Au Brésil, des agriculteurs résistent face à la désertification

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Vue aérienne du désert de Gilbués, dans l'Etat du nord du Brésil du Piaui, le 30 septembre 2023 © AFP Nelson ALMEIDA

Gilbués (Brésil) (AFP) – On pourrait appeler ça un paysage lunaire, mais comme la terre fissurée de cratères est rouge, il semble plutôt sorti tout droit de la planète Mars. Bienvenue dans la région de Gilbués, commune du nord-est du Brésil où la désertification avance à grands pas.

Seuls quelques petits arbustes aux feuilles jaunies subsistent au milieu de ces terres bosselées à perte de vue qui s’étendent à présent sur une surface plus vaste que la ville de New York, engloutissant fermes et habitations.

Selon les experts, l’érosion du sol déjà naturellement fragile de cette zone de l’Etat du Piaui a été fortement accélérée par la déforestation et d’autres activités humaines.

Mais quelques centaines de familles d’agriculteurs continuent à se battre pour conserver quelques oasis au milieu du « désert de Gilbués ».

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« Tout est hors de contrôle. Il ne pleut plus comme avant », déplore Ubiratan Lemos Abade, éleveur de 65 ans qui tente de maintenir sa quinzaine de bovins en vie malgré la sécheresse extrême.

« Ici, il faut irriguer pour s’en sortir, sinon, (…) toutes nos terres seraient mortes de soif », explique-t-il, montrant un pâturage d’herbe grasse qui détonne au milieu du désert rouge.

Il a installé lui-même un système d’arrosage de fortune, creusant un puits connecté à un réseau de tuyaux.

« Ici, il faut de la technologie pour faire de l’agriculture. Mais quand on est pauvre, c’est compliqué », soupire-t-il.

 « Terre fragile »

Vu du ciel, le paysage ressemble à une gigantesque feuille de papier de verre rouge vif froissée.

Le problème d’érosion ne date pas d’hier. L’une des hypothèses de l’origine du nom « Gilbués » est un terme indigène qui signifie « terre fragile », explique Dalton Macambira, historien de l’Environnement de l’Université fédérale du Piaui.

Mais les activités humaines ont fortement aggravé la situation, en rasant ou un brûlant une végétation native dont les racines aidaient à donner plus de consistance au sol.

Sans compter l’expansion urbaine de Gilbués, qui est devenue une ville de 11.000 habitants.

Cette commune a connu une ruée vers le diamant au milieu du siècle dernier, avant le boom de la cane à sucre dans les années 1980.

Aujourd’hui, elle est une des plus grosses productrices de soja du Piaui.

« Ces activités accélèrent le problème, avec des nécessités en ressources naturelles insoutenables pour ce type d’environnement », alerte M. Macambira.

En janvier, il a publié une étude montrant que la zone affectée par la désertification a plus que doublé de 1976 à 2019, passant de 387 à 805 km2.

Autour de Gilbués, 14 autres communes de la région sont concernées et quelque 500 familles d’agriculteurs sont affectées.

Les spécialistes du climat estiment que d’autres études sont nécessaires pour déterminer avec certitude si le réchauffement de la planète est lui-aussi un facteur d’accélération de cette désertification.

Les fermiers locaux relatent que la saison sèche est de plus en plus longue.

Lors des courtes périodes de pluie, les précipitations sont plus intenses, ce qui empire encore davantage la situation: le sol est si fragile que le déluge creuse d’immenses cratères, connues sous le nom « voçorocas », qui engloutissent les champs et les habitations.

« Partout où l’environnement est dégradé, le changement climatique a tendance à avoir des effets plus pervers », résume Dalton Macambira.

Qualifiée de « crise silencieuse » par les Nations unies, la désertification touche 500 millions de personnes dans le monde entier.

Mais Fabriciano Corado, président de l’association SOS Gilbués, voit tout de même un fort potentiel dans sa région.

Si l’on arrive à le préserver de l’érosion, le sol argileux et riche en phosphore est le rêve de tout fermier: pour le cultiver, pas besoin de fertilisants.

Selon lui, de petits producteurs comme M. Abade sont parvenus à faire survivre leurs exploitations en protégeant la végétation native, en mettant en place des système d’arrosage au goute-à-goutte ou des techniques traditionnelles de culture en terrasse pour mieux résister à l’érosion.

« On n’a pas inventé la poudre, les Aztèques, les Incas et les Mayas faisaient déjà la même chose », rappelle M. Corado, qui critique fortement la fermeture il y a six ans d’un centre de recherche public qui aidait les fermiers à mettre en place ces techniques.

Les autorités locales assurent qu’elles ont l’intention de le rouvrir, mais sans donner de date précise.

La région a également un fort potentiel de production d’énergie solaire: un immense parc muni de 2,2 millions de panneaux a été inauguré récemment et un autre et sur les rails.

© AFP

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