Le photographe animalier et reporter Rudy Bueno sillonne l’Europe, à la recherche d’espèces à mettre en lumière sous l’œil de son objectif. Passionné des zones humides, c’est principalement au sein de cet écosystème qu’il réalise ses reportages, dans le but de sensibiliser le grand public à la biodiversité qu’elles abritent. Rudy Bueno a récemment publié un reportage sur la pie-grièche grise qui figure actuellement parmi les espèces les plus menacées de France. Au cours de cet entretien pour notre rubrique À la rencontre du Vivant, le reporter revient notamment sur son parcours, ses observations, ses difficultés et son rôle dans la sensibilisation du grand public.
Qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser des documentaires et faire des photographies de la nature ?
Quand j’étais enfant, j’habitais en ville mais j’adorais la nature. J’allais souvent dans des musées avec mes parents, comme le Muséum d’histoire naturelle, pour en apprendre davantage sur différentes espèces. À l’adolescence, mon intérêt pour la nature s’est un peu évaporé puis j’ai de nouveau été captivé par ce sujet à l’âge adulte, notamment en regardant beaucoup de documentaires. J’ai pris conscience que la science-fiction existe bel et bien dans la vie courante, elle réside dans la nature. Nous n’avons pas besoin de créer des effets spéciaux ou d’ajouter des artifices, il suffit d’aller en extérieur et d’observer la nature.
Au fil des années, j’ai également pris conscience des changements climatiques et de l’érosion de la biodiversité. J’ai alors voulu protéger ce vivant. Initialement, je ne m’y connaissais pas du tout en la matière, j’ai donc suivi des études d’écologie pour comprendre le fonctionnement du vivant, savoir comment le protéger, comprendre l’organisation des écosystèmes, leurs évolutions etc.
« J’ai réalisé que c’était une chance de pouvoir admirer ces oiseaux parce qu’il s’agissait peut-être des derniers individus de cette espèce en France »
Qu’est-ce qui vous a amené à choisir la pie-grièche grise comme sujet de votre dernier reportage ?
J’aime beaucoup les oiseaux, c’est un des premiers groupes d’espèces auxquels je me suis intéressé. J’affectionnais déjà beaucoup la pie-grièche écorcheur qui est une espèce que j’essayais de filmer en Île-de-France. J’ai rencontré la pie-grièche grise lors d’un séjour dans le Cantal pour réaliser mon livre sur les zones humides du Massif-Central. J’ai découvert que cette espèce connaît un déclin massif depuis une centaine d’année, suite à l’intensification de notre modèle agricole. Lors de ce séjour, j’ai réalisé que c’était une chance de pouvoir admirer ces oiseaux parce qu’il s’agissait peut-être des derniers individus de cette espèce en France. J’ai alors décidé de réaliser ce petit reportage, en contactant notamment la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) pour m’informer des procédures mises en place pour protéger cette espèce et comprendre les causes de sa disparition.
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Au cours de vos recherches et de la réalisation de ce reportage, quelles ont été les découvertes ou les observations qui vous ont le plus marqué ?
Je connaissais les effets de la dégradation des états naturels et les conséquences des pesticides sur les oiseaux de campagne mais j’ai découvert les effets des traitements antiparasitaires. En effet, les agriculteurs soignent leurs vaches avec des traitements préventifs qui dégradent en réalité l’environnement car énormément d’insectes se nourrissent dans les bouses des vaches. Or, les bouses sont infectées à cause des traitements antiparasitaires donc, in fine, cela nuit aux oiseaux qui s’alimentent de ces insectes.
« Ces éléments plastiques sont nuisibles pour l’espèce puisque les oisillons s’emmêlent fréquemment dedans et peuvent en mourir »
J’ai également été surpris par le nombre de fois où j’ai vu les pies-grièches utiliser des éléments plastiques sur le terrain. Au début, je pensais que c’était un jeu pour elles mais j’ai découvert que ces éléments plastiques sont nuisibles pour l’espèce puisque les oisillons s’emmêlent fréquemment dedans et peuvent en mourir. Une étude polonaise révèle qu’environ 10 % des oisillons meurent à cause des éléments plastiques présents dans les nids.
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« Il faut accepter d’attendre dans des positions peu confortables pour se fondre dans le paysage »
Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés lors de la réalisation de documentaires ou la prise de photographies en nature ?
Je travaille beaucoup dans les zones humides donc il faut réussir à accepter de travailler dans l’eau pendant des heures. Au fur et à mesure des années, je me suis procuré un équipement qui me permet d’être assez à l’aise dans cet écosystème. L’attente peut se révéler difficile cependant elle est délibérée donc je ne trouve pas qu’elle soit si compliquée à vivre. Je profite du plein-air et il y a toujours de l’action en nature, il y a constamment des petits oiseaux ou des rapaces qui passent. Dans le Cantal, j’étais en immersion dans de vastes zones humides très découvertes où il y avait peu d’endroits pour se cacher. Dans ces situations, il faut accepter d’attendre dans des positions peu confortables pour se fondre dans le paysage.
« Rien qu’en France, 50 % des oiseaux sont inféodés aux milieux humides »
Pourquoi vous êtes-vous particulièrement intéressé aux zones humides ?
Il faut savoir que les zones humides constituent un des milieux les plus importants pour la biodiversité puisqu’il s’agit un écosystème particulièrement riche. Rien qu’en France, 50 % des oiseaux sont inféodés aux milieux humides. Ces zones humides sont également essentielles pour l’Homme compte tenu du contexte climatique car elles permettent de stocker l’eau, de la redistribuer, d’absorber les crues, de stocker du carbone, etc. Or, leurs rôles sont incompris par les humains qui perçoivent les zones humides comme des espaces inutilisables. Ces milieux très fragiles sont pourtant vitaux, tant pour l’Homme que pour la biodiversité, c’est pourquoi je me suis donné comme objectif de les valoriser grâce à l’image.
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Selon vous, quel est le rôle des reporters dans la sensibilisation du grand public aux enjeux environnementaux ?
Les reporters sont des passeurs. Il y a les acteurs de terrains comme les agents de la LPO ou les associations qui œuvrent à la protection de la biodiversité et les reporters font valoir le travail de ces acteurs. Par l’image animalière, on essaie aussi de faire ressortir la beauté du vivant en la mettant en valeur pour que le grand public puisse découvrir la beauté de la biodiversité à préserver.
Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui souhaitent se lancer dans la photographie en nature ou la production de reportages ?
Je suis encore moi-même novice mais je pense que ce qui est important quand on essaie de protéger la nature, c’est d’apprendre à la connaître, en s’informant grâce à l’écologie scientifique. Cela permet d’être porte-parole d’un message pertinent d’un point de vue scientifique et naturaliste. Je pense qu’il est aussi important de tenter, de s’entraîner et de créer du contenu parce que c’est par l’expérience qu’on apprend et c’est en rencontrant des experts sur le terrain qu’on prend conscience de certaines problématiques.
« Je cherche à combiner l’image que je produis sur le terrain et la vulgarisation scientifique »
Quels sont vos prochains projets ? Y-a-t-il un sujet que vous aimeriez particulièrement explorer à travers un reportage ?
J’aimerais surtout me développer sur Internet en créant du contenu libre et gratuit sur YouTube. Je ressens une immense liberté en créant et en diffusant directement du contenu sur cette plateforme. Je prévois surtout de réaliser des reportages sur des espèces et des écosystèmes de France et d’Europe, essentiellement sur des oiseaux et des mammifères de zones humides. Je cherche à combiner l’image que je produis sur le terrain et la vulgarisation scientifique. Pour cela, je suis actuellement en voyage en Europe pendant un mois pour découvrir différentes zones humides, notamment dans la région des Balkans, et rencontrer des spécialistes.
Propos recueillis par Marion Lamure
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