Déforestation : des peuples du Brésil misent sur l’UE pour sauver leur savane

Eliane Xunakalo

Eliane Xunakalo, présidente de la Fédération des peuples autochtones du Mata Grosso, au Brésil, lors d'un entretien avec l'AFP, le 19 mars 2024 à Bruxelles © AFP Kenzo TRIBOUILLARD

Bruxelles (Belgique) (AFP) – Fin 2024, les produits issus de la déforestation seront bannis dans l’UE, mais la savane boisée sud-américaine du Cerrado, où l’Europe s’approvisionne en soja, n’est pas visée : une lacune que des peuples autochtones du Brésil sont venus dénoncer à Bruxelles, « une question de survie » selon eux.

Les Européens « doivent savoir d’où vient leur soja, l’impact que cela a sur ma maison. Car le Cerrado est ma maison », déclare Eliane Xunakalo, dont la coiffe à plumes blanches oscille sous le vent printanier.

Présidente de la Fédération des peuples autochtones du Mato Grosso (centre-ouest), elle était la semaine dernière dans la capitale belge aux côtés d’autres militants pour réclamer à l’UE d' »améliorer » son texte anti-déforestation.

Adoptée l’an dernier, cette législation inédite interdit les importations de produits (cacao, café, soja, huile de palme, bois, viande bovine, caoutchouc) s’ils sont issus de terres déboisées après 2020.

Le texte s’appliquera à partir de fin décembre, les entreprises importatrices étant tenues d’assurer la traçabilité via des données de géolocalisation.

Mais la définition des forêts n’inclut pas d’autres écosystèmes boisés comme le Cerrado, immense savane aux confins du Brésil, du Paraguay et de la Bolivie, dont provient une grande partie du soja importé en Europe et où la déforestation a bondi de 43% l’an dernier.

La Commission européenne examinera cette année un éventuel élargissement à d’autres écosystèmes et produits, en vue d’une révision législative, dont Etats membres et eurodéputés pourraient débattre dès 2025.

Pour les peuples de la région, il y a urgence.

« La moitié du Cerrado a déjà disparu », prairies et arbustes laissant place à des monocultures de soja ou céréales qui empêchent « l’infiltration de l’eau de pluie dans les couches profondes », prévient Isabel Figueiredo, de l’ONG Instituto Sociedade, População e Natureza.

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Vue aérienne de la déforestation dans le Cerrado, le 29septembre 2023 dans l’Etat de Bahia, au Brésil
© AFP/Archives Nelson ALMEIDA

« Risque d’effondrement »

Après la saison des récoltes, son paysage devient un patchwork de rares taches vertes de végétation native au milieu d’immenses champs marron: les cultures, financées par des multinationales agro-alimentaires, ne sont rentable qu’à grande échelle sur ces sols sablonneux transformés en terres arables par des bulldozers ou du brûlis.

« Le risque est que s’effondre cet écosystème fantastique, doté d’une immense biodiversité, capable de stocker du carbone, réguler le climat et fournir de l’eau aux quatre coins du Brésil, ce serait un point de non-retour », indique Mme Figueiredo à l’AFP.

Inclure le Cerrado dans le texte européen « est une question de survie: c’est là que s’alimentent principalement les cours d’eau d’Amazonie, garantissant l’équilibre hydrologique de l’Amérique latine » entière, abonde Samuel Caetano, de l’ONG Cerrado Network.

Forêt amazonienne et Cerrado sont interconnectés: la savane se nourrit des précipitations favorisées par la forêt tropicale, qui pour sa part dépend des sources du Cerrado pour ses cours d’eau.

Certes, l’UE impose aux entreprises importatrices de se conformer aussi aux législations environnementales des pays producteurs, ce qui pourrait concerner le Cerrado où un tiers de l’élevage est lié au défrichage illégal.

« Mais le Cerrado n’est pas bien protégé par les lois brésiliennes, dont la plupart se concentrent sur l’Amazonie », tempère Giulia Bondi, de l’ONG Global Witness.

« Visibilité »

Dans l’immédiat, ONG et activistes scrutent les préparatifs pour appliquer la législation actuelle. Le commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, a visité mi-mars le Paraguay, la Bolivie et l’Equateur pour désamorcer leurs critiques.

L’UE vante son soutien financier et technique accru pour les aider à établir des systèmes de traçabilité, alors que ces pays dénoncent des contraintes coûteuses pour leurs petits cultivateurs et le risque de voir leurs exportations pénalisées.

« La réglementation est assez exigeante en termes de flux de données, mais cette transparence accrue des chaînes d’approvisionnement sera favorable aux petits exploitants », qui « gagneront en visibilité » si les grandes entreprises les accompagnent correctement, observe Nicole Polsterer, de l’ONG Fern.

« Nous espérons vraiment que ce texte aura des effets plus larges au Brésil, que cela générera des pressions politiques pour davantage de supervision » des défrichages par l’Etat, ajoute Eliane Xunakalo.

L’UE oblige par ailleurs les entreprises à « vérifier leur conformité avec la législation du pays producteur » en termes de droits humains, une disposition qui « pourra être utilisée comme levier au Brésil pour réclamer au gouvernement » un meilleur respect des droits des autochtones, estime Giulia Bondi.

© AFP

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