Suspension du plan Ecophyto, décryptage sur les enjeux derrière la réduction des pesticides

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Paysage agricole en France © Yann Arthus-Bertrand

Pour calmer la colère des agriculteurs, le gouvernement a annoncé le 1er février des mesures dont « la mise à l’arrêt » du plan Ecophyto. Ce plan visait à réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2030 en France. Dans les faits, cela signifie que certains points du plan Ecophyto devraient être retravaillés d’ici le Salon de l’Agriculture, fin février. Cette suspension, même provisoire, interroge sur le futur encadrement des produits phytosanitaires alors que leurs effets sur la santé et l’environnement sont de plus en plus documentés. Le gel du plan Ecophyto a suscité de vives réactions de la part des personnalités et des organisations écologistes tout en prenant de court les scientifiques. Malgré son ambition affichée, ce dernier n’est pas parvenu à atteindre ses objectifs. D’après l’INRAE, 75 % de la surface agricole mondiale présenterait un risque de pollution par les pesticides de synthèse.

Incompréhension et geste politique

« Cette annonce de suspension nous surprend. D’un côté, elle nous inquiète et d’un autre côté on se dit que ça peut être pour du mieux », réagit Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint de l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. Il a participé à l’expertise collective INARE-Ifremer sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. Il souligne que les équilibres des écosystèmes et la diversité biologique sont altérés par les effets des pesticides alors qu’ils représentent des outils pour limiter leur utilisation. Pour l‘instant, il s’interroge sur la pertinence de cette pause en attendant d’en savoir plus au moment du Salon de l’Agriculture, le 24 février prochain.

Ce geste serait avant tout « un cadeau symbolique pour calmer la colère des agriculteurs », affirme le sociologue François Dedieu qui travaille pour l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et a écrit le livre Pesticides, le confort de l’ignorance. Il avance plusieurs grilles de lecture pour comprendre le choix gouvernemental de revenir sur Ecophyto. Ainsi, au-delà du geste, ce serait aussi une tentative pour les pouvoirs publics « de retrouver un semblant de cohérence » car ils étaient « totalement perdant sur le plan Ecophyto » dont l’efficacité n’était toujours pas au rendez-vous après trois révisions.

Une efficacité du plan Ecophyto qui reste à prouver

Créé à la suite du Grenelle de l’environnement en 2008, le plan Ecophyto I a été revu pour aboutir à Ecophyto II en 2015 puis Ecophyto II+ en 2018. La quatrième version devait voir le jour en ce début d’année avec un investissement de 250 millions d’euros. François Dedieu de l’INRAE rappelle que « entre 2008 et 2015, les pesticides n’ont pas baissé voire, ils ont plutôt augmenté », ce qui interpelle sur la performance du dispositif.

Wilfried Sanchez renvoie à l’enquête parlementaire de décembre dernier sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs de réduction des produits phytosanitaires. Elle expose des « résultats plus que mitigés ».

Cependant, le scientifique reconnaît « un succès indéniable d’Ecophyto qui est le développement de la recherche, que ce soit pour trouver des alternatives ou pour mieux comprendre les effets des pesticides sur la santé et sur la biodiversité ». La réglementation gagnerait à davantage les prendre en compte.

Il met aussi en avant que « l’Europe a la réglementation la plus la plus ambitieuse et la plus protectrice au niveau mondial sur le plan des produits phytosanitaires. Pourtant, l’inventaire des effets de ces produits montre que ces molécules sont retrouvées dans l’environnement et sont responsables du déclin des invertébrés terrestres et aquatiques, comme les vers de terre, les insectes etc… et aussi de celui des oiseaux ». Il poursuit en constatant qu’il y a « un décalage entre la réglementation et la réalité qui fait que malgré cette forte ambition, nous observons des effets dont la réglementation devait nous protéger ».

Le NODU (Nombre de Dose Unité) : l’indicateur pointé du doigt

Le Premier ministre a invoqué la révision du choix de l’indicateur de suivi de l’utilisation des produits phytosanitaires pour mettre sur pause le plan Ecophyto. C’est l’une des raisons évoquées pour justifier cette décision, bien que le sujet apparaisse technique, il est crucial pour comprendre la manière dont on évalue l’usage et la nocivité des produits.

« Ils ont tous leurs avantages et leurs inconvénients. Certains prennent en compte la toxicité des molécules, d’autres non. Certains collent bien à une politique publique d’autres non. Un moment donné, il faut faire un choix sur un indicateur et travailler avec », soutient Wilfried Sanchez.

En France, c’est le NODU (Nombre de Dose Unité) qui est utilisé dans le cadre du plan Ecophyto. Cet indicateur permet de déterminer le nombre moyen de traitements par hectare selon l’efficacité de la molécule. Or, « plus le pesticide est concentré, moins vous avez besoin d’en mettre sur la parcelle », rappelle le sociologue de l’INRAE, et le NODU n’est alors pas très élevé. Mais ces produits concentrés sont souvent plus nocifs. Ainsi, le recours à « des pesticides qui sont moins toxiques pour l’environnement, qui sont moins efficaces et qui nécessitent de passer plusieurs fois » a tendance à faire augmenter le NODU. « Ce qui ne reflète pas bien les efforts qui seraient faits par la profession », précise pour sa part le directeur scientifique adjoint de l’Ifremer soutient Wilfried Sanchez.

La pertinence du NODU comme indicateur de suivi est remise en cause. Pour François Dedieu, on peut s’attendre à ce que l’indicateur européen HRI1 soit choisi. Il prend en compte une pondération de la dangerosité des molécules mais n’est pas non plus exempt de biais. Par ailleurs « on peut se demander si se caler sur le niveau européen ne va pas ralentir considérablement les décisions faites de retrait de produits », souligne le sociologue. Puis, il conclut : « tout dépend des catégories et des facteurs de pondération qu’on va utiliser ».

Les solutions et alternatives aux pesticides

Comme le rappelle François Dedieu, les pesticides sont « des instruments du rendement » qui ont permis de simplifier les pratiques et d’agrandir les surfaces cultivées. S’en passer implique de retourner vers une complexification des pratiques et donc une réorganisation du travail. Or, la profession fait face au problème du renouvellement qui n’a jamais été aussi critique puisque la moitié des exploitants agricoles part à la retraite en 2030.

Ainsi derrière la question de la diminution des pesticides, il y a celle du changement du modèle agricole tout entier et ses implications économiques. Car ce changement se traduit par « des surfaces plus modestes, mois spécialisées », explique le sociologue de l’INRAE, avant d’ajouter que c’est « donc un retour en arrière par rapport à tout ce qu’on a construit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et une agriculture dont les rendements vont être totalement différents ». Toujours selon François Dedieu, de nombreuses solutions existent pour y parvenir. Elles reposent sur deux principaux leviers : d’un côté celui financier, avec une réforme du premier pilier de la PAC (Politique Agricole Commune) qui attribue les aides en fonction de la surface créant des distorsions de concurrence, et d’un autre côté par la création de marchés internes, notamment par le développement des circuits courts à grande échelle.

Wilfried Sanchez, quant à lui, privilégié les solutions basées sur la nature. Il cite le recours aux produits de biocontrôle, étudié lors de l’expertise INRAE-Ifremer. « Mais c’est une solution parmi plein d’autres pour réduire la pression des pesticides. Il y a aussi l’aménagement paysager qui favorise notamment la mise en place de haies et de zones tampons, qu’elles soient sèches ou humides, ainsi que tout le travail réalisé autour d’autres pratiques agroécologiques qui peuvent se substituer aux approches chimiques ». La difficulté est de passer de la théorie à la pratique au-delà du contexte expérimental : « il faut développer de nouvelles solutions et transférer celles que nous avons déjà pour opérer ce changement d’échelle et avoir quelque chose qui est utilisable par les agriculteurs en bout de chaîne ».

Louise Chevallier

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Article édité le 9 février 2024 à 14h afin de modifier  l’image d’illustration.

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Sur Le Monde, la tribune « Nous, chercheurs et chercheuses, dénonçons une mise au placard des connaissances scientifiques » (article réservé aux abonnés)

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6 commentaires

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    • Pascal Eynard

    Pourquoi illustre un article sur les pesticides en Europe par une photo d’irrigation (c’est de l’eau !) prise aux États Unis ?

    • BRUHIN Claude

    Je remercie le responsable de ces news à la Fondation et à Yann de m’adresser quotidiennement de précieuses informations très utiles pour mes travaux.
    J’enverrai un montant de soutien.
    Claude Bruhin

    • dany voltz

    Dans mon eau dite potable du robinet, 3 pesticides qui dépassent CHACUN de près de 3 x le seuil de base fixé par l’ANSES, mais le distributeur d’eau avec l’accord de la préfecture affirme que cela ne remet pas en cause sa potabilité.
    Mensonge éhonté de la part du gouvernement représenté par la préfète du Bas-Rhin… et bien d’ailleurs encore.

      • Julien

      Bonjour

      effectivement, nous avons donc édité la photo au profit d’une image d’agriculture en France.

      La rédaction

    • dany voltz

    Comme le dit bien Pascal E. dans son commentaire… Photo non adaptée.
    Certes, la photo n’engage en rien, mais une illustration adaptée évite le discrédit et un travail journalistique sérieux doit l’être aussi et SURTOUT dans la partie la plus visible au « lecteur » qui ne « lit pas » car l’image marque bien plus que le texte.
    mais oui, nos gouvernements sont à la botte des lobbies du fric, de la corruption, du pouvoir mondialiste.

    • Francis

    Belle hypocrisie de fonctionnaires: l’INRA fut pendant des décennies l’adversaire acharné de la Bio et des techniques alternatives appelées aujourd’hui agroécologie. Avoir ajouté la lettre E pour Environnement au bout de son nom ne change rien à ses responsabilités historiques.

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