Le printemps, qui fait son grand retour, est la meilleure saison pour observer les grenouilles et les crapauds. Leur reproduction se déroule à cette saison, ce qui les rend visibles et audibles. Leur chant résonne dans les sous-bois ou au bord de l’eau. L’occasion pour GoodPlanet Mag’ d’aller demander au spécialiste des amphibiens Hemminki Johan de nous en dire plus sur les amphibiens présents en région parisienne. Il travaille comme chargé d’études naturaliste au sein de l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France. Une interview de notre série À la rencontre du Vivant.
Quand on pense amphibiens, l’image qui vient le plus souvent en tête est celle des grenouilles et des crapauds. Mais, que regroupe cette famille du vivant ? Et lesquels peut-on trouver en Ile-de-France ?
En Île-de-France, on recense 16 espèces d’amphibiens. On pense effectivement en premier aux crapauds et aux grenouilles. Pourtant, derrière ce terme d’amphibiens, se regroupent de nombreuses espèces. Parmi les amphibiens franciliens, on distingue ainsi deux grands groupes : les anoures et des urodèles.
Qu’est-ce qui distingue ces deux groupes ?
Les anoures vont perdre leur queue à l’âge adulte. Ce groupe intègre notamment les crapauds, les grenouilles et les rainettes.
L’autre groupe est celui des urodèles. Eux possèdent une queue toute leur vie. On y retrouve les tritons et salamandre en France.
Sur les 16 espèces d’amphibiens d’Ile-de-France, 10 appartiennent à la famille des anoures et 6 à celles des urodèles. Au-delà du crapaud commun et de l’emblématique salamandre, on peut citer d’autres espèces moins connues comme le pélodyte ponctué, l’alyte accoucheur ou le charismatique triton marbré.
Les amphibiens figurent parmi les groupes d’animaux les plus vulnérables répertoriés sur la liste rouge de l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) qui répertorie les espèces les plus menacées. Une espèce d’amphibien sur 3 dans le monde est menacée d’extinction tandis que huit espèces sur 35 le sont sur le territoire métropolitain en France. Quelle est la situation dans la région parisienne ?
Un quart des espèces franciliennes sont menacées d’extinction. Sur les 16 espèces évaluées par la liste rouge régionale, 4 sont d’ores et déjà menacées.
Lesquelles sont menacées ?
Celles qui sont menacées ont une petite zone de répartition. Il s’agit du sonneur à ventre jaune dont il ne reste plus que deux populations aux confins de l’Île-de-France. Il y a aussi le triton marbré qui survit sur les massifs de la forêt de Rambouillet et de Fontainebleau. Cette espèce a des exigences spécifiques sur les mares qu’elle utilise. Bien que dans un milieu préservé, cette espèce reste en danger, notamment face aux aléas climatiques comme la sècheresse.
« Un quart des espèces franciliennes sont menacées d’extinction.»
Les deux autres espèces en danger sont le crapaud calamite et le pélodyte ponctué. Elles ont pour trait commun d’être des espèces pionnières, c’est-à-dire qu’elles utilisent des mares qui viennent d’être créées comme dans les carrières minières. Ces deux espèces détestent la compétition avec les autres amphibiens ou les poissons car elles pondent leurs œufs directement sur le sol. Or, une mare, sans intervention, se végétalise en une dizaine d’années, ce qui favorise l’apparition des prédateurs des œufs du crapaud calamite et du pélodyte ponctué.
Hormis les sécheresses et le manque d’eau en raison du dérèglement climatique, quelles sont les autres menaces qui pèsent sur ces espèces dans la région ?
Plusieurs menaces pèsent su les amphibiens. La première menace est la disparition de leurs habitats, au-delà du réchauffement climatique, des zones humides sont encore asséchées et des mares régulièrement comblées. De nombreuses petites surfaces aquatiques passent sous le radar de la protection des zones humides. Or, ces dernières sont essentielles pour la reproduction des amphibiens.
« Les amphibiens passent la majorité de leur vie sur le milieu terrestre.»
Au-delà des impératifs de préservation des zones d’eau, y compris celles qui peuvent sembler insignifiantes car minuscules comme les ornières forestières, il faut garder en tête que les amphibiens passent la majorité de leur vie sur le milieu terrestre. Ils se déplacent, ce qui les rend vulnérables à la fragmentation des écosystèmes. Du coup, même si parler amphibiens nous ramène souvent aux mares et étangs, ces animaux passent une grande partie de leur vie sur la terre ferme dans les forêts, haies et bosquets. Ils ne rejoignent le milieu aquatique que pour la période de reproduction, même si certaines espèces jouent les prolongations comme les grenouilles vertes. Ce besoin de migration en fait un groupe particulièrement sensible à la fragmentation des milieux qu’ils occupent. Si la forêt est séparée de la mare par une route c’est une hécatombe qui aura lieu.
« Les amphibiens sont donc un groupe parapluie sur lequel s’appuyer afin de conserver et préserver d’autres espèces.«
Enfin, ce sont des espèces très sensibles à la pollution des milieux naturels par les hydrocarbures, les métaux lourds ou bien les produits phytosanitaires utilisés pour l’agriculture. La peau des amphibiens est très fine et donc perméable à leur environnement. Ils effectuent la moitié de leurs respirations grâce à leur peau. De plus, les amphibiens sont la cible de certaines maladies très problématiques comme la chytridiomycose. Ce champignon crée des lésions sur la peau des individus. Il peut décimer 90 % d’une population en quelques années là où elle est introduite. La dispersion de ces maladies est souvent favorisée par l’être humain.
Et qu’en est-il de l’impact du dérèglement climatique ?
Les amphibiens sont adaptés au fait que les mares s’assèchent, c’est même un avantage pour eux car cela empêche les poissons qui sont très friands des œufs d’amphibiens de proliférer. Le véritable problème vient du raccourcissement de la période en eau des mares. Si les têtards et larves n’ont pas le temps de se transformer avant que le point d’eau ne s’assèche, ils sont condamnés.
En revanche, nous avons en Île-de-France des espèces adaptées à des climats plutôt frais et humides qui voient les conditions favorables à leur cycle de vie se détériorer au fil des ans. C’est le cas du Sonneur à ventre jaune. Les modélisations indiquent que dans quelques décennies, l’espèce déjà en danger, risque de disparaître de la région et même d’une bonne partie de la France. En temps normal, les espèces migrent face à ces changements, mais la rapidité avec laquelle ils interviennent et le manque de continuités écologiques tendent à condamner les populations à l’extinction.
La protection des amphibiens dans leurs déplacements a bénéficié d’une forte exposition médiatique avec le déploiement des crapauducs, des passages sécurisés pour leur permettre de circuler. Ces dispositifs sont-ils vraiment efficaces ?
En écologie, il est souvent difficile d’affirmer à 100% que quelque chose est efficace parce qu’énormément de facteurs entrent en ligne de compte. Cependant, il est clair que la présence d’une route sur un couloir de migration tend à faire disparaitre les populations et que la mise en place de cet aménagement permet de stabiliser voire d’augmenter les effectifs. Attention, pour fonctionner un crapauduc doit être bien conçu ! Mal construits, ces tunnels peuvent être inefficaces voire néfastes pour les animaux.
« Un crapauduc doit être bien conçu !»
Qu’est-il possible de faire d’autre afin de préserver les amphibiens ? Est-ce que cela passe par une meilleure prise en compte des zones humides et des bords de cours d’eau ?
Effectivement la première menace étant la disparition de leurs habitats, il est nécessaire de mieux prendre en compte les zones humides et notamment les petites surfaces souvent oubliées comme les mares agricoles, les mouillères et les noues. L’avantage avec les amphibiens est qu’ils sont experts dans la détection de l’eau. Ils réagissent très bien à la création de nouveaux milieux. Ainsi, créer de nouvelles mares s’avère un moyen efficace pour favoriser leur reproduction. Cependant, pour que cela fonctionne il est hors de question de créer des mares en plein désert. Les amphibiens ont en effet besoin d’un milieu terrestre adapté à proximité comme une forêt, une haie, un bosquet ou même un mur en pierre sèche. L’idéal serait de créer des mares à proximité d’autres existantes qui abritent déjà une population. Cela permet de créer un réseau et de faciliter les migrations afin de renforcer les populations en place.
« La première menace est la disparition de leurs habitats.»
Avez-vous un souvenir marquant avec les amphibiens à nous partager qui a suscité en vous une forte émotion ?
Je pense que ma première rencontre avec un triton marbré restera gravée dans ma mémoire. C’était pendant un stage que j’ai réalisé dans le Gers où j’étais allé explorer, de nuit, une ancienne carrière ouverte devenue un espace naturel sensible. Les carrières, une fois l’exploitation terminée, deviennent souvent des habitats très riches en faune et flore. Dans cette dernière se trouvaient de nombreuses mares cristallines foisonnantes de végétation aquatique et il y avait de nombreux tritons marbrés qui s’y reproduisaient. Je suis resté marqué par la beauté de ce petit dragon maculé de vert et dont les mâles arborent une majestueuse crête sur le dos pour séduire les femelles. C’est une espèce également présente dans les massifs de Fontainebleau et de Rambouillet en Île-de-France, où elle est en danger.
« Ma première rencontre avec un triton marbré restera gravée dans ma mémoire»
Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui voudraient aller observer les grenouilles et crapauds en ile Île-de-France ?
Cette année, avec les pluies de ces dernières semaines, on a une saison plutôt favorable aux amphibiens. Le niveau des mares est plutôt haut.
« Observer les amphibiens se fait généralement de nuit pendant leur période de reproduction«
Observer les amphibiens se fait généralement de nuit pendant leur période de reproduction, du mois de mars au mois de juin pour la majorité des espèces. En dehors de ces périodes, ils sont très discrets. On peut également recourir à nos différents sens pour les découvrir. Cela se fait tout d’abord par le son et donc l’ouïe. À la saison des amours, les mâles chantent à tue-tête pour attirer les femelles. Par exemple, l’alyte accoucheur, un petit crapaud caractéristique de nos campagnes et de leur paysage sonore, a un chant qui porte loin. On l’entend lors des douces nuits au printemps émettre un petit son fluté bien identifiable. Il s’agit des mâles qui, depuis un mur en pierre ou même un pot de fleur, appellent les femelles. Il est souvent difficile de les localiser mais en étant patient on peut avoir la chance de tomber sur ce petit amphibien dont les mâles ont la particularité de porter les œufs sur leur cheville.
« Les amphibiens sont un groupe ambassadeur de nos mares et de nos étangs»
Il est aussi possible d’observer les têtards qui envahissent les mares dès la fin mars. On peut les voir de jour. Les petits de couleur noire appartiennent majoritairement au crapaud commun. Parfois, il est pourtant possible d’en voir de plus gros, plutôt marron qui peuvent appartenir aux grenouilles vertes, au pélodyte ponctué ou à l’alyte accoucheur.
Sinon, à un autre moment de l’année, il est possible de rencontrer la salamandre tachetée, celle-ci s’active en forêt pendant les nuits douces et humides de l’automne. On la rencontre alors, parfois en nombre, se baladant sur le sol à la recherche de partenaire. Ses larves sont visibles dans les flaques d’eau en forêt en fin d’hiver : ouvrez l’œil elles sont discrètes !
Avez-vous un dernier mot ?
Les amphibiens, au-delà de leur capital sympathie, peuvent aider à sensibiliser aux zones humides et inciter à les préserver. Il convient de retenir que les amphibiens sont un groupe ambassadeur de nos mares et de nos étangs. Ils témoignent de leur état de conservation, ce qui apporte de nombreuses informations sur ces micro-habitats et ce qui s’y passe pour les autres espèces moins bien connues de ces milieux comme la flore, la faune, les insectes ou encore les micro-crustacés. Les amphibiens sont donc un groupe parapluie sur lequel s’appuyer afin de conserver et préserver d’autres espèces.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Pour aller plus loin
Liste rouge régionale des amphibiens et reptiles d’Île-de-France sur le site de l’Agence régionale de la biodiversité
Pour aller plus loin Le webinaire À chaque saison son taxon dans lequel intervient le naturaliste Hemminki Johan
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