Vers une remise en cause profonde de la place de la voiture individuelle en ville ?

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La Défense - La Grande Arche et la perspective sur l'Arc de Triomphe. © Yann Arthus-Bertrand

La complexe question de la place de la voiture en ville fait l’objet de controverses depuis des décennies. Toutefois, une récente étude de l’ADEME remet le sujet en perspective en montrant une évolution favorable à une réduction de la place de l’automobile en ville. On apprend dans le rapport Acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture publié en septembre 2024 que, aux dernières élections municipales de 2020, 83 % des mesures présentées par les candidats dans les 11 plus grandes villes de France (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Rennes, Strasbourg et Toulouse) mettaient en avant la diminution de la voiture. De plus, dans les villes de plus de 100 000 habitants, le soutien en faveur des mesures pour limiter la présence et l’impact de l’automobile individuelle, emporte l’adhésion d’une majorité des citoyens. Ainsi, selon un sondage IFOP cité par l’ADEME, « 77 % des habitants sont favorables à la création de zones piétonnes, 65 % soutiennent la limitation de vitesse à 30 km/h, et 85 % approuvent le développement de pistes cyclables, illustrant une tendance claire vers une acceptation sociale des mesures de mobilité durable. »

Acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture, capture d’un schéma résumant les principales mesures en faveur de la limitation de la place de la voiture dans les programmes électoraux aux élections municipales de 2020 DR ADEME

Remettre en cause la place de la voiture dans les villes, un enjeu qui ne date pas d’hier

La place de la voiture dans la ville est questionnée depuis des années en raison des nuisances locales qu’elle engendre comme les embouteillages, le bruit, la pollution de l’air, les risques en termes de sécurité routière et de santé publique ou la nécessité, surtout en temps de crise comme les chocs pétroliers, de réduire la consommation d’énergie. Avec la lutte contre le changement climatique, le sujet a pris une autre dimension. Le secteur des transports, qui dépend toujours fortement des énergies fossiles dont le pétrole, représente en effet 31 % des émissions de gaz à effet de serre du pays. La moitié de ces émissions (54 %) provient de la voiture individuelle. Les raisons de diminuer l’usage de la voiture sont nombreuses. Cependant, cette dernière a pendant longtemps été perçue comme un progrès, une forme d’émancipation et associée à la liberté. La remettre en cause était alors difficile. Les décideurs politiques étaient persuadés que des politiques pour diminuer la place de la voiture seraient mal reçues. L’ADEME rappelle ainsi dans son rapport que, d’après une étude d’opinion de 1999, une époque où l’idée de réduire la place de la voiture émergeait, une majorité des maires (68 %) et des citoyens (72 %) étaient favorables à limiter la voiture en ville. Cependant, les élus pensaient dans le même temps, que seulement 27 % de leurs concitoyens partageaient leur avis.

Capture d’écran du graphique présent dans le rapport Acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture résumant l’opinion des Français, des élus et de la perception des élus sur la réduction de la voiture en ville DR ADEME

L’ADEME met aussi un lumière un fait marquant sur la connaissance des impacts de l’automobile et les manières d’y faire face. On lit dans le rapport que « le nombre de publications scientifiques sur la réduction de l’usage de la voiture, compte tenu de ses impacts sur la planète, a explosé, passant de moins de 4 000 articles en 1975 à plus de 130 000 en 2022. » Ces éléments aident à mieux comprendre les problèmes posés qui trouvent ensuite une traduction progressive dans les politiques publiques.

Des évolutions en faveur d’une acceptation de restrictions sur la place de la voiture en ville

Savoir ne suffit pas pour agir. En effet, la remise en cause de la voiture fait souvent l’objet de critiques voire d’oppositions. L’ADEME explique : « l’acceptabilité sociale de ces mesures dépend de plusieurs facteurs : le contexte socio-économique et territorial, la possession d’un véhicule motorisé, la dépendance automobile dans les zones périphériques, la perception de l’impact direct des mesures sur le quotidien, et surtout la manière dont elles sont intégrées dans un programme global de transformation urbaine ». Elle insiste donc sur la nécessité d’associer les habitants aux décisions en les consultant, en construisant avec eux les projets et en leur proposant des alternatives concrètes. Même si des réticences et oppositions existent à un moment donné, cela ne veut pas dire qu’il est impossible de les surmonter. L’ADEME donne en exemple le cas du tramway de Brest, dont le projet avait initialement été refusé par 80 % des votants lors d’un référendum. Puis, grâce à un travail local pour améliorer le projet, celui-ci a pu voir le jour et transporte quotidiennement 30 000 voyageurs. Des exemples similaires où un projet de réduction de la voiture, comme la piétonisation, témoignent d’oppositions qui une fois le projet mené à bien s’estompent voire disparaissent au vu des bienfaits apportés par une réduction de la voiture.

Certes, l’étude sur l’Acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture enseigne une nouvelle fois la nécessité, en matière d’écologie et de gouvernance, de prendre le temps de construire les projets en impliquant la population. Le changement social et comportemental ne se décide pas. Il nécessite avant tout de la pédagogie et de l’accompagnement afin d’arriver à des résultats. À cela s’ajoute les technologies et alternatives disponibles, car une baisse de la voiture ne peut aussi réussir qu’avec le développement des mobilités douces, de nouveaux moyens de transports et une réflexion sur l’urbanisme.  Mais, le sujet de la voiture concerne tout le territoire français, pas seulement les grandes villes. À l’échelle du pays, plus par contrainte que par choix, en raison de l’étalement urbain, la dépendance à la voiture d’une grande partie de la population reste forte. Dès lors, comment dans les régions moins denses que les villes, parvenir à trouver des alternatives pour diminuer l’impact d l’automobile ? Par de nouveaux modèles électriques (mais chers) ? Par des véhicules alternatifs plus petits et légers ? Par des nouveaux réseaux de transports ? Par des changements d’habitudes (moins d’autosoisme, le fait de prendre la voiture seul, plus de covoiturage) et une relocalisation des activés et des services à proximité ? Ce sont aussi des défis pour le XXI siècle auquel le rapport de l’ADEME n’a pas vocation à répondre, mais dans lequel on pourrait trouver certains enseignements utiles pour les relever.

Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

L’étude de l’ADEME Acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture – La librairie

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Un commentaire

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    • Guy J.J.P. Lafond

    Très bon exposé. Merci.
    Il y a donc encore beaucoup de pain sur la planche pour des urbanistes, des ingénieurs, des maires et des chefs d’État pour décarboner et aussi pour désengorger toutes les grandes villes du monde de toute cette ferraille lourdes et polluante sur quatre roues.
    Toutes les multinationales de la fabrication automobile devraient commencer à réduire leur production.
    Rien n’est devenu plus urgent pour la qualité de la vie sur Terre que de respirer de l’air pur et que de boire de l’eau cristalline.
    @Guy J.J.P. Lafond
    Un digne représentant à vélo d’une société civile saine de corps et d’esprit, n’en déplaise peut-être et encore à des juges en moto ou en auto en Amérique du Nord.