Peut-on encore manger des bananes ? Cette question en apparence anodine est le titre de l’adaptation française de l’ouvrage de Mike Berners-Lee, écrivain et chercheur anglais sur l’empreinte carbone. Il y quantifie les émissions de dioxyde de carbone (CO2) qui se cachent derrière nos achats et nos gestes du quotidien. Le travail de Mike Berners-Lee se montre utile pour comprendre l’impact de nos comportements et initier des actions responsables avec plus de lucidité. GoodPlanet Mag’ a pu s’entretenir avec pour revenir sur la place du carbone dans nos vie et la portée des gestes individuels.
Pourquoi chercher à quantifier les émissions de carbones liées à nos modes de vie dans le livre « Peut-on encore manger des bananes ? » ?
Ce livre a été conçu pour aider les lecteurs à comprendre comment le carbone intervient dans leur quotidien mais aussi à plus grande échelle. Ainsi, si on se demande comment réduire son empreinte carbone, on peut facilement identifier les actions simples à mettre en place. Le livre permet aussi de comprendre comment le carbone est émis dans le monde et quels sont les leviers prioritaires à actionner.
« Comprendre comment le carbone est émis dans le monde et quels sont les leviers prioritaires à actionner »
L’ouvrage est censé mettre en perspectives l’échelle de nos comportements individuels avec l’impact global qui en découle. De petites actions d’1kg de CO2 peuvent aboutir à une décision qui en vaut finalement une tonne lorsqu’elles sont généralisées.
Une faible empreinte carbone ne veut pas nécessairement dire faible impact sur la planète. On le voit justement avec les bananes. Le carbone est donc une des variables de l’équation ?
Effectivement, ce livre est centré sur le carbone mais c’est important de considérer d’autres facteurs. J’essaie de relever les autres enjeux importants associés à certains comportements lorsqu’il y en a.
« C’est important de considérer d’autres facteurs »
Dans le cas des bananes, leur empreinte carbone est assez faible mais leur production s’accompagne d’autres problèmes comme la monoculture intensive ayant recours à de nombreux pesticides.
J’aborde aussi le cas des sacs en plastique dont l’empreinte carbone se révèle moins élevée que celle des sacs en papier. Mais il ne faut pas perdre de vue la pollution qu’ils génèrent qui rende finalement plus responsable l’usage de sacs en papier.
Une étude du cabinet de conseil en stratégie bas carbone, Carbone 4, a évalué qu’un changement de comportement individuel le plus écologique possible permettrait de réduire l’empreinte carbone de 25 % au mieux. Les trois quarts restants sont donc de nature structurelle. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que l’on peut faire plus. Cela dépend des actions menées. Un Français moyen émet 9.9 tonnes de CO2. Mais il pourrait raisonnablement vivre dans de très bonnes conditions avec une empreinte de 5 tonnes. La plupart des personnes devraient changer certaines de leurs habitudes mais personne n’aurait à se priver des choses qu’il aime.
« Une division par deux de l’empreinte carbone individuelle n’est pas irréaliste »
Je pense honnêtement qu’une division par deux de l’empreinte carbone individuelle n’est pas irréaliste pour le citoyen moyen. Par exemple, réduire de moitié l’empreinte du régime alimentaire français aboutirait à une alimentation saine, toujours aussi bonne et sûrement moins coûteuse. Par ailleurs, certaines personnes prennent beaucoup l’avion : il leur est alors facile de diminuer drastiquement leur taux d’émissions en restreignant leur nombre de vol.
[A lire aussi : Réduire de 50 % la consommation de viande permettrait d’atteindre les objectifs climatiques, selon une étude]
Peut-on dire que les actions individuelles s’arrêtent là où celles collectives doivent prendre le relais ? Ou peuvent-elles s’influencer ?
Il y a une relation entre actions individuelles et collectives. En tant qu’êtres humains, nous aimons faire comme les autres. Si manger végétarien devient la norme alors on se sentira normal de ne pas manger de viande. Une partie de l’enjeu du changement individuel est donc sans doute moins d’économiser quelques tonnes de CO2 que de rendre facile et normal un mode de vie sobre/moins émetteur.
« Il est important de faire en sorte que ce que l’on crée soit en réalité un changement culturel »
Au bout du compte, des changements individuels peuvent devenir des changements collectifs face à des enjeux qui sont globaux. Lorsque l’on adopte un comportement individuel écologique, il est important de faire en sorte que ce que l’on crée soit en réalité un changement culturel. Si vous ne prenez pas l’avion, il faut expliquer pourquoi autour de vous. Nos actions individuelles doivent pouvoir embarquer d’autres personnes avec nous.
Est-ce suffisant de réduire notre empreinte carbone ?
Réduire notre empreinte carbone n’est pas la seule chose que l’on devrait faire. Il est tout aussi important de se poser des questions plus larges comme : que puis-je faire pour participer à l’avènement du grand changement systémique dont nous avons urgemment besoin ?
« Réduire notre empreinte carbone n’est pas la seule chose que l’on devrait faire »
Cela renvoie à la sphère professionnelle par exemple et l’influence potentielle que l’on peut avoir sur la prise en compte de l’écologie au sein de son entreprise. Ces remises en question touchent aussi la sphère familiale et amicale, où les conversations peuvent être difficiles et conflictuelles. Et à mon sens, devenir un activiste ou non doit faire partie de ces interrogations que l’on devrait tous se poser.
Les actions individuelles ont-elles une limite ?
Il y a une limite à ce qu’une personne seule peut avoir comme impact.
En tant qu’individus, nous devons essayer d’être responsables vis-à-vis de notre empreinte carbone. Nous devons la diminuer comme on peut. En faisant cela, nous normalisons ce comportement et nous créons une culture où tout le monde y prête attention. Cependant, ce n’est pas assez.
Il ne faut pas perdre de vue la situation globale. Nos décisions et questionnements sur ce que l’on peut faire doivent dépasser les quelques tonnes que l’on peut économiser individuellement et s’inscrire dans une vision systémique des enjeux.
Vous abordez la notion de dissonance cognitive. Comment parvenir à adopter un comportement responsable alors que le système économique nous incite en permanence à consommer toujours plus ?
Personne n’est parfait et personne ne peut l’être dans la société imparfaite dans laquelle nous vivons. Nous avons tous des contradictions et un certain de degré de dissonance.
« Nous avons tous des contradictions et un certain de degré de dissonance »
Il ne faut donc pas avoir peur de se faire traiter d’hypocrite, car c’est inévitable. On doit tout le temps essayer de s’améliorer, rester intègre et le plus cohérent possible sans se laisser décourager.
C’est difficile pour tout le monde mais ça peut être exaltant.
Quelle est votre opinion sur la taxe carbone ?
C’est le moyen le plus facile pour laisser les combustibles fossiles dans le sol.
Dernièrement on parle beaucoup du développement des énergies renouvelables. C’est une bonne chose sauf si on les superpose aux énergies fossiles. Le climat ne dépend pas du nombre de renouvelables que nous installons mais du volume de combustibles fossiles que l’on extrait. Par conséquent, il faut un moyen de réduire ces énergies carbonées. Et ce n’est pas le développement des renouvelables qui permet d’y parvenir. Le plus simple des mécanismes pour y arriver, c’est une taxe carbone.
Si c’est si simple, pourquoi ne l’a-t-on pas déjà fait ?
La raison pour laquelle nous n’avons pas une taxation carbone efficace à travers le monde est l’opposition des compagnies d’énergies fossiles. Car elles savent que ça marcherait. Elles laissent nos dirigeants politiques faire ce qu’ils veulent tant que ça n’impacte pas les extractions. C’est pourquoi chaque année nous continuons de produire toujours plus de pétrole que l’année précédente.
« En plus d’agir sur nos émissions individuelles, nous devons interpeller nos politiques, nos entreprises et nos médias »
C’est la situation actuelle et nous devons la changer. En plus d’agir sur nos émissions individuelles, nous devons interpeller nos politiques, nos entreprises et nos médias pour qu’ils soient honnêtes sur le sujet. Tout cela est essentiel pour parvenir à mettre en place un prix carbone.
Il faut néanmoins s’assurer qu’une telle mesure n’augmente pas les inégalités et que la qualité de vie est conservée pour tout le monde. Cela fait partie de la notion de justice climatique.
L’idée d’un quota carbone individuel fait débat. Il attribuerait à chacun un budget carbone à dépenser librement. Est-ce que ce modèle peut fonctionner ?
C’est délicat. Chacun a des contraintes différentes selon son lieu de vie ou profession. A la campagne, certains habitants sont obligés de posséder une voiture, et dans certains métiers, prendre l’avion est inévitable.
Je porte plutôt l’idée d’une taxation carbone sur l’aviation pour les trajets de loisirs. Le prix augmenterait à mesure que vous volerez pour des raisons non professionnelles. Ainsi vous pouvez prendre l’avion 10 fois mais vous paierez un prix qui financerait les technologies bas carbone, la lutte contre la pauvreté, etc…
Peut-on attendre des adaptations du livre à d’autres pays ? Quels sont vos prochains projets ?
C’est un gros travail. En France évidemment la langue diffère et les chiffres aussi, notamment en raison de la composition du mix énergétique français. Le système ferroviaire, le régime alimentaire et la culture en général sont différents et doivent être ajustés. Je n’ai fait que deux fois ce niveau d’adaptation : pour la France et pour les Etats-Unis.
Actuellement, je rédige un livre qui est un peu la suite d’Il n’y a pas de planète B, un autre de mes ouvrages. Le message clef de cet ouvrage est la nécessité de faire preuve de plus d’honnêteté de la part des responsables politiques et des médias au sujet de la lutte climatique. Il pose la question de comment créer un climat de vérité.
Propos recueillis par Louise Chevallier
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Pour aller plus loin :
Le livre sur le site de l’éditeur : Peut-on encore manger des bananes ? – L’arbre qui marche éditions (larbrequimarche-editions.fr)
Etude Carbone 4 : Faire sa part ? (carbone4.com)
A lire aussi sur GoodPlanet Mag’ :
Quelles perspectives pour une pêche durable ?
3 commentaires
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Balendard
Mike a assurément raison lorsqu’il affirme qu’il y a d’autres considérations que le gaz carbonique à prendre en compte pour combattre le réchauffement climatique actuel.
Ceci par exemple en reconsidérant les chaînes énergétiques que nous utilisons actuellement pour produire l’électricité telles que la combustion et le nucléaire et ceci plus particulièrement avec cette dernière vu qu’elle dissipe dans l’atmosphère en le réchauffant une quantité d’énergie thermique sensiblement égale à deux fois l’énergie électrique produite
Tom
Comment peut-on passer d’un bilan de près de 9 T a 2,5 T en devenant vegan alors que les produits carnés ne représentent que 15% de notre empreinte carbone (chiffres du 2ème graphique) ?
la voiture, l’avion et le chauffage semble un levier beaucoup plus important avec 37 % de noter empreinte carbone !
et les couleurs du graphique en barre me semble inversées, le gaspillage élevé ayant la plus faible empreinte
Jean-Pierre Bardinet
Bizarrement, le CO2 atmosphérique est mesuré uniquement en ppm (parties par millions), et jamais en milliards de tonnes (Gt). La raison en est simple : si l’on compare le stock de CO2 aux flux de CO2 anthropiques, on se rend compte que nos émissions n’ont qu’un effet marginal sur le stock. Le stock de CO2 atmosphérique est de 3200 Gt. Le flux annuel des émissions anthropiques est de 34 Gt, dont 16 Gt vont contribuer à augmenter le stock de 1/200 par an, dont 1/2000 pour l’UE et 1/20 000 pour la France. Le Green Deal de la Commission européenne n’aura donc aucun effet significatif sur le stock de CO2. Conclusion: Réduire nos émissions de CO2, ce qui va détruire l’économie de l’Europe et réduire le pouvoir d’achat des ménages, est une idéologie idiote, anti-scientifique, que nous ne devons certainement plus suivre.