Décès de Jean Malaurie, l’avocat des peuples du Grand Nord

Jean Malaurie

L'ethnologue Jean Malaurie, spécialiste du Grand Nord, est décédé à 101 ans. Ici dans son bureau le 3 mai 2001 à Paris. © AFP/Archives PIERRE ANDRIEU

Paris (AFP) – L’ethnologue et éditeur Jean Malaurie, décédé à l’âge de 101 ans, a été l’inlassable avocat des « peuples premiers » particulièrement du Grand Nord, dénonçant avec charisme la « fatigue » d’un Occident qui a perdu le contact avec la nature.

Le Grand Nord exerçait sur lui « une force d’appel si profonde qu’elle était devenue une obsession », martelait cet auteur d’une douzaine de livres, créateur de la collection « Terre humaine ».

Méfiant à l’égard des systèmes philosophiques et, selon son expression, « des grands mots en ‘ismes’, comme fascisme ou communisme », ce géographe de formation n’aimait pas les étiquettes.

Lui-même n’était pas réductible à une seule spécialité: était-il d’abord un explorateur ? Un scientifique ? Un aventurier ? Un écrivain ? Un éditeur ? Il a été tout cela à la fois.

Il a passé dix ans de sa vie entre le Groenland et la Sibérie, a écrit un livre fameux en hommage aux Inuits, « Les derniers rois de Thulé ».

Premier homme, avec l’Inuit Kutsikitsoq, à rejoindre en 1951 le pôle géomagnétique Nord (qui n’est pas le pôle Nord) en deux traîneaux à chiens, Jean Malaurie a dirigé la première expédition franco-soviétique en Tchoukotka sibérienne en 1990.

Il fut également le premier Occidental à découvrir, cette année-là, « l’allée des baleines », monument du nord-est sibérien d’esprit chamanique, ignoré jusqu’à son identification dans les années 70 par l’archéologie soviétique.

Grande figure du CNRS français, il a co-fondé au début des années 1990 l’Académie polaire d’Etat de Saint-Pétersbourg, chargée de former des élites chez les peuples transsibériens, dont il était président d’honneur à vie.

Attaché au chamanisme

Immense carcasse vigoureuse aux yeux plissés, mèches blanches et épais sourcils noirs jusqu’à un âge avancé, voix tonnante, Jean Malaurie était avant tout un « caractère », une « grande gueule » hyper énergique, ferraillant contre le déclin de l’Occident: « nos sens sont fatigués. A force de téléphones, de calculettes, nous sommes devenus des handicapés ».

Attaché au chamanisme, il regrettait qu’il lui soit parfois impossible « de faire comprendre que les +peuples premiers+ ont une pensée égale à la nôtre ».

« On peut être titré et sans culture, on peut être illettré et être cependant un sage », assurait-il.

Il expliquait ainsi son travail: « Je suis nomade, je flaire, je note tout puis je deviens sédentaire, citoyen parmi d’autres, vêtu d’une peau de bête ». Il parlait avec ferveur des périodes passées dans des igloos, à manger du poisson cru par -5° (et -30° hors de l’abri).

Jean Malaurie est né le 22 décembre 1922 à Mayence (Allemagne) où enseigne son père, dans une famille bourgeoise et austère. Il racontait qu’une traversée du Rhin gelé, effectuée tout gamin, a peut-être déterminé sa vocation pour le monde des glaces.

Résistant pendant la guerre, il suit à Paris des études de lettres et de géographie. Avec son maigre salaire d’attaché de recherche au CNRS, il part à Thulé, au nord-ouest du Groenland en 1950 en qualité de cartographe et géocryologue (spécialiste des minéraux).

 « Une référence »

Ce séjour changera sa vie.

« Terre humaine » (ed. Plon) est née parce qu’il a été « bouleversé » en 1951 par l’implantation brutale d’une base nucléaire américaine: il a voulu mettre en garde contre le risque que la terre ne soit plus, un jour, humaine. A son catalogue figure le « Tristes tropiques » de Claude Lévi-Strauss.

Croisant la géographie, l’ethnologie et l’histoire, Jean Malaurie a contribué à bâtir une nouvelle approche interdisciplinaire de l’étude de l’homme.

« J’aimerais juste que mes cendres soient dispersées au-dessus de Thulé, au Groenland. D’une façon ou d’une autre je continuerai à vivre, peut-être reviendrai-je sous la forme d’un papillon ? », confiait-il au magazine Télérama, à quelques mois de ses 98 ans.

Il disait alors avoir « plusieurs projets en cours » pour « remettre sur de bons rails » la collection « Terre humaine », qui selon lui partait « à vau-l’eau ».

En février 2021, il a quitté ses fonctions de président d’honneur de la collection.

Louant sa conscience écologique précoce, le prince Albert II de Monaco décrivait l’auteur comme « le modèle, la référence pour tous ceux qui (…) se mobilisent pour notre planète et pour ses pôles ».

© AFP

2 commentaires

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    • Guy J.J.P. Lafond

    Nos condoléances à la famille et aux amis de Jean Malaurie.
    @Guy J.J.P. Lafond
    https://mobile.twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329
    Un esprit sain dans un corps sain

    • Catherine

    On voudrait que de tels hommes ne meurent pas. Ils sont des étoiles dans la nuit de l’avidité et la bêtise humaine.