Jean-Michel Bertrand, réalisateur de Vivre avec les loups : « le film cherche avant tout à traiter de la complexité de la coexistence avec la nature »

jean michel bertrand

Le réalisateur du film Vivre avec les loups Jean-Michel Bertrand ©Pierre Sellier

Dans son 3e film, Vivre avec les Loups, Jean-Michel Bertrand explore la coexistence avec cet animal. GoodPlanet Mag’ l’a interviewé pour comprendre la complexité du débat autour du loup avant la sortie du film le 24 janvier. Après avoir traqué le loup dans la nature durant des années, Jean-Michel Bertrand interroge les rapports avec la nature sauvage dans son dernier film. Vivre avec les loups sort en salle en France le 24 janvier. La Fondation GoodPlanet est, par ailleurs, partenaire du film Vivre les loups.

Après être parti à la quête des loups dans La Vallée des Loups puis suivi leur dispersion dans Marche avec les Loups, vous explorez dans ce 3e film, Vivre avec les loups, la coexistence avec cet animal. Qu’est-ce qui vous a amené à vous pencher sur ce sujet ?

Il m’a fallu trois films pour arriver au sujet incontournable de la coexistence. Au départ, quand j’ai fait La Vallée des Loups avec le producteur Jean-Pierre Bailly le film abordait la biologie du loup.

« Il fallait aller au bout de la démarche en parlant de cette coexistence »

Les systèmes de fonctionnement des grands prédateurs sont mal connus du grand public, c’est pourquoi j’ai réalisé le second film qui traite de la dispersion et de la territorialité. Il portait en germe des questionnements sur qui empiète sur le territoire de l’autre entre les loups et les humains.

« Les systèmes de fonctionnement des grands prédateurs sont mal connus du grand public »

Ce deuxième film a engendré beaucoup de tensions. Le loup est un animal hyper clivant, qui suscite des positionnements souvent très excessifs, de tous côtés. Je me suis dit qu’il fallait aller au bout de la démarche en parlant de cette coexistence.

Comment avez-vous vécu les tensions apparues lors de la sortie de Marcher avec les Loups et de quelle manière votre dernier film tente d’y apporter une réponse ?

La question du loup déchaîne des passions et donc génère une forme de violence que j’ai pu subir. J’ai quand même eu des menaces de mort. Il y a eu des séances interrompues par des manifestations d’éleveurs ou de chasseurs. Alors, j’ai réfléchi et je me suis dit que plusieurs choix étaient possibles : soit je ne fais rien – au début je n’avais plus rien envie de faire, ça m’avait dégoûté -, soit je réponds un petit peu énervé – ce qui va faire qu’entretenir ce clivage et cette haine et chacun conservera sa position -, soit je tends la main et je cherche des gens qui perçoivent les choses autrement.

« Le film cherche avant tout à traiter de la complexité de la coexistence avec la nature »

Finalement, l’ambition du film Vivre avec les loups n’est pas de proposer des recettes toutes prêtes, qui n’existent pas, ni de donner des leçons. Le film cherche avant tout à traiter de la complexité de la coexistence avec la nature et la façon qu’on a d’être au monde.

Effectivement dans ce film vous n’êtes plus seul, vous donnez la parole à des éleveurs, des chasseurs, des bergers et des volontaires pour la surveillance de nuit des troupeaux. Mettre tout le monde autour de la table, c’était important pour vous ?

Dialoguer est juste la base. Le loup étant un sujet clivant, c’était obligatoire de mettre des intervenants variés autour de la table. Cela évite de rester enfermé dans des petites certitudes, qui n’en sont pas. Ainsi, le film essaye de prendre du recul et de pousser tout le monde à se questionner sur le loup.

« Aborder cette complexité des problématiques liées au loup qui »

Et évidemment, il y a un parti pris au travers des personnes qui interviennent dans le film. Ce sont des gens qui se posent des questions, qui réfléchissent et qui sont dans la complexité. Ils ne sont pas du tout dans la posture. Et, c’est précisément le fait d’aborder cette complexité des problématiques liées au loup qui m’a plu dans ce film.

jean michel bertrand troupeau
Un berger et son troupeau ©Pierre Sellier

Dans quelles conditions avez-vous approché les loups cette fois-ci, la traque était-elle plus « simple » ?

En fait, je ne les approche pas, je fais ma vie, je contrôle, puis mes caméras automatiques travaillent pour moi. Ce sont des caméras que j’appelle poétiques parce qu’elles nous racontent plein de choses. Je revendique cette façon de faire. Ainsi, il y a une forme de discrétion au niveau de l’impact, puisqu’on est beaucoup moins présents. On a des images sur les caméras automatiques qu’on n’aurait pas obtenues autrement.

Vous relevez que le loup est en réalité un sujet politique. Est-ce la raison pour laquelle il anime plus de débats que d’autres espèces désignées comme « nuisibles » pour l’agriculture ?

Le loup a été complètement instrumentalisé et il est devenu un animal politique. Et c’est ce qui m’intéresse aussi parce qu’au-delà de la biologie de l’animal, qui est fascinante, il y a aussi l’impact sur l’humain et l’instrumentalisation qui en est faite.

« Le loup se révèle un sujet clairement politique parce qu’il est instrumentalisé. »

Le loup se révèle un sujet clairement politique parce qu’il est instrumentalisé. Le loup est quand même un animal qui fait des dégâts. En effet, son retour n’a pas été sans incidences sur la vie des éleveurs et des bergers. Ça a embêté les chasseurs mais là on est dans l’obscurantisme le plus total du côté des instances cynégétiques. Justement, dans mon film il y a des chasseurs qui ne tiennent pas du tout ce discours, qui est anxiogène, qu’on entend de la part des dirigeants de la chasse.

La Commission européenne a proposé en décembre dernier d’autoriser la chasse aux loups dans les zones où ils seraient « trop nombreux » et qu’il est donc « nécessaire » de le faire passer de « strictement protégée » à espèce « protégée » en raison de la pression sur l’élevage. Le syndicat agricole Coordination Rurale soutient cette position en disant qu’il faut adopter une logique de protection de l’agriculture et non de protection du loup. Qu’en pensez-vous ?

Toutes les études scientifiques le prouvent : tirer sur des loups augmente la reproduction, donc ça augmente la dispersion et ça peut augmenter les risques de déprédation, c’est à dire la prédation d’animaux domestiques. Donc ça ne sert à rien et le remède peut être pire que le mal.

Ursula von der Leyen a eu les dossiers sur son bureau, elle les a jetés à la poubelle et elle ratisse sur sa droite politiquement pour obtenir le soutien et les voix des syndicats agricoles, de chasseurs et autres pour être réélue. Mais cette position de régulation des loups, que veut aussi prendre aussi le gouvernement français, en déclassant le loup, ne sert à rien. D’une part, il est déjà très déclassé parce qu’on en tue plus de 100 par an. D’autre part, on est hors sol dans cette vision archaïque des prédateurs.

Qu’est-ce cette vision implique ?

On est dans cette posture qui est la nôtre depuis des siècles. Elle représente la domination de l’humain sur la nature et sa diabolisation quelque part. Et là on retourne en plein là-dedans, justement pour des raisons politiques.

Avec une telle approche du loup et des prédateurs, on retourne en arrière. On reste dans des croyances. Parce que les loups, vous pouvez en tuer tant que vous voulez, même s’il en reste un il va attaquer. Donc tirer sur les loups ne résout rien. Un loup mort, évidemment, est un loup qui n’a rien appris. C’est plus intéressant de les blesser ou les effaroucher ou d’avoir des balles en caoutchoucs et autres.

Je ne suis pas contre tirer des loups qui mettent le bazar ou pour se défendre. Ces animaux, dans leur vie, dans leur biologie, dans la nature, ne se font pas de cadeaux et on n’est pas là pour leur en faire. Si vous leur donnez un petit bout, ils prennent plus, et après ils s’habituent.

Qu’en est-il alors de l’efficacité de la régulation de l’espèce par la chasse ?

Quand on est dans des positionnements de régulation où on veut limiter le nombre de loups, on joue aux apprentis sorciers. Cela signifie qu’on n’a rien compris à la biologie et au comportement de cette espèce qui est en haut de la chaîne alimentaire, qui se régule et qui est régulée par la disponibilité de proies sauvages.

Quand vous enlevez des loups, vous créez des appels d’air, des reconquêtes de territoire, des reproductions beaucoup plus importantes et des dispersions qui sont normales mais artificielles du fait de l’atomisation des meutes. Ces jeunes loups qui partent à droite à gauche sans aucune culture parce qu’ils n’ont pas eu le temps d’avoir l’apprentissage des parents, sont très opportunistes et ils vont aller attaquer les troupeaux parce que c’est plus facile.

Vous mettez en évidence que les loups régulent eux-mêmes leur population et qu’ils ne vont pas proliférer dangereusement mais qu’ils participent à restaurer un équilibre naturel. Est-ce que le loup ne serait pas la solution pour réguler les populations des espèces dites « nuisibles », plutôt que la chasse dans certaines régions ?

Ne parlons pas de nuisibles ce concept n’existe pas dans la nature. Il n’y a qu’un animal nuisible, à peu près, c’est malheureusement l’humain.

Il faut toutefois être nuancé entre la vision idyllique du loup et la réalité. Le loup fait son job, il se régule, il faut le laisser faire et intervenir le moins possible. En revanche, il faut marquer la frontière si vous ne voulez pas élever les brebis pour nourrir les loups.

En 2021 les Espagnols ont interdit la chasse au loup. Ils ont pris cette décision non pas pour préserver le gentil et joli loup mais parce que la chasse avait tendance à mettre le bazar dans les populations de loups. Elle impliquait des mouvements au sein des groupes de loups. Donc on a décidé de les laisser se réguler.

loup

Le philosophe Baptiste Morizot est allé à la rencontre des grands prédateurs et avance la thèse que notre civilisation s’extrait du vivant et de notre place dans les écosystèmes en mangeant tout et en occultant le fait qu’on puisse être mangé. Est-ce que pour vous ce refus de notre « identité écologique » peut expliquer notre rapport problématique au loup ?

C’est une très belle réflexion. Baptiste Morizot est brillant parce qu’il va creuser très loin. C’est bien d’aller chercher les réponses à nos comportements et nos visions. Pourtant, l’humain depuis le Néolithique, et même peut-être avant, a déjà détruit des espèces prédatrices. Nos ancêtres n’aiment pas se faire manger.

Le problème, c’est qu’à un moment le cerveau a pris le dessus sur le physique. Les sociétés humaines se sont multipliées. C’est à ce moment-là que le rapport a vraiment changé. Néanmoins, ce qu’on a au fond de nous provient peut-être effectivement de ce genre de réflexe dans notre cerveau reptilien.

Remettons cependant les choses à leur place, le loup ne s’attaque pas l’humain pour le manger. Au mieux, il se fiche complétement de nous, au pire, ils ont peur. Et l’agressivité est toujours explicable, de la même manière que Baptiste Morizot peut expliquer d’où vient notre crainte.

Dans le film, vous dites que « le loup est le révélateur de l’âme humaine ». Ça m’a fait penser aux Racines du Ciel de Romain Gary et ses éléphants comme derniers remparts d’une marge humaine à sauvegarder. La pétition du défenseur Morel disait :

« Il n’est pas possible de surprendre les grands troupeaux en train de courir […] sans faire aussitôt le serment de tout tenter pour perpétuer la présence parmi nous de cette splendeur naturelle dont la vue fera toujours sourire d’allégresse tout homme digne de ce nom. […] Le temps de l’orgueil est fini. […] Nous devons nous tourner avec beaucoup plus d’humilité et de compréhension vers les autres espèces animales « différentes mais non inférieures » ».

Vous signerez cette pétition ?

Complétement. En plus, ce que je dis souvent, c’est que la plupart des réponses aux questions les plus fondamentales qu’on se pose se trouve dans la nature. C’est là qu’on doit puiser.  

Ce n’est pas du tout un regard béat. Parce que la nature n’est pas un long fleuve tranquille. Malgré cela, des équilibres ancestraux ont réussi à se mettre en place pour que toutes les espèces perdurent.

« La nature n’est pas un long fleuve tranquille. »

L’humain quant à lui, à force de croyances, affirme avec sa puissance de frappe que telle ou telle espèce a le droit de vivre et telle ou telle autre de mourir, c’est insupportable. Ces croyances me révoltent.

Même si un loup attaquait un humain, est-ce une raison suffisante pour le diaboliser ? Est-ce qu’on parle des 200 noyés par an, des accidents de voiture… La mort fait partie de la vie cependant là, dans les rapports entre l’humain et la faune sauvage, on catégorise, on stigmatise.

Pour finir, quel est votre prochain projet ?

Page blanche. Les trois films sur le loup m’ont permis de raconter ce que j’avais à dire sur le sujet.  Je vais continuer d’aller voir les loups car c’est une drogue dure. Dès que j’ai un moment j’y retourne, c’est ma vie. Je continue ce chemin qui est mon chemin. J’ai envie d’autres émotions sur le plan cinématographique. Je ne souhaite pas faire le film de trop. Ce n’est pas un fonds de commerce.

Donc une plage blanche devant moi mais avec une envie de développer tout ce dont on vient de parler. Donc toujours avec une volonté militante en tout cas.

Propos recueillis par Louise Chevallier

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11 commentaires

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    • Didier BARBIER

    👍

    • Marie Chevallier

    Super intéressant avec de belles références ! J’aime beaucoup

    • Doucede

    Très bien décrit la complexité de la vie sur terre plutôt que les postures simplistes et fausses.
    Le loup est de la Nature dont nous sommes aussi. Le tuer c est à la fois le multiplier et actions néfastes sur la biodiversite.
    Éviter les dérivés du loup solitaire… Il y a eu un très beau film documentaire aussi de ce Monsieur très connaisseur du loup et la Nature qui a suivi le loup solitaire sur des centaines de kilomètres depuis les Alpes au jura… Très beau…
    Il y a les bergers, des clôtures, des chiens.
    Il y a les chasseurs si des besoins réels de regulations.
    Les peurs, les postures…..quelques accidents… À mettre en relations avec les bien plus grands chiffres des désordres et autres morts par an que l Homme met en place dans son système…
    Merci de vos actions et informations ici…
    Continuez…
    Il y a les ours
    Les bêtises inouies des chinois qui détruisent nos derniers rhinoceros
    Les deforestation débiles et conséquences enormes pour leurs meubles à ceux là de nos pays
    Il faut vite arrêter tout ca
    Et que chaque homme puisse vivre en paix en son pays, actions diplomatiques sur ces gouvernements, limiter les horreurs des migrants
    Sinon la terre est déjà invivable.
    Que tous les progrès aillent dans le sens du durable, recyclable sans effets néfastes.
    Traquer, punir toujours et partout les humains néfastes à la planete.
    Cordialement.

    • Virabo

    Très très intéressant, bravo, très belle interview

    • Eden

    Très sympa, très intéressant !

    • HUGUEL Pascale

    Merci pour le 1er film, j’ai adoré.
    Tant dans le dépouillement que dans la grandeur des paysages. Le loup, si craintif, n’a pas trouvé de meilleur ambasadeur que le réalisateur. Je vais aller voir le film  » vivre avec les loups ». Merci

    • Vidal

    Vous êtes le premier à instrumentaliser cet animal votre film en est la preuve alors venez pas nous parler de politique en essayant de donner des leçons, si on écoute les écolos c’est toujours de la faute des autres Vous n’êtes qu’un petit homme de plus qui surfe sur la vague du loup et qui fait du fric sur son dos

    • Monique

    Ce film est pas diffusé dans très peu de cinéma

    • Véro Magallon

    magnifique Redevenons humbles et raisonnables

    • Corine

    Ça interpelle, ça questionne, ça dérange. Ça fait du bien !

    • Riviere

    Bravo pour cette analyse. En espérant qu’elle aura un impact sur notre façon de penser le loup, et la faune en général