La 29e Conférence des parties sur le climat s’ouvre le 11 novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan. Elle sera consacrée aux modalités de financement de la transition énergétique, stratégie conclue à l’issue de la COP28 de Dubaï. Pourtant, tout miser sur les technologies de production et de consommation d’énergie qui n’émettent pas de gaz à effet de serre et sur les technologies de captation de CO2 ne consiste-t-il pas à reproduire une stratégie désormais inadaptée aux enjeux qui nous attendent ?
La 28ᵉ Conférence des Parties (COP28) de Dubaï a marqué un tournant dans la politique climatique en promouvant une stratégie centrée sur une transition énergétique pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, visant à limiter le réchauffement climatique entre +1,5 °C et +2 °C par rapport à l’ère pré-industrielle et ses effets les plus dramatiques.
Cette transition énergétique implique le financement massif par les États de technologies de production et de consommation d’énergie qui n’émettent pas de gaz à effet de serre (GES), ainsi que de technologies de captation de CO₂.
La COP29, qui se tiendra du 11 au 22 novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan, devrait être largement consacrée aux modalités de son financement. Mais cette stratégie techno-solutionniste, qui implique une importante croissance économique, ne risque-t-elle pas de nous enfermer dans ce que l’on appelle des « pièges évolutifs » ?
Qu’est-ce qu’un piège évolutif ?
En biologie de l’évolution, le concept de piège évolutif fait référence à un comportement qui était auparavant bénéfique pour une espèce et qui devient inadapté et nuisible en raison de changements rapides de son environnement. Par exemple, les oiseaux de mer, qui avaient l’habitude de trouver leur nourriture dans l’eau, risquent désormais de la confondre avec les déchets plastiques qui flottent à la surface, dont l’ingestion peut causer des obstructions intestinales, des blessures et parfois la mort.
Ce concept a été adapté à l’analyse de la trajectoire évolutive de l’espèce humaine : cela a permis d’identifier plusieurs pièges évolutifs de nature technologique, structurelle ou organisationnelle.
Prenons le cas de l’interconnexion globale, qui caractérise aujourd’hui nos sociétés : elle facilite certes l’échange de ressources indispensables, mais accélère aussi la propagation mondiale des maladies infectieuses. De même, l’usage intensif d’engrais et de pesticides en agriculture augmente la productivité mais engendre une pollution qui affecte les écosystèmes et la santé humaine. Le court-termisme en gouvernance est populaire car il permet des résultats rapides et mesurables mais il mène à négliger les conséquences à long terme.
Analysons à présent les choix prônés par les dernières COPs en matière de stratégies envisageables pour réduire notre impact environnemental au prisme de ce risque des pièges évolutifs.
Trois leviers pour limiter notre impact environnemental
En 1972, le biologiste Paul R. Ehrlich et le physicien John Holdren ont proposé l’identité mathématique I=(P*A*T). Cette dernière propose que l’impact environnemental (I) d’une société soit fonction de la taille de sa population (P), de sa richesse (A) – c’est-à-dire du nombre de biens et de services consommés par individu – et des technologies utilisées (T). Une variante plus récente de IPAT est le modèle proposé en 1997 par l’économiste Yoichi Kaya qui se focalise sur la quantité de CO2 émise par une société.
Bien qu’imparfait, le modèle IPAT a le mérite d’offrir un cadre de réflexion sur les différents leviers mobilisables pour limiter l’impact environnemental, en suggérant que l’on devrait agir à la fois sur la population, la richesse et les technologies utilisées.
Examinons d’abord la question de la population : depuis la révolution industrielle, celle-ci a été multipliée par 8 à l’échelle mondiale. Cette croissance a eu des impacts environnementaux importants qui justifieraient un contrôle démographique. Cependant, la fécondité humaine mondiale a chuté ces 20 dernières années et serait déjà au-dessous du seuil de renouvellement de la population – elle ne paraît donc pas le premier levier à mobiliser.
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La technologie, une solution dangereuse
Penchons-nous à présent sur la technologie, souvent considérée comme la meilleure option pour diminuer les émissions de CO2 sans entraver la croissance économique et, grâce à la captation du CO2, sans devoir renoncer aux énergies fossiles. Elle s’est imposée comme la variable clé de la stratégie de transition énergétique prônée par la COP28. Pourtant, si le GIEC confirme la nécessité de miser sur la technologie, il insiste également sur le fait qu’elle ne suffira pas à tenir l’objectif de +1,5 degré.
En outre, certaines innovations technologiques peuvent conduire à des pièges évolutifs : le remplacement des véhicules thermiques par des électriques l’illustre. Comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie, la consommation en matériaux et minerais est bien plus importante pour produire une voiture électrique qu’une voiture thermique et l’extraction de ces minerais pose de graves problèmes sociaux et écologiques dans les pays du Sud.
Or, la dégradation des écosystèmes peut diminuer leur capacité d’absorption de CO₂ et augmenter indirectement les émissions de CO2.
La prospérité sans croissance, une piste à explorer ?
Concernant la richesse de la population, mesurée indirectement par le Produit intérieur brut (PIB), elle n’a cessé de croître depuis la révolution industrielle. À tel point qu’aujourd’hui, les classes moyennes constituent la moitié de la population mondiale et la croissance de la consommation matérielle le principal moteur de l’augmentation des émissions de GES, devant la croissance démographique.
Réduire l’impact de la richesse impliquerait une sobriété collective, ce que recommande le GIEC dans son 6ᵉ rapport. Mais, bien que rationnel, cet appel a peu de chance d’être écouté. Les populations des pays pauvres et émergents aspirent à l’amélioration de leur niveau de vie et celles des pays riches pensent déjà être sobres. Dans une étude de l’Ademe, 83 % des Français répondent oui à la question « diriez-vous que les gens consomment trop en France ? » mais 82 % « pensent avoir un mode de vie déjà sobre ».
La sobriété ou la décroissance sont donc difficilement vendables aux électeurs, mais aussi difficilement tenables économiquement : la baisse de production entraînerait une augmentation du chômage. Avec pour effet des pressions sociales pour la relance des investissements, ainsi qu’une moindre capacité des États à financer le paiement de leurs dettes et à investir dans des politiques climatiques. C’est un autre piège évolutif lié à notre système économique, qui exige une croissance continue du PIB.
Dès lors, la seule option acceptable consisterait à maintenir un niveau de vie élevé tout en diminuant le prélèvement sur les ressources naturelles et les émissions de GES qui en résultent. Ainsi les économistes Tim Jackson, avec le concept de prospérité sans croissance, Gaya Herrington avec sa relecture des travaux du club de Rome et Robert Costanza, avec la promotion d’une politique de bien-être durable, proposent de réorienter investissements et consommation vers des activités qui assurent le bien-être des populations, comme les infrastructures, l’éducation et la santé.
Échapper aux pièges évolutifs
Dans une perspective évolutionniste, les crises environnementales actuelles apparaissent comme les conséquences de l’évolution de notre espèce : celle-ci étant caractérisée par une compétition intergroupe qui s’est considérablement complexifiée et globalisée au 20e siècle. Cette dynamique compétitive aurait favorisé des groupes de plus en plus grands, pratiquant une surexploitation des ressources naturelles.
Mais les choix culturels, technologiques et organisationnels sélectionnés par cette dynamique, qui sont au cœur de la stratégie de transition énergétique prônée par les COP, s’avèrent aujourd’hui des pièges évolutifs qui entraînent un dépassement des limites planétaires et une dégradation de plus en plus prononcée de notre environnement, susceptible de mener à l’effondrement de nos sociétés.
Sortir de ces pièges liés aux technologies et à la croissance économiques ne sera pas aisé. D’après le biologiste Peter Corning, cela impliquerait une transition de nos sociétés vers une sorte de « superorganisme mondial » afin de briser la logique de compétition intergroupe et permettre l’émergence de processus d’auto-régulation en faveur d’une économie durable. Car toute initiative limitée au niveau national se solderait par une perte de compétitivité du ou des pays qui mettraient ces politiques en place.
Il est malheureusement évident que l’ordre international actuel, dominé par la compétitivité économique et les rapports de force militaires, rend cette transition irréaliste. Le nombre de pays en proie à des conflits est le plus élevé depuis 30 ans et le changement climatique risque encore d’accroître leur fréquence et leur intensité. Pourtant, une récente étude montre que 89 % de la population mondiale est favorable à une intensification de l’action climatique.
L’enjeu de cette COP, comme des suivantes, ne devrait pas se limiter à trouver des accords sur le financement d’une transition énergétique, mais faire émerger une véritable coopération internationale pour construire une politique de réduction des GES fondée sur une économie durable. Le temps presse : nous sommes très proches d’un dépassement des objectifs de Paris et tout porte à croire que les conséquences de ce dépassement seraient irréversibles.
COP29 : l’espèce humaine prise au piège de son techno-solutionnisme ? par Philippe Naccache, Professeur Associé, INSEEC Grande École et Eric Muraille, Biologiste, Immunologiste. Directeur de recherches au FNRS, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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