiffres pour 2023 ne sont pas connus, sa réautorisation n’a pas entraîné de retour en grâce massif.
De fait, 80% des exploitations ont conclu avec le gouvernement des « contrats » de cinq ans, proposés dès 2019 et qui courent toujours, selon lesquels ils renoncent au glyphosate en échange de subventions (30 euros/hectare pour les terres arables, 100 euros pour l’arboriculture).
« Cela montre que le besoin de glyphosate n’était pas si crucial au Luxembourg, où dominent les fermes d’élevage », situation différente des grandes régions céréalières françaises par exemple, explique Christian Wester, éleveur laitier et président du syndicat majoritaire Centrale paysanne.
Lui-même, dont l’exploitation compte 400 bovins et 200 hectares pour moitié en cultures fourragères, a pourtant refusé un tel contrat, critiquant à l’unisson de son syndicat l’interdiction du glyphosate imposée aux agriculteurs « sans leur laisser le choix ».
Il pourrait de nouveau recourir « si nécessaire » à cet herbicide qui « permet de pulvériser 6 hectares en une heure », alors que pour désherber mécaniquement un champ, en retournant la terre avec charrue et tracteur, il faut jusqu’à une heure et demie par hectare.
« Certains réemploient le glyphosate, notamment sur des terrains en pente… D’un point de vue économique, aucune vraie alternative n’a été trouvée, les subventions proposées ne suffisent pas face au surcoût », souligne-t-il, tout en s’alarmant de voir le glyphosate, « bien connu depuis 50 ans », remplacé par « des produits nouveaux dont les effets à long terme ne sont pas étudiés ».
Il fustige « la contradiction » entre l’interdiction du glyphosate, qui oblige à retourner la terre, et l’encouragement à restreindre les labours pour améliorer la santé des sols.
« L’agriculteur n’a plus beaucoup de possibilités », ironise-t-il, même si cultivateurs bio et agronomes vantent l’existence de techniques alternatives.
Le Luxembourg entend réduire de 30% d’ici 2025 l’usage des produits phyto-sanitaires les plus dangereux: une baisse de 26% a été constatée dès 2021 en éliminant le glyphosate, relève le ministre de l’Agriculture Claude Haagen.
Pour lui, la réautorisation de l’herbicide pourrait compromettre l’objectif visé, mais un retour complet en arrière semble improbable: « les exploitants voient bien dans la pratique que c’était possible, et même bénéfique pour leur image de marque », déclare-t-il à l’AFP, précisant que le Grand-Duché continuera de durcir sa réglementation encadrant le stockage et l’usage de ces produits.
Le Luxembourg s’opposera à la réautorisation du glyphosate proposée par Bruxelles, mais la décision finale sera prise à la majorité qualifiée des Vingt-Sept.
© AFP
Un commentaire
Ecrire un commentaire
Francis
Le glyphosate n’est cancérogène que pour ses utilisateurs qui ne se protègent pas lors de l’application et éventuellement pour les animaux qui consomment les plantes OGM traitées en cours de végétation. Le labour et le glyphosate doivent être considérés de la même façon sur le plan environnemental: les utiliser le moins possible, uniquement quand il n’y a pas d’autre solution mais il n’est pas question de les interdire, l’un comme l’autre. Cultiver sans labourer permet de diviser par deux la consommation de carburant à l’ha, donc l’émission de CO2.