Pointe-à-Pitre (AFP) – Que faire des sargasses, ces algues brunâtres et nauséabondes qui s’échouent par dizaines de milliers de tonnes depuis dix ans sur les côtes antillaises? Alors que la science tâtonne encore sur les causes du phénomène, un problème plus inattendu persiste : le vide juridique qui les entoure.
En pleine mer, ce sont des réserves de biodiversité incroyables. Mais pour les îles qu’elles touchent, une nuisance qui pollue les plages avec son odeur caractéristique d’œuf pourri, de l’hydrogène sulfuré produit lors de la décomposition des algues.
Ni déchet, ni ressource, ni espèce protégée ou envahissante, la gestion de ces algues qui prolifèrent dans la région caribéenne depuis 2011, plombant le tourisme et rendant insupportable la vie des populations, est aussi complexifiée par l’absence de définition juridique internationale.
Aux États-Unis, par exemple, les sargasses en mer sont une espèce protégée alors qu’en France, « on raisonne en termes de fléau », note Victor David, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
« Le plan Sargasse II du gouvernement, qui envisage la collecte et l’élimination (de ces algues) en mer, porte atteinte juridiquement parlant à un écosystème naturel dont plusieurs études ont relevé la biodiversité incroyable » quand elles flottent en mer, poursuit ce spécialiste du droit de l’environnement.
Petit à petit pourtant, les choses bougent. Lors de la COP28 à Dubaï, en décembre, la France a lancé une Initiative internationale de lutte contre les sargasses, actant la nécessité d’une « coopération internationale accrue », en matière notamment de recherche et de valorisation.
« Cette Initiative doit permettre d’élaborer un plan d’action intégrant une définition juridique des sargasses en droit international », précise la déclaration conjointe des États et organisations signataires -Mexique, Costa Rica, République dominicaine et l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO, dont Martinique et Guadeloupe sont membres associés)-.
Présente à la COP28, la vice-présidente de la Région Guadeloupe Sylvie Gustave Dit Duflo assure à l’AFP ambitionner « une résolution votée en ce sens à l’ONU pour 2024 ».
« C’est important, parce que tous les pays victimes des sargasses subissent des pertes drastiques », poursuit-elle, chiffrant à 94 millions d’euros les pertes économiques enregistrées par les Etats de la Communauté des Caraïbes (Caricom) en 2023. « Alors que c’était une petite année en matière d’échouement », précise-t-elle.
« Cela fait déjà 12 ans que ça dure, à un moment il faudra bien parler des compensations. »
« Récurrent et prévisible »
A ce jeu, les petites îles des Caraïbes ont un atout dans leur manche: la Déclaration de Rio de 1992, grand texte international sur l’environnement qui définit les principes du développement durable et admet « une responsabilité commune mais différenciée des Etats » dans la dégradation de l’environnement.
Plusieurs études tendent à montrer l’impact du changement climatique dans la prolifération des sargasses mais les états caribéens, peu pollueurs, sont plus victimes que responsables du fléau. Ils pourraient donc réclamer des comptes si une définition juridique des sargasses dans le droit international était adoptée.
Au plan national, « les sargasses, dont le phénomène est désormais récurrent et prévisible, ne rentrent pas dans la définition d’une catastrophe naturelle aux yeux des assureurs », regrette Syvie Gustave Dit Duflo.
Pourtant, note le chercheur Victor David, « on classe certaines sécheresses en catastrophes naturelles alors que le phénomène est également récurrent et prévisible ».
Dernière question, et non des moindres : que faire des algues échouées, alors que se multiplient les projets de recherche pour leur valorisation ?
« Si l’algue est sur la plage, elle n’est pas un déchet. Si elle est collectée, elle en devient un », résume Aude Farinetti, maîtresse de conférence en droit public à Paris-Saclay.
Or les sargasses, chargées en arsenic, métaux lourds ou chlordécone (un pesticide largement utilisé jusqu’en 1993 dans les Antilles françaises), doivent être dépolluées avant une éventuelle valorisation et « on n’a pas de règle spécifique adaptée à ce déchet-là », constate Mme Farinetti.
En 2022, une étude montrait que l’épandage des sargasses ramassées sur les plages de Marie-Galante, une petite île au sud de la Guadeloupe, contaminait la nappe phréatique à l’arsenic.
« Il est normal que dans l’urgence, surtout sanitaire, on n’applique pas de règles, a fortiori quand il n’y en a pas », concède Aude Farinetti.
Mais plus le temps passe, moins l’absence de norme sera juridiquement audible en cas de problème sanitaire.
© AFP
Un commentaire
Ecrire un commentaire
Francis
La méthanisation est pourtant le mode de valorisation le plus évident. Ensuite on peut extraire du digestat les éléments utiles comme le phosphate. Seul le reliquat de polluants sera à enfouir dans une décharge pour déchets ultimes après avoir été déshydraté.