A l’occasion de la venue exceptionnelle de Jane Goodall en France fin 2023, GoodPlanet Mag’ a pu s’entretenir avec la célèbre primatologue. Connue pour ses travaux qui ont révolutionné la compréhension des chimpanzés, Jane Goodall n’a cessé de s’engager pour la défense des animaux et de la paix. Bien que parfois victime de nombreux préjugés tout au long de sa carrière, Jane Goodall en retire une force de caractère hors du commun qui en fait une source d’inspiration pour de nombreuses personnes au cours des dernières décennies.
Comme femme et comme scientifique, vous avez contribué à changer le regard sur les animaux, les intelligences animales et la place des femmes dans la science. Comment êtes-vous parvenue à surmonter tous les préjugés auxquels vous avez dû faire face ?
Je n’ai jamais été confrontée à quiconque qui croyait en ce que je disais. Il me fallait donc trouver une histoire pour faire évoluer la manière dont les gens pensent. Il y a quelques dizaines d’années, je suis allée dans un laboratoire de recherches médicales où les chimpanzés étaient utilisés pour les expérimentations. Ils étaient enfermés dans des cages de moins de 1,5 mètre de haut.
« Il ne s’agit pas tant de convaincre les gens de changer que de les amener à d’abord réfléchir différemment. »
Le personnel du laboratoire était assis à une table et attendait que je leur dise quelque chose. Je n’ai pas catégorisé ces personnes. Ce que je leur ai alors dit m’est venu de but en blanc : « je suppose que vous ressentez tous de la compassion envers d’autres personnes. Vous ressentez autant que moi ce qui se passe dans ce laboratoire ». Il est en effet très difficile d’admettre qu’on ne ressente pas de compassion. Je leur ai ensuite montré des images de chimpanzés à Gombe en Tanzanie, où je les étudie. On les voyait manger, jouer, se prélasser au soleil… J’ai pu voir que ces images allaient droit au cœur du personnel du laboratoire. Certains n’avaient jamais pensé aux primates de cette façon. Il ne s’agit pas tant de convaincre les gens de changer que de les amener à d’abord réfléchir différemment. C’est ce que j’accomplis en racontant des histoires.
Selon vous, quel est le préjugé à l’encontre de la nature le plus répandu actuellement au sein de l’humanité ?
Le type de préjugé à l’égard de la nature dépend beaucoup du contexte. Le sujet se révèle complexe. Les personnes peu éduquées détruisent l’environnement pour survivre, afin d’obtenir de l’argent ou parce qu’elles ont besoin de plus de terres . Mais, il y a aussi les dirigeants des grandes entreprises qui détruisent la nature car ils sont plus préoccupés par les gains immédiats et le profit à court terme que par les effets de leurs actions sur les générations futures. Dans tous les cas, les personnes les plus démunies ont besoin d’aide afin que leur mode de vie ne contribue plus à la destruction de l’environnement tandis que les riches doivent comprendre l’impact désastreuse de leur mode de vie sur la nature.
« La dégradation de l’environnement est maintenant devenue une évidence que plus personne ne peut nier. »
Heureusement, de plus en plus de personnes se sentent concernées par les transformations des écosystèmes. La dégradation de l’environnement est maintenant devenue une évidence que plus personne ne peut nier.
Comment changer notre point de vue sur la nature ?
Une fois encore, c’est en racontant des histoires, en diffusant l’information par des films, des images, des articles et des documentaires qui montrent ce qui est en train de se passer. Je crois que les médias aident à se rendre compte de ce qui va mal, mais que nous avons également besoin de récits et d’histoires porteurs d’espoir.
« C’est ainsi par l’action que les gens feront la différence et donneront de l’espoir à d’autres personnes. »
Si les gens se retrouvent submergés d’histoires négatives, ils abandonnent. S’ils se sentent désespérés et inutiles, alors ils ne feront rien pour changer les choses. C’est face à cette tentation de se résigner que je leur dis de regarder ce qui se passe dans le monde. C’est déprimant et cela me déprime aussi, alors je leur conseille de retourner dans leur communauté faire une chose à laquelle ils tiennent vraiment. Il est possible d’agir partout dans le monde pour aider les autres et la nature, en enlevant le plastique, en plantant des arbres… Chacun à son niveau. C’est ainsi par l’action que les gens feront la différence et donneront de l’espoir à d’autres personnes. Le Jane Goodall Institute a un programme qui va dans ce sens, le programme Roots and Shoot. Il est présent dans 70 pays et il s’adresse aux jeunes de la maternelle à l’université. Ce genre de programme permet à chacun de se rendre compte que d’autres personnes ailleurs agissent de la même façon. Ce qui donne de l’inspiration. Ce n’est pas assez, certainement pas assez, mais ce mouvement ne cesse de grandir.
Année après année, les alertes environnementales se multiplient, parvenez-vous malgré tout à voir des signes positifs ?
Il n’y a aucun doute sur l’existence d’une plus grande prise de conscience des enjeux. Le bien-être animal, la biodiversité et les peuples indigènes sont mieux pris en compte depuis une décennie. Ces changements de perception et de prise en compte sont en cours, mais je ne sais pas s’ils le sont assez rapidement par rapport aux enjeux environnementaux.
Avez-vous un message pour la jeunesse ?
Pour chaque jour que vous passez sur cette planète, vous avez un impact. Vous pouvez cependant décider de la nature de cet impact. Choisissiez le donc bien car même une action minime peut avoir de grandes répercussions. La science est une bonne alliée pour comprendre l’écologie et mesurer son impact. Elle explique pourquoi il est impératif de sortir des énergies fossiles pour lutter contre le changement climatique. Autre exemple, éteindre les lumières, au niveau individuel, ce ne semble pas grand-chose. Pourtant, si les milliards de personnes qui composent l’humanité adoptent cette habitude cela fera une différence considérable sur la consommation d’énergie.
« Même une action minime peut avoir de grandes répercussions. »
Avez-vous un dernier mot ?
Chacun d’entre nous peut choisir. Il faut réfléchir tous les jours à la façon dont nous pouvons faire la différence. Nous pouvons ainsi concrétiser d’importants changements.
Finalement, pour en revenir au début de cet entretien, notre plus grand préjugé ne serait-il pas d’être trop pessimiste ?
C’est effectivement exactement ce que je dis quand j’affirme que si vous perdez l’espoir vous ne pouvez plus agir. Les gens ont besoin d’entendre et de savoir qu’ils sont dans ce monde pour une raison, que leur vie compte et qu’elle fait la différence chaque jour.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Pour aller plus loin
Le site Internet du Jane Goodall Instttute France
et son programme Roots & Shoots
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