Compteurs d’eau connectés : comment inciter les agriculteurs à optimiser leur gestion de l’eau ?

irrigation cultures

Irrigation de cultures. Lumin Osity / Unsplash, CC BY

Dans un contexte de changement climatique et de sécheresse accrue, améliorer l’utilisation de l’eau pour l’agriculture est une priorité pour les autorités publiques chargées de la gestion de cette ressource.

Aujourd’hui 70 % de l’eau douce dans le monde est utilisée pour l’agriculture, et d’ici 2050, nourrir 9 milliards de personnes nécessitera une augmentation de 50 % de la production agricole et de 15 % des prélèvements d’eau consacrés à l’agriculture. En France aussi, l’usage de l’eau en agriculture est source de tensions.

Les compteurs d’eau communicants, intelligents ou connectés (par opposition aux compteurs mécaniques) apparaissent comme une opportunité pour mieux gérer cet usage dans l’agriculture, mais seulement 5 % des agriculteurs les utilisent aujourd’hui. Dès lors, comment généraliser leur utilisation ? Des incitations peuvent-elles être mises en place pour favoriser leur adoption ?

Compteurs communicants : qu’est-ce que c’est ?

Les compteurs d’eau intelligents sont des appareils connectés qui peuvent stocker et transmettre des données individuelles sur la consommation d’eau à une fréquence élevée. Ils sont généralement connectés à une plate-forme en ligne permettant un accès facile aux données collectées. Ils enregistrent des informations sur la consommation d’eau, en temps quasi réel, et permettent une communication entre le compteur et un système central (dans le cas présent, le gestionnaire local de l’eau). Dans les régions où les agriculteurs sont équipés de compteurs d’eau intelligents, cela facilite le travail des gestionnaires des ressources en eau qui peuvent ainsi mieux anticiper les besoins et mieux planifier les lâchers d’eau (évacuation contrôlée d’une fraction d’eau d’un barrage) par exemple.

Cependant, moins de 5 % des agriculteurs français disposent d’un compteur intelligent. Il s’agit d’une technologie encore relativement récente et certains agriculteurs restent assez méfiants sur l’usage qui pourrait être fait de leurs données détaillées de consommation d’eau. Changer son compteur mécanique pour un compteur connecté a aussi un coût pour les agriculteurs. Tout cela explique que cette technologie mette du temps à se développer. Les pouvoirs publics ont donc tout intérêt à faciliter leur adoption, sachant que de tels outils pourraient également servir à concevoir de nouvelles politiques de l’eau (stratégies de tarification, objectifs de réduction de la consommation d’eau, etc.)

Comment généraliser l’utilisation des compteurs d’eau ?

Un moyen d’encourager l’adoption volontaire des compteurs d’eau communicants est de présenter aux agriculteurs les nouveaux services que peuvent rendre ces compteurs. Ils permettent, par exemple, de recevoir des alertes instantanées en cas de consommation d’eau anormale (fuites) et accéder à des informations sur la consommation d’eau des autres agriculteurs de leur secteur. Une autre manière d’inciter les agriculteurs à changer de compteur est d’accorder une subvention à ceux qui adoptent un compteur communicant.

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Différents types de subventions peuvent être mis en œuvre. Le plus simple consiste à verser une somme forfaitaire à tous les agriculteurs qui adoptent un compteur d’eau intelligent.

Dans l’étude que nous avons menée, nous proposons de tester une subvention conditionnelle, c’est-à-dire une subvention qui n’est versée à l’agriculteur qui adopte un compteur communicant que si suffisamment d’agriculteurs optent eux aussi pour ce type de compteur. Autrement dit, il faut que, collectivement, les agriculteurs atteignent un seuil prédéfini de participation pour que la subvention leur soit versée. Nous pensons que ce type de subvention conditionnelle peut être une incitation efficace pour initier une dynamique de changement de compteur sur un territoire.

Une subvention conditionnelle

Deux facteurs principaux justifient cette subvention conditionnelle. Le premier est lié aux gains attendus de l’adoption de ces compteurs en termes de gestion de l’eau : plus le nombre de compteurs communicants sera élevé au sein d’un territoire, meilleure sera la gestion de la ressource et plus faible sera le risque de pénurie d’eau. Cela signifie qu’un certain taux d’adoption doit être atteint pour que cette nouvelle technologie soit efficace.

Le deuxième facteur est lié au rôle joué par les normes sociales dans l’adoption des nouvelles technologies. Lorsque les individus préfèrent agir comme la plupart des autres, la modification des croyances sur ce que les autres vont faire peut conduire à des changements de comportement rapides. Les politiques publiques peuvent donc jouer un rôle important en donnant de bonnes raisons aux individus de modifier leurs croyances à l’égard des normes sociales. L’introduction d’une subvention collective conditionnelle est un moyen de modifier les croyances des agriculteurs quant à l’importance de l’adoption de ces compteurs d’eau et ainsi les inciter eux-mêmes à adopter un compteur d’eau communicant. En effet, la subvention conditionnelle indique à chaque agriculteur que l’incitation à adopter un compteur intelligent a changé, non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres. Cela peut avoir un impact direct sur leur croyance concernant le taux d’adoption par leurs pairs et donc, en fin de compte, modifier la norme sociale en faveur des compteurs d’eau communicants.

Deux paramètres de la subvention conditionnelle peuvent avoir un impact sur l’adhésion à la nouvelle technologie : le montant de la subvention et le seuil ou taux de participation à atteindre collectivement pour en bénéficier. Évidemment, plus le montant de la subvention est élevé, plus cela favorise l’adoption d’un compteur communicant. En revanche, l’impact du seuil n’est pas clair, puisqu’un seuil bas (disons 25 %) est plus facile à atteindre qu’un seuil élevé (75 %) mais risque de ne pas générer d’effet via les normes sociales. À l’inverse, un seuil élevé peut avoir un impact via les normes sociales, mais risque de décourager les agriculteurs qui craignent que ce seuil ne soit pas atteint. Il faut donc tenter de comprendre comment différents seuils (25, 50 et 75 %) liés à la subvention conditionnelle influencent l’adoption individuelle des compteurs d’eau intelligents.

Que répondent les premiers concernés ?

Pour ce faire, nous avons réalisé une enquête en ligne auprès de plus de 1200 agriculteurs afin d’avoir une idée plus précise de la valeur que les agriculteurs accordent aux différents services ou caractéristiques des compteurs d’eau communicants. L’enquête, diffusée par mail par un institut de sondage, s’adressait à tous les agriculteurs en France, quels que soient leur taille et leur système d’exploitation (grandes cultures, polycultures-élevage, élevage…)

Chaque agriculteur se voit présenter différentes options parmi lesquelles il doit choisir le type de compteur d’eau qu’il préfère. Les compteurs communicants présentés se distinguent selon 5 caractéristiques. La première est l’accès ou non à l’« information sur la consommation des autres agriculteurs du secteur », c’est-à-dire à la consommation d’eau moyenne des autres agriculteurs dans la zone géographique du répondant.

Cela permet aux agriculteurs de comparer leur consommation d’eau avec celle de leurs pairs et d’ajuster leur consommation en conséquence s’ils le souhaitent. La deuxième caractéristique est la possibilité ou non d’avoir une « alerte consommation anormale » qui est un message instantané qui informe les agriculteurs d’une potentielle fuite. La troisième caractéristique porte sur la « confidentialité des données » qui garantit la confidentialité totale de toutes les données individuelles de consommation enregistrées par les compteurs intelligents. La quatrième caractéristique est la subvention conditionnelle associée à l’achat d’un compteur communicant. Il peut ne pas y avoir de subvention ou celle-ci peut être de 300 ou 500€ si le seuil annoncé est atteint (25 %, 50 % ou 75 %). Enfin, la dernière caractéristique est le prix d’achat du compteur communicant.

Les différents choix proposés lors de notre enquête.
Fourni par l’auteur

Avec un traitement des réponses approprié, cette méthode d’enquête permet d’obtenir la valorisation par les agriculteurs de chacune des caractéristiques des compteurs communicants. Ainsi, bien qu’en moyenne, les agriculteurs ont tendance à vouloir conserver leur situation actuelle (un compteur mécanique ou aucun compteur) la plupart des agriculteurs accepteraient un compteur communicant si celui-ci leur permet de recevoir une alerte en cas de consommation d’eau anormale et/ou si la confidentialité de leurs données est garantie.

Par ailleurs, la subvention conditionnelle incite bien les agriculteurs à adopter un compteur communicant, mais étonnamment, son impact ne dépend pas du seuil collectif annoncé. En effet, un seuil élevé (75 %) ne les décourage pas, car il est compensé par un effet positif de la norme sociale. Ceci est confirmé par l’analyse des croyances des agriculteurs sur le nombre d’agriculteurs dans leur secteur qui seraient prêts à adopter un compteur communicant. Ces croyances sont effectivement modifiées par le niveau de seuil annoncé. Ces résultats plaident en faveur de la mise en œuvre d’une subvention conditionnelle avec un seuil d’adoption collectif élevé.

La réticence des agriculteurs est toute relative vis-à-vis des compteurs d’eau communicants. La mise en place d’un nouveau type d’incitation telle que la subvention conditionnelle pourrait relancer l’intérêt des agriculteurs vis-à-vis de cette nouvelle technologie qui, de plus, offre de nouveaux services aux agriculteurs. Ainsi, une politique publique favorisant la diffusion des compteurs d’eau communicants tout en garantissant la confidentialité des données pourrait contribuer à améliorer la gestion collective de l’eau pour l’agriculture.The Conversation

Raphaële Preget, Chercheure en économie de l’environnement, Inrae et Laetitia Tuffery, Enseignante-chercheuse en Economie, Chercheure associée PSAE, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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