L’arrivée de l’automne signe aussi le retour de la saison des champignons. À cette occasion, pour sa rubrique À la rencontre du Vivant, GoodPlanet Mag’ est allé interviewer à ce sujet le microbiologiste, spécialiste des sols, Marc-André Selosse afin d’en savoir plus sur ces êtres à part dans le vivant.
D’où provient votre passion pour les sols et les champignons ?
Tout a commencé quand j’étais en classe de cinquième. Le prof de sciences naturelles nous avait demandé d’aller chercher des champignons pour le prochain cours. J’y suis allé, j’ai trouvé ça amusant. Surtout, j’ai été scotché par la diversité des formes et des couleurs des champignons. J’ai alors commencé à les identifier, puis je me suis mis à m’intéresser à leur écologie.
« J’ai été scotché par la diversité des formes et des couleurs des champignons »
Cette histoire entamée par une sortie en forêt pour suivre la piste des champignons dans le cadre d’un cours de biologie au collège dans les années 1980 m’a finalement propulsé dans deux mondes inattendus. Elle m’a ouvert la porte de la microbiologie et celle des sols. J’ai en effet été projeté dans le monde microbien par le mycélium, le réseau microscopique présent dans le sol formé par les champignons pour leur nutrition. Dans le même temps, j’ai été amené à pénétrer dans l’univers du sol car beaucoup de champignons y vivent.
Cela a débouché sur ma thèse. Je me suis intéressé à des champignons de nos forêts, cèpes, amanites, giroles… qui vivent en échangeant de l’eau et des sels minéraux qu’ils ont collectés dans le sol contre du sucre produit par les plantes. Ces champignons sont des auxiliaires vitaux de la protection et de la nutrition de la racine des plantes.
Au fait, qu’est-ce qu’un champignon ?
C’est un être vivant avec parfois une partie visible à l’œil nu et une autre microscopique invisible si on ne sait pas la chercher ou si on ne dispose pas du matériel adéquat pour la détecter. La partie du champignon qu’on voit à l’œil nu est l’équivalent d’une pomme pour le pommier. Quand vous cueilliez une pomme vous voyez le pommier, mais quand vous ramassez un cèpe, vous ne voyez pas le mycélium microscopique et souterrain. Or, pour le mycologue, le champignon c’est surtout le mycélium.
« Ces champignons sont des auxiliaires vitaux de la protection et de la nutrition de la racine des plantes. »
Comme tout le monde, quand j’ai découvert les champignons, j’ai d’abord vu puis observé la partie visible à l’œil nu. Il s’agit par exemple du pied et du chapeau. Or, petit à petit, je découvre, je ne suis pas le premier, que ces éléments poussent sur un réseau de filaments microscopiques qu’on appelle le mycélium. Chacun d’entre eux est microscopique. Mais, mis ensemble, les filaments du mycélium peuvent au total peser plusieurs kilos, voire des tonnes !
Les champignons se nourrissent en décomposant les feuilles mortes ou en échangeant des nutriments avec les plantes grâce au réseau souterrain du mycélium. Ils peuvent mobiliser très vite de l’eau et de la nourriture pour faire croitre la partie visible à l’œil nu. Cela explique pourquoi la partie visible arrive à pousser si vite. Après tout même si cette croissance n’est pas aussi rapide que dans l’Ile Mystérieuse de Tintin, ce n’est pas pour rien qu’on dit « pousser comme des champignons » …
La partie visible en surface produit des spores, qui peuvent germer plus loin en redevenant du mycélium. Ils se ramifient, ils se collent ensemble, ils forment ou reforment un réseau.
Savons-nous aujourd’hui quel est le nombre d’espèces de champignons dans le monde et en France ?
On ignore leur nombre exact. On a identifié un bon demi-million d’espèces au niveau mondial. En France, on en recense environ 50 000 espèces. De nombreuses espèces ne sont pas visibles à l’œil nu, il y a plein de formes strictement microscopiques : elles font leurs spores si discrètement qu’on ne les voit jamais. Dans le monde, on décrit entre 2000 et 3000 nouvelles espèces de champignons chaque année.
« On décrit entre 2000 et 3000 nouvelles espèces de champignons chaque année. »
Quelle est la place des fungi dans le vivant ? En quoi les champignons sont-ils à part dans le vivant ?
Pendant longtemps les champignons ont été classés avec les plantes car ils ne bougeaient pas. Or, on sait désormais grâce à l’étude de leur ADN que les fungi sont à part, différents des plantes et des animaux. Ils ne bougent certes pas et ne se développent pas à partir de la photosynthèse. Ils appartiennent à un groupe séparé, spécifique.
« Les champignons sont nos plus proches parents dans l’évolution »
Pourtant, les champignons sont nos plus proches parents dans l’évolution. La découverte étonnante que les champignons sont très lointainement reliés aux plantes, mais plus étroitement aux animaux a été rendue possible par le séquençage de leur ADN.
« Nous et les champignons avons évolué très différemment en termes de formes et de modes de vie »
A partir d’un ancêtre commun, nous et les champignons avons évolué très différemment en termes de formes et de modes de vie. Toutefois nous possédons encore des traits communs comme la production de mélanine. Cette dernière, chez l’humain, est un pigment naturel qui assombrit la peau ou les cheveux tandis que chez les champignons la mélanine leur sert à durcir l’enveloppe de leur cellule pour se doter d’une sorte de carapace.
Quelles sont les dernières découvertes scientifiques sur les champignons ?
Les recherches portent aujourd’hui sur l’écologie des champignons, qu’ils soient parasites ou auxiliaires des autres êtres vivants. On comprend mieux leur fonctionnement. Certains champignons sont des parasites pour les cultures tandis que d’autres sont des alliés, comme je l’ai expliqué précédemment.
On progresse dans le même temps sur la compréhension du rôle des champignons dans la nature. Ainsi, on est en train de découvrir que, dans les forêts boréales, ce sont eux qui réalisent une grande partie du stockage du carbone dans les sols. Les restes de mycéliums de champignons stockeraient la moitié du carbone présent dans les sols des forêts boréales.
« Dans les forêts boréales, ce sont eux qui réalisent une grande partie du stockage du carbone dans les sols. »
Est-ce que vous avez un message à propos des champignons à faire passer ?
Les champignons illustrent bien ce qu’est la biodiversité. Ils en font partie et cela implique, d’un point de vue humain, qu’ils ont des bons aspects et de mauvais aspects. Ils ne sont donc ni bons ni mauvais, cela dépend des espèces et des contextes. C’est un bon portrait qui vaut également pour l’ensemble de la biodiversité.
Que voulez-vous dire par mauvais aspect ?
Il y a des dimensions dangereuses à surveiller, comme les maladies des plantes et celles des humains provoquées par certains champignons. On sait aujourd’hui que les périls induits par les champignons sur les cultures, et plus rarement sur les êtres humains, s’avèrent difficiles à traiter. La plupart des molécules dangereuses pour les champignons sont aussi dangereuses pour nous car nous sommes des proches parents dans l’évolution. Il y a certes des différences, mais nos chimies et nos fonctionnements cellulaires restent assez proches par certains aspects. On s’aperçoit que beaucoup de fongicides sont aussi néfastes pour l’être humain. C’est un problème car nous ne disposons pas de beaucoup d’outils pour lutter contre les champignons, particulièrement quand ces derniers ravagent les cultures. Il en va de même lorsqu’il s’agit de traiter les aspergilloses pulmonaires causés par le développement d’un champignon chez des patients le plus souvent immunodéprimés.
« La plupart des molécules dangereuses pour les champignons sont aussi dangereuses pour nous »
Et par les bons aspects ?
Les champignons offrent de nombreuses opportunités pour l’environnement et les industries. Les champignons représentent ainsi de formidables supports pour le développement de biotechnologies et pour les approches bio-inspirées. On peut se servir de champignons afin de fabriquer de la pâte à papier sans polluer. Ils sont capables d’extraire les parties rigides du bois sans générer de boues résiduelles polluantes, comme c’est le cas lorsqu’on obtient une pâte à papier par des méthodes chimiques. Les champignons savent faire de nombreuses choses, ils sont aussi en mesure de dépolluer des sols contaminés par des hydrocarbures.
« Les champignons représentent ainsi de formidables supports pour le développement de biotechnologies et dans les approches bio-inspirées. »
Est-ce que l’automne est la meilleure saison pour observer les champignons ?
Dans les faits, il n’y a pas de saison pour observer le mycélium à condition de disposer des outils adéquats. La partie visible des champignons, quant à elle, a besoin de beaucoup d’eau pour pousser. Le printemps et l’automne sont donc les deux meilleures périodes de l’année pour trouver des champignons. Au printemps, on voit beaucoup de champignons qui décomposent la matière organique morte des sols tandis qu’en automne on a ceux situés sur les plantes.
Sous nos climats tempérés, c’est donc au printemps avec que poussent les morilles, les mousserons, les Tricholomes de la Saint-Georges.
L’autre gros temps fort de l’année se déroule en automne notamment car les champignons fixés aux racines des plantes ont bien mangé en engrangeant du sucre venu des plantes.
Avez-vous une anecdote les concernant ?
Il faut savoir que quand je pars étudier les champignons, je garde toujours de la place dans mon sac pour les bolets et les trompettes. J’ai l’avantage de savoir identifier beaucoup de champignons, ce qui fait que même le dimanche soir je peux en ramasser des comestibles que les autres cueilleurs n’ont pas emporté.
Ce qui m’amène à vous dire que le champignon le plus étonnant est la truffe, non pas pour ses indéniables qualités gustatives, mais parce qu’on découvre une écologie incroyable entre la truffe, les insectes et les animaux. Les truffes sentent pour attirer les animaux, qui les mangent sans les digérer, ce qui assure la dispersion de leurs spores. On est aussi en train de se rendre compte que les truffes aident certains arbres à se nourrir, mais parasitent des plantes herbacées qui poussent autour !
Enfin, pour en revenir à l’aspect gourmand de la truffe, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas forcément un champignon cher à condition de l’utiliser comme un condiment. Il suffit de râper un peu de truffe sur une omelette pour l’embaumer. Le prix au kilogramme est donc à relativiser puisqu’il en faut peu pour être heureux. Avec une truffe de 10 grammes achetée une dizaine d’euros, vous pouvez faire à deux un repas sympa en la râpant sur du pain, puis avec une omelette et pour accompagner du fromage.
Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui veulent profiter de la saison pour aller les observer ?
Le premier conseil est d’y aller avec une personne qui s’y connaît, surtout si vous avez l’intention de les manger. Il existe des sociétés mycologiques dans toutes les régions de France, elles regroupent des passionnés. Elles ont une longue tradition d’échanges et organisent souvent des salons ou des expositions mycologiques où elles montrent des spécimens. Ces événements ont lieu un peu partout en automne.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Des ressources sur le site du Museur National d’Histoire Naturelle Collection des champignons et Comment poussent les champignons ?
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2 commentaires
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Serge Rochain
Quand ce spécialiste des champignons dit que le champinion est l’être vivant le plus proche de nous, il faudrait sans doute préciser ce que contient ce « nous ». Plus proche de nous humain que les grands singes, j’en doute. Plus proche de nous que les plantes à fleurs, oui, peut-être….
Francis
Les champignons qui constituent un règne spécifique du monde vivant sont plus proches du règne animal que du règne végétal. C’est ce que Marc André Sélosse a voulu dire. La chitine des insectes est chimiquement proche de la protéine qui constitue les parois cellulaires des champignons.