À l’heure où le malaise agricole latent depuis des décennies secoue la France, la question de la place de la filière Bio mérite d’être abordée. La France compte 60 000 fermes en Bio sur les 389 000 exploitations du pays, mais les surfaces en Bio représentent à peine 10.7 % des surfaces agricoles du pays. Présentée comme une alternative à l’agriculture conventionnelle, l’agriculture biologique connaît aussi depuis quelques années une crise qui résonne avec les protestations agricoles actuelles. La filière Bio et le secteur agricole en général font face à des difficultés, certaines communes, d’autres de nature différente. Éclairage sur les racines des problèmes auxquels la Bio fait face. Le président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) et céréalier Bio, Philippe Camburet, reconnait une « cause commune », bien que son organisation n’appelle pas à bloquer le pays et ne partage pas certaines revendications du mouvement de colère portée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, en particulier celles portant sur l’assouplissement des normes environnementales.
Une cause commune…
La FNAB rejoint l’appel à faire respecter les lois EGAlim, porté par les syndicats agricoles. Au-delà de l’obligation de proposer au moins 50 % de produits de qualité dont 20 % de Bio, cette loi protège les revenus des producteurs en fixant les coûts de production en amont. Cela permet théoriquement de mettre fin à la domination de certains grands distributeurs qui déterminaient d’abord du prix sur lequel devaient par la suite s’aligner les autres acteurs. Mais, dans les faits, le texte, n’a pas été respecté par tous et a pu laisser libre cours à cette « aberration absolue » comme le décrit le président des producteurs Bio. Le gouvernement s’est récemment engagé à doubler les opérations de contrôle et entend sanctionner lourdement tout contournement par des amendes prévues dans la loi.
La fédération de la Bio partage également l’opposition à « une concurrence débridée sur le plan international qui permet de faire circuler des produits alimentaires sans assez de règles ni de précautions par rapport aux normes environnementales de différents pays ». La mesure proposée, qui fait consensus, est de ne pas importer de produits dont le prix est inférieur à ceux pratiqués en France.
Cependant, Philippe Camburet de la FNAB rappelle que « il y a évidemment tout un tas de choses qu’on ne partage pas sur le détricotage du Green Deal, l’abandon des zones non traitées, la réautorisation de certains produits etc. ». La FNAB demande notamment une revalorisation de la rémunération environnementale des fermes Bio à 145 euros par hectare et soutient une réforme du Plan Stratégique National français prévue en 2025 pour payer les services environnementaux rendus par une agriculture durable.
… hors des barrages
« le dialogue ne passe surtout pas par un rapport de force ni par des blocages, de la destruction ou de la violence »
Par ces désaccords avec certains syndicats majoritaires comme la FNSEA dont les positions peuvent être opposées à celle de la filière biologique, la FNAB n’appelle pas à rejoindre les opérations en cours.
La fédération reste aussi réservée quant à un ralliement à la mobilisation de cinquantaines d’organisations écologiques, pourtant plus en phase avec la vision de la filière, qui rejoignent le mouvement afin de soutenir une agriculture paysanne et écologique.
Philippe Camburet déclare : « le dialogue ne passe surtout pas par un rapport de force ni par des blocages, de la destruction ou de la violence ». La président de la FNAB veut privilégier le dialogue pour porter la voix de l’agriculture Bio dans la population et chez les décideurs. Il insiste sur le lien avec les consommateurs, notamment par la vente directe pratiquée par une ferme Bio sur deux. Selon lui, elle permet de rétablir un lien avec le producteur pour « répondre aux questions et exprimer notre point de vue sur les transitions qui s’imposent à nous, c’est certainement la meilleure manière pour moi de rétablir cette confiance ».
Les parlementaires sont aussi ciblés. D’après le président de la FNAB, « la balle est aussi dans leur camp : ils vont avoir à se prononcer sur un projet de Loi d’Orientation Agricole et sur des dispositifs qui seront issus des déclarations qui sont prises en ce moment même ». Cette discussion est également amenée aux représentants de l’Etat dans les préfectures ou les ministères où il y « a des interlocuteurs qui sont à notre écoute et qui sont censés prendre en compte notre argumentation », admet M. Camburet.
Un horizon plus que jamais incertain et inquiétant pour la Bio
« on ose remettre dans le débat public des avancées qui nous semblaient acquises et qui nous semblaient solides »
L’époque, où 62 % des producteurs se disaient optimistes pour l’avenir de la filière d’après une enquête menée par l’Agence Bio publiée en septembre 2023, semble éloignée. Aujourd’hui, le président de la FNAB estime que la réponse ne serait pas la même : « malheureusement les choses s’aggravent de jour en jour pour bon nombre de mes collègues. Le bout du tunnel n’est pas encore visible ».
La colère qui anime près de 10 000 agriculteurs dans le pays, bien que médiatrice, lui fait craindre un retour en arrière : « on ose remettre dans le débat public des avancées qui nous semblaient acquises et qui nous semblaient solides ». Il craint que les négociations mènent au renforcement d’un « mode de production qui va à l’encontre des liens communs et de la politique de transition qui devrait l’emporter ». Il rappelle que la planification écologique présentée par le gouvernement l’année dernière « est attaquée à coup de boutoir par certains » et fragilise sa diffusion.
La filière Bio, après avoir mis des décennies à convaincre de sa légitimité, connaît des difficultés depuis des années.
Les débuts de la crise dans la Bio
La France a adopté une politique de soutien à l’agriculture biologique depuis les années 1990. Elle a accompagné la filière dans son essor entre 2015 et 2019. Les aides de l’Etat et de l’Union Européenne ont incité les agriculteurs à se convertir.
Toutefois, en plus des retards dans le versement des aides, « il y a eu des choix qui ont été malheureusement très problématiques, surtout en 2017 avec l’arrêt des aides au maintien. Ça a commencé à mettre un premier coup d’arrêt dans les perspectives », déplore Philippe Camburet.
« Aujourd’hui l’agriculture biologique est en danger »
Portée par une demande très forte, « on a considéré que c’est par le marché que l’agriculture biologique devait se développer », explique-t-il, « mais ça n’a pas duré et on le savait ». Depuis 2020, l’érosion de la demande s’accentue, amplifiée par l’inflation. Les produits Bio deviennent une variable d’ajustement dans les budgets des ménages et leur vente a baissé de 1,3 % en 2021. En 2022, les surfaces en première année de conversion ont chuté de 40 % et en 2023 les pertes économiques pour les agriculteurs biologiques ont été estimées entre 250 et 300 millions d’euros, notamment à cause du déclassement de certaines productions biologiques en production conventionnelle. « Aujourd’hui l’agriculture biologique est en danger », alerte le président de la FNAB.
Des politiques qui ne sont pas à la hauteur
À travers le programme Ambition Bio 2022 et les lois EGAlim, l’Etat s’est engagé à atteindre 15 % de surface agricole Bio en 2022 et 20 % de produits bio dans la restauration collective publique. Des objectifs compromis comme le rapporte la Cour des Comptes. Ces échecs sont imputables au « sous-dimensionnement des enveloppes d’aides, leur manque de lisibilité et l’insuffisante prise en compte des bénéfices environnementaux associés », d’après cette dernières dans son évaluation de juin 2022.
Aujourd’hui, moins de 10 % des fermes biologiques françaises ont été aidées en 2023, la Bio ne représente que 10.7 % de la surface agricole et 7 % de la restauration collective. Philippe Camburet rappelle que « beaucoup de collectivités aujourd’hui ont largement dépassé les 20 % ».
Face aux demandes d’aides d’urgence pour les 60 000 fermes de l’agriculture biologique le gouvernement a promis 50 millions d’euros. Soit 833 euros par ferme ce qui est largement insuffisant pour la FNAB. La fédération déplore que l’occasion de soutenir la filière à hauteur de 271 millions ait été balayée par 49.3 lors du débat parlementaire sur le projet de loi finance en novembre dernier et maintien sa demande d’aide d’urgence.
Des labels semeurs de doute
« La jungle des labels ». C’est ce que Stéphane Bellon, ingénieur de recherche en agronomie à l’Inrae énonce comme l’un des facteurs de ralentissement de la Bio dans son article Agriculture : pourquoi la Bio marque-t-elle le pas en France ?. Les diverses allégations qui ont vu le jour ces dernières années ont participé à détourner les consommateurs des produits biologiques : « tous ces labels viennent lui faire de l’ombre voire créent de la confusion lors d’un acte d’achat ».
Cette concurrence « a semé le doute dans la tête des consommateurs et ce doute se retrouve conjugués à une situation inflationniste » renvoyant les produits Bio à des achats de second choix, selon Philippe Camburet.
Quand la Bio a bon dos pour gonfler les prix
« 46 % du surcoût du Bio provient en réalité des ‘sur-marges’ réalisées sur la bio par les grandes surfaces »
Derrière les prix plus élevés des produits biologiques, il n’y a pas que la prise en compte de charges de production plus coûteuses et d’un rendement moins compétitif. Ce surcoût, parfois dissuasif, peut également dissimuler des marges de grands distributeurs et transformateurs sur le dos du label. Dans son rapport sur la filière Bio du 16 janvier dernier, la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH) renvoie à l’enquête de l’UFC Que Choisir qui révèle que « 46 % du surcoût du Bio provient en réalité des ‘sur-marges’ réalisées sur le bio par les grandes surfaces » en ce qui concernent les fruits et légumes.
Il faut cependant noter que le modèle des fermes en agriculture biologique, par leur autonomie, sont plus résilientes face à l’inflation. Elle se répercute donc moins sur les prix des produits comparés au conventionnel. « En bio, puisqu’on produit nos propres engrais sur nos fermes ou qu’on les trouve dans notre entourage, on ne dépend pas du gaz russe. De ce fait l’augmentation des produits Bio a été plus mesurée et a permis une réduction de l’écart entre produits bio et conventionnels » confirme Philippe Camburet.
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