En Ukraine, l’étonnant réveil de la végétation après la destruction du barrage de Kakhovka

Kakhovka

Les rives du réservoir artificiel de Kakhovka, dans la région de Kherson, dans le sud de l'Ukraine, le 3 juin 2024 © AFP Genya SAVILOV

Kherson (Ukraine) (AFP) – « Toute cette végétation était absente avant l’explosion du barrage » de Kakhovka, dit, l’air presque étonné, le chercheur ukrainien Oleksandre Khodosovtsev, entouré de plantes plus hautes que lui.

La flore de ce petit parc de Kherson, grande ville du sud de l’Ukraine faisant face aux troupes russes, revient pourtant de loin. Comme une grande partie de la zone, elle était submergée il y a un an.

Le 6 juin 2023, des explosions détruisent le barrage de Kakhovka, situé à une cinquantaine de kilomètres en amont et occupé par l’armée russe, provoquant des inondations et des dizaines de morts.

L’Ukraine accuse la Russie d’avoir fait exploser le barrage afin d’empêcher sa contre-offensive de l’été suivant, qui échouera. Moscou lui en renvoie la responsabilité.

A l’époque, comme beaucoup d’experts, Oleksandre Khodosovtsev, professeur de botanique à l’université d’Etat de Kherson, prédit des conséquences potentiellement terribles pour la nature.

Les dégâts environnementaux sont en effet indéniables. De nombreux animaux sont tués, des plantes balayées et des produits chimiques drainés par les eaux.

Sur le court terme, « cela a été une catastrophe », résume auprès de l’AFP M. Khodosovtsev. Mais, après six mois, « la végétation a commencé à se régénérer », analyse le professeur, qui va jusqu’à parler d’une « bonne chose pour la nature » sur le temps long.

Végétation luxuriante

Avec une équipe de scientifiques ukrainiens, il s’est rendu à plusieurs reprises dans la zone, pourtant située au centre des combats car le fleuve Dniepr y sépare les armées russe et ukrainienne dans cette partie du pays.

Tous les efforts en valent la peine car, selon lui, « personne dans le monde n’a jamais pu étudier la restauration d’une végétation sur une surface aussi énorme ».

En aval de l’ancien barrage, elle est « luxuriante », comme dans le parc de Kherson, dopée par un afflux d’eau et de matière organique, sourit-il.

Mais la zone qui inquiétait davantage les experts est située plus haut. L’immense réservoir artificiel de Kakhovka, créé en même temps que le barrage en 1956, a, en toute logique, perdu beaucoup d’eau.

Quand les scientifiques s’y sont rendus pour la première fois, quelques semaines à peine après la catastrophe, ils y ont trouvé des « paysages martiens » jonchés de coquillages morts, se souvient M. Khodosovtsev.

Cet asséchement a un temps fait craindre la possibilité de tempêtes de poussière. Les chercheurs ont cependant constaté avec surprise le développement rapide de très nombreux saules, signe que la nature semble reprendre ses droits.

« Aujourd’hui, le réservoir de Kakhovka représente 150.000 hectares de terres vertes », soit cinq fois la surface de Malte, relève auprès de l’AFP le ministre ukrainien de l’Environnement Rouslan Strilets.

Bombes et mines

Vu d’une colline le bordant, l’ancien réservoir ressemble désormais à un patchwork de vert et de bleu, des larges étendues d’eau émaillées de poches de végétation.

L’experte Anna Kouzemko, qui fait également partie du groupe, concède que mener ces observations scientifiques si près du front n’est « pas facile ».

La rive gauche, occupée, est inaccessible aux chercheurs ukrainiens, à leur grande frustration. Et la rive droite, face aux positions russes, est dangereuse.

« L’automne dernier, on a été tellement bombardés qu’on a dû partir très vite », reprend Mme Kouzemko, de l’Institut de botanique. Une mine aurait aussi été découverte à 200 mètres de la voiture des chercheurs.

Mais un scientifique est « passionné » quand il travaille, donc « il ne se préoccupe pas de ce qui vole autour », s’enthousiasme M. Khodosovtsev, le regard exalté.

Cas unique au monde

Si le ministère de l’Environnement estime à 3,5 milliards d’euros les dégâts environnementaux causés par la destruction du barrage, il reste « très difficile de parler des conséquences sur le long terme », souligne Rouslan Strilets.

« Ce qui se passe dans l’ancien réservoir de Kakhovka est vraiment un phénomène unique au monde », ajoute-t-il. « Le fait est que la nature est en train de changer. »

L’Ukraine compte bien faire condamner la Russie pour écocide. Selon elle, des dizaines d’espèces animales et végétales, dont certaines endémiques, sont désormais en danger de disparition.

Le gouvernement ukrainien prévoit aussi de rebâtir le barrage de Kakhovka quand cela sera possible.

Des militants écologistes ukrainiens y sont fermement opposés, et veulent au contraire laisser l’écosystème revenir à son état antérieur au barrage.

M. Khodosovtsev espère que ses recherches aideront à éclairer ce débat. « Car le monde entier, et l’Ukraine, regardent encore ce qui se passe dans les terres du réservoir de Kakhovka », dit-il, non sans une pointe de fierté.

© AFP

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