La spécialiste de la régénération du microbiote des sols Céline Basset : « la survie de notre espèce dépend de cette fine couche située sous nos pieds et trop souvent négligée »

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Champs en France © Yann Arthus-Bertrand
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Portrait de Cééline Basset Photo DR

La qualité et la santé des sols sont des préoccupations majeures pour l’environnement et la production alimentaire. Le sujet, technique mais essentiel, fait pourtant rarement la Une. L’augmentation des connaissances scientifiques sur les sols a mis en lumière la nécessité d’avoir un sol vivant et doté d’un microbiote en bonne santé. Céline Basset, experte en régénération du microbiote des sols, conduit des travaux de recherches au CNAM (Centre National des Arts et Métiers). Dans cette interview avec GoodPlanet Mag’, Céline Basset revient sur le lien entre la sécurité nationale et la bonne santé des sols. Céline Basset travaille aussi sur le projet de la ferme Blue Soil qui vise à produire tout en régénérant les sols.

Qu’est-ce que le risque d’effondrement du microbiote des sols ?

Il existe plusieurs risques liés à la perte du microbiote des sols. Lorsqu’un sol perd son microbiote, il perd ses fonctions et donc les services qu’il rend aux sociétés humaines.

Un détour nécessaire par les fonctions et services des sols pour comprendre leur importance dans la sécurité nationale

Quels sont les fonctions et les services rendus par les sols ?

Les sols possèdent plusieurs fonctions qui contribuent au bon fonctionnement de l’écosystème. Par exemple, un sol en bonne santé se montre capable d’infiltrer et de stocker l’eau, de rendre les nutriments disponibles pour les racines des plantes, de développer la biomasse végétale, de séquestrer le carbone, de développer le système racinaire en profondeur plutôt qu’en horizontalité, de représenter un support pour la biodiversité au-dessus du sol.

Schéma sur les menaces et les services rendus par les sols. DR Céline Basset

L’ensemble de ces fonctions va délivrer des services écosystémiques. Un sol avec des propriétés et des fonctions en bonne santé va également permettre de doter les plantes d’un système immunitaire les rendant plus en mesure de se défendre face à des maladies comme le mildiou, l’érinose dans les vignes. Par ailleurs, un sol avec un microbiote en bonne santé donne également des aliments avec des meilleures qualités nutritionnelles, le tout en vue de diminuer, voire de proposer des alternatives à l’utilisation des produits phytosanitaires ou du cuivre utilisé en agriculture biologique. Dans le cas des fortes précipitations et du risque d’inondation, un sol en bonne santé s’avère capable d’infiltrer l‘eau et ne va pas s’éroder, ni faire ruisseler les engrais dans les cours d’eau.

Quels sont les risques lorsque la santé d’un sol est dégradée ?

Quand un sol perd ses fonctions, il va s’éroder plus vite. Il sera alors en incapacité d’aider à restaurer le cycle de l’eau. Le sol ne pourra plus devenir et être un habitat propice à la biodiversité du sol qui va de la bactérie au protozoaire en passant par les champignons, les nématodes et les microarthropode (de minuscules insectes) et les insectes. Sans cette vie, le sol se transforme en poussière. Le sol s’érode, s’acidifie, est confronté à la salinisation à cause d’un recours massif aux engrais pour remplacer les nutriments normalement présents dans le sol, mais qui, par manque de microbiote, restent sous forme indisponibles pour les plantes. La dégradation des sols contribue également au changement climatique par la libération de carbone et d’autres gaz à effet de serre tel que le protoxyde d’azote.

Enfin, le sol abimé se tasse pour former une couche compacte dure appelée compaction layer en anglais ou couche de compaction. Elle est l’ennemie numéro 1 de la bonne santé des sols puisqu’elle empêche la circulation des éléments au sein du sol et détruit les couloirs, les galeries et les habitats des organismes vivants dans le sol.

Perte du microbiote des sols, un risque à prendre en compte pour la sécurité nationale

Avez-vous des exemples d’effondrement du microbiote des sols ?

L’histoire ancienne et récente documente des exemples de dégradation massive des sols qui ont abouti à des changements d’écosystème. La région du croissant fertile au Moyen-Orient est devenue un désert. Au XXe siècle, les États-Unis ont connu des tempêtes de poussières causées par l’érosion des grandes plaines qui a été provoquée par une agriculture intensive. Plus proche de nous, l’agriculture intensive transforme peu à peu la plaine de la Beauce en terres arides. Toujours en France, les grandes plaines du Vaucluse sont en train de devenir des steppes en raison d’un modèle agricole qui néglige la partie biologique du sol. Avoir ce paysage de steppe est le symptôme d’un processus mortifère engagé il y a 60 ans. Outre la disparition de la biodiversité à la surface, l’observation de la biodiversité du sol au microscope permet de constater qu’on est seulement au stade 1 ou 2 de la succession écologique, c’est-à-dire face à un sol peu vivant.

Quelles sont les conséquences d’un tel état des sols ?

Il y a d’un côté l’affaiblissement de la production agricole avec une baisse des rendements de la productivité des sols, l’augmentation des coûts de production et de l’autre les catastrophes naturelles. On l’a vu en France avec des inondations. Un sol imperméabilisé parce que trop tassé et manquant de vie microbienne ne remplit plus ses fonctions. Il empêche l’eau de s’infiltrer. Cela s’observe dans les champs en France. L’eau stagne sur les champs sans s’infiltrer ni s’écouler pendant des heures voire des jours.

« Le sol n’est pas sale et il est avant tout le fondement de nos civilisations »

Les glissements de terrain sont un autre bon exemple des répercussions de la dégradation des sols. Ils peuvent être liés à la déforestation car lorsqu’un arbre est coupé, le sol cesse de bénéficier des racines de cet arbre-là. Or, les racines contribuent à la biologie du sol. Le sol devient alors « non-vivant » et se trouve fragilisé en cas de fortes pluies. Il arrive alors que le sol dévale.

[À lire aussi Lydia Bourguignon, au chevet de la terre et des sols]

Récemment, je me suis rendue au Vietnam dans, la région de Đắk Lắk. En avril dernier, celle-ci annonçait une perte de 80 % de sa récolte de café en raison d’une sècheresse aggravée par le fait que les sols en mauvaise santé résistent moins aux stress abiotiques. Ces derniers ne sont donc plus en mesure de se protéger de la sécheresse qui sévit. La région, pourtant située en milieu subtropical, se transforme peu à peu en désert.

En quoi la disparition du microbiote des sols représente-t-elle un risque pour la sécurité nationale et la souveraineté ?

Envisager la qualité du microbiote des sols comme une problématique de sécurité nationale est une approche intersectionnelle intéressante pour de nombreuses raisons. La santé du microbiote des sols, la sécurité alimentaire et la sécurité nationale forment une trinité de sécurité. Il y a d’une part la sécurité alimentaire qui est reliée à la sécurité nationale, mais qui est pensée sous forme de dépendance aux chaînes d’approvisionnement mondiales qui sont vulnérables aux situations géopolitiques et aux prix volatiles. On importe des graines, des fertilisants, des produits chimiques et de l’énergie. Pour reprendre les mots de l’expert en alimentation et sécurité Stéphane Linou, quelles seraient donc les conséquences d’une rupture des chaînes d’approvisionnement sur la sécurité alimentaire aujourd’hui ? Avons-nous des stocks stratégiques ?

Puis d’autre part, il y a la sécurité alimentaire qui est reliée à la santé des sols. Beaucoup de recherches et d’initiatives proposent des alternatives pour une gestion des sols plus durable mais les efforts restent encore épars et non coordonnés par la commande publique. Si bien que les sols, en l’état actuel, seraient-ils capables de fonctionner et de produire sans les perfusions, que sont les intrants, les graines et l’énergie, acheminés par les chaînes d’approvisionnements ?

Jamais encore on avait relié le sujet de la santé des sols à celui de la sécurité nationale.

« La santé des sols, la sécurité alimentaire, et la sécurité nationale forment une trinité de sécurité. »

Dans son acception la plus large, au-delà de la défense face à des menaces militaires, la sécurité nationale doit assurer la sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire repose sur 4 piliers : l’accès, la disponibilité, la stabilité et l’utilisation (FAO 2009). Ces piliers dépendent intrinsèquement de la qualité des sols.

Or, on sait que nous ne disposons pas de beaucoup de journées de stocks ni de réseaux de distribution de la nourriture autres que ceux dépendants des chaines d’apprivoisement actuels. En clair, il existe une distanciation entre le producteur et le consommateur. Ce constat amène à se demander : si, aujourd’hui, une des chaines d’approvisionnement du secteur agricole se rompt, sommes-nous en capacité de nourrir une métropole comme Paris ou Lyon ? et l’ensemble des habitants du territoire ?  En tentant de répondre à ces questions, on s’aperçoit qu’un des pivots de la sécurité est la santé de l’écosystème sol car ce dernier sustente le cycle de l’eau, atténue les dérèglements climatiques et réintroduit une production agricole diversifiée.

« On s’aperçoit qu’un des pivots de la sécurité est la santé de l’écosystème sol »

Pourquoi l’angle des chaînes d’approvisionnements ?

L’agriculture conventionnelle, outre les dégâts écologiques et les dégâts sur le sol qu’elle cause, dépend des chaines d’approvisionnement. En effet, les graines, le pétrole, les engrais et les pesticides sont achetés par les agriculteurs. Si on regarde plus loin, on en vient à penser la santé des sols comme un axe de la sécurité nationale, non seulement pour la France mais aussi pour l’ensemble des pays dans le monde.

Est-ce que cette problématique est bien comprise par l’État ?

Répondre à cette question est compliqué. Pour l’instant, la bibliographie scientifique montre que d’autres pays, notamment la Chine et la Russie, prennent déjà en compte cet enjeu en parlant de « sécurité écologique ». Ils sont partis de la question de la dépendance des chaines d’approvisionnement et donc des pays extérieurs, sans pour autant tomber dans le repli économique, pour constater qu’ils devaient rétablir les fonctions de leurs sols sur leur territoire. Leur objectif est de réduire leur dépendance afin d’assurer leur résilience alimentaire perçue comme une source de bien-être pour la société.

« D’autres pays, notamment la Chine et la Russie, prennent déjà en compte cet enjeu en parlant de sécurité écologique. »

Des travaux scientifiques conduits par Montanarella et Panagos en 2021 indiquent que l’Europe dispose d’un plan pour préserver la qualité et les fonctions des sols. Cependant, l’adoption d’un cadre législatif homogène pour les sols et le lien avec la sécurité nationale ne sont pas établis, en raison de la souveraineté des pays membres.

Je pense que les sols ne devraient pas subir les affres des frontières administratives afin de bénéficier d’une réglementation harmonisée en faveur du bon fonctionnement de l’écosystème sol partout dans le monde. Il en va de la survie de notre espèce qui dépend de cette fine couche située sous nos pieds et trop souvent négligée.

En 1992, le Sommet de la Terre de Rio fonde à la fois une prise de conscience écologique mondiale qui se traduit par 3 conventions internationales pour préserver l’environnement. L’une d’elle est consacrée à la désertification et la dégradation des sols. Est-ce que la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification prend en compte la bonne santé du microbiote des sols ?

Il existe dans cette convention des outils bien conçus afin de sensibiliser aux sols en parlant de leur dégradation, de la salinisation etc… Toutefois, le fonctionnement du sol est souvent résumé à une mécanique physico-chimique, sans prendre en compte la dimension biologique du sol. Le sol est un être vivant. Il est de surcroît un habitat qui voit émerger le petit peuple du sol constitué de multiples micro-organismes vivants.

[À lire aussi George Monbiot : « il est important de déconstruire le mythe selon lequel l’agriculture permet à l’être humain de vivre en harmonie avec la nature »]

Il est néanmoins reconnu par l’Europe ainsi que par le Soil Health Institute aux États-Unis que la sensibilisation du grand public concernant les sols, appelée connectivité dans le cadre scientifique, doit être renforcée. Cela permettrait une meilleure compréhension des enjeux et une meilleure prise en compte de ce sujet par les législateurs et l’ensemble des parties prenantes de la société humaine.

Cela pourrait amener l’ensemble des acteurs de la société à prendre en compte le fonctionnement des sols qui n’est pas purement mécanique puisqu’il abrite tout un petit monde en grande partie invisible.

Comment prévenir le risque ?

Il est hélas déjà trop tard car, en raison des pratiques agricoles, le sol est retourné aux premiers stades de la succession écologique, soit un sol nu. Il suffit d’observer les sols agricoles en France. Des siècles et des siècles de développement du microbiote des sols ont été détruits par des pratiques conventionnelles intensives.

La prévention de la dégradation du sol reste possible dans les pays qui ne se sont pas encore massivement tournés vers les pratiques agricoles intensives portés par la « révolution verte », ni ne se sont massivement mécanisés. Il faut les dissuader de déforester et initier de nouvelles machines prenant en compte « le règlement intérieur du sol », pour à la fois gérer et diversifier la production sur de grande surfaces, tout en prenant en compte les paysans et le capital sol.

Pour les pays industrialisés, je pense qu’on est plutôt dans une phase de réparation.

« Si on ne commence pas par restaurer en premier le socle que constitue l’écosystème sol, il sera alors ensuite difficile de restaurer les autres écosystèmes. »

Il faut commencer par restaurer le sol pour rétablir le cycle de l’eau et les services écosystémiques ainsi que la biodiversité au-dessus du sol et développer l’agroforesterie. Si on ne commence pas par restaurer en premier le socle que constitue l’écosystème sol, il sera alors ensuite difficile de restaurer les autres écosystèmes.

 Justement, comment faire pour réparer le sol d’un point de vue biologique ?

Le rétablissement des fonctions du sol est une succession de stades qu’on appelle la succession écologique. Il faut bien comprendre qu’en général, il faut entre 100 à 1000 ans pour passer d’un sol nu à une forêt. Les délais régénératifs naturels d’un sol varient grandement en fonction des conditions pédoclimatiques, de l’état initial du sol et d’autres facteurs encore. En France, sans compter les sols artificialisés, les sols nus représentent 28 millions d’hectares sur un territoire de 55 millions d’hectares. On recommence donc depuis le début.

Schéma fourni par Céline Basset sur le développement de la biodiversité des sols DR

Pour simplifier, nous ne savons pas combien de temps il faut pour qu’un sol retrouve une bonne santé et devienne productif. Cependant, nos agriculteurs, qui dépendent de sols fertiles pour nous nourrir et subvenir à leurs besoins, se retrouvent avec la lourde tâche de les restaurer autant que possible sans réelle planification de la transition, ni commande publique concrète pour les soutenir dans cet effort. Un écosystème sain et fonctionnel n’est pas un tout fermé en vase-clos, mais dépend de ce qu’on appelle la succession écologique, c’est-à-dire des stades successifs de milieux et d’espèces qui interagissent ensemble. Au niveau et en dessous du sol, une complexification progressive des organismes et de leurs relations s’opère. Cela nécessite du temps pour partir de la bactérie jusqu’à un réseau trophique complet. Il y a 5 acteurs nécessaires à la bonne santé des sols : bactéries, champignons, protozoaires, nématodes et microarthropodes. Ce club des 5 doit impérativement réoccuper les sols.

Il est nécessaire que la législation encourage la protection des sols et que les pouvoirs publics établissent une planification de la transition du modèle agricole actuel vers des pratiques durables afin de réduire la dépendance aux vulnérabilités des chaînes d’approvisionnements, mais aussi pour réduire les coûts de production liés à l’utilisation des intrants chimiques. Une coordination nationale et internationale de la régénération des sols serait un plan d’action à envisager pour renforcer les initiatives isolées existantes qui ne reçoivent que peu de soutien.

[À lire aussi La biochimiste Sandrine Claus : « les microbiotes des sols se sont appauvris en raison des pratiques de l’agriculture intensive conventionnelle »]

Avez-vous un dernier mot ?

La sensibilisation sur les sols se montre cruciale. Le sol n’est pas sale et il est avant tout le socle de nos civilisations. Bien que le sujet puisse paraitre complexe, il y a des choses très simples à retenir sur le bon fonctionnement du sol, son utilisation et son rôle dans le cycle de l’eau, de l’agroforesterie, de l’agriculture, le cycle du carbone et du climat, et sa place dans le vivant. Mieux connaitre le sol permet d’apprendre à le respecter.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Le site Internet de Céline Basset  et celui de La Ferme Blue Soil – Produire en régénérant les sols

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Un commentaire

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    • Saulnier-arrighi

    Très intéressant