Glomel (France) (AFP) – Pendant 50 ans, la carrière d’andalousite n’avait gêné presque aucun des 1.400 habitants de Glomel (Côtes d’Armor). Mais l’autorisation d’une quatrième fosse en juin a mis le feu aux poudres, l’opposition dénonçant des pollutions et une « fabrique du silence » entretenue par l’exploitant, Imerys.
« Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », souffle Jean-Yves Jégo, conseiller municipal d’opposition et membre du collectif Mines de Rien qui lutte contre l’extension de cette carrière d’andalousite, minerai utilisé dans l’industrie pour sa résistance à de très hautes températures.
Un matin de novembre, au terme d’une petite route noyée dans la brume, M. Jégo fait face à une montagne de plus de 30 mètres : c’est une des trois « verses » où l’exploitant Imerys rejette les « stériles » non valorisables.
Imerys exploite à Glomel un « gisement exceptionnel » d’Andalousite, classé « d’intérêt national et européen ». Ce site, le seul en Europe, permet à cette multinationale implantée dans 40 pays de répondre à 20% de la demande mondiale.
Seuls 5% de la roche extraite est vendue, générant d’énormes quantités de déchets.
« Quand vous mettez un grain de café dans de l’eau, il ne se passe rien », explique cet ancien éleveur de chèvres, qui habite la commune depuis 11 ans. « Par contre, s’il est moulu… ».
L’homme craint que les métaux lourds contenus dans les stériles broyés, charriés par la pluie, polluent et acidifient les eaux et les sols.
Les eaux de ruissellement sont traitées par Imerys et à la fin de l’exploitation, en 2047, les verses devront être imperméabilisées avec de l’argile et revégétalisées. Un suivi du site sera assuré pendant au moins 10 ans.
Mais « ces verses vont entraîner des pollutions sur des centaines d’années », alerte M. Jégo.
Des pollutions déjà survenues par le passé: en 2013, un bac de récupération de l’eau cède au pied d’une des verses, polluant aux métaux lourds le Crazius, un cours d’eau qui alimente la commune en eau potable.
En 1994, deux usines d’eau potable sur le Crazius sont arrêtées pendant 15 jours pour cause de pollutions.
« Pollution très inquiétante »
Au-delà des incidents, les données révélées par l’enquête publique de 2023, qui a émis un avis favorable au projet de fosse 4, présument toutefois de pollutions des eaux souterraines, au moins entre 2010 et 2021, au pied de la fosse n°2 et d’une des verses.
La fosse n°2 est une ancienne carrière, de 80 mètres de profondeur, qui sert notamment à stocker l’eau utilisée pour le raffinage de l’andalousite.
Cet immense lac acide bleu turquoise est hautement chargé en métaux (chrome, cobalt, nickel, zinc…), selon les données du dossier.
Le porte-parole d’Imerys, rencontré par l’AFP sur le site, défend une fosse naturellement « étanche », qui ne présente pas de risques.
Or, le piézomètre RO1 (appareil mesurant la qualité des eaux souterraines) tout proche présente des concentrations élevées en aluminium, fer, nickel entre autres et un PH très acide (environ 4). Des données anormalement supérieures à celles des autres piézomètres du site.
« Cela montre une pollution très inquiétante », tranche Armelle Renault, ingénieure agronome et éleveuse de vaches, qui s’abreuvent à 500 mètres du piézomètre RO1. Avec une quinzaine de citoyens et de scientifiques, elle a rédigé un mémoire versé à l’enquête publique.
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L’entreprise assure que cette « anomalie » est « localisée », « ponctuelle » et « n’a pas d’incidence sur les usages ». Quatre nouveaux piézomètres doivent être installés.
L’association Eau et Rivières de Bretagne qui a engagé un recours à l’encontre de l’autorisation préfectorale, pointe de « très sévères défaillances » dans l’étude d’impact.
« Confiance à l’Etat »
« Je fais confiance à l’Etat », balaie Bernard Trubuilt, maire de Glomel depuis 2023, favorable à Imerys au nom de la préservation des 121 emplois du site. « Si la fosse 4 ne se faisait pas, la carrière fermait dans sept ans ».
« Pendant des dizaines d’années, on peut penser que ça polluait pas mal », glisse ce natif de Glomel, dont le père a travaillé à la carrière. Il assure qu’aujourd’hui, Imerys « respecte les normes ».
La population n’est « divisée qu’en faible proportion », selon l’édile. Difficile toutefois de trouver des passants qui veulent aborder le sujet. « C’est très divisé », fait l’un. « C’est tabou », lâche une autre. En octobre, des tags ont fleuri sur les murs de la mairie: « ImairYs », « corruption ».
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« Fabrique du silence »
Entre 2020 et 2023, alors qu’Imerys prépare sa demande d’extension, les démissions au conseil municipal s’enchaînent.
De nouvelles élections sont organisées et Imerys est au coeur de la campagne. Bernard Trubuilt est élu avec plus de 70% des voix.
Thierry Troël, le précédent maire, se dit « détruit » par un « climat de lynchage organisé pour remettre en cause le scrutin ». « Il est clair qu’Imerys y a pris une part active », accuse-t-il, liant cet épisode avec son refus d’accorder un blanc-seing à la société, au début de son mandat.
« Imerys réfute ces accusations, les qualifiant d’infondées et de diffamatoires », indique le groupe dans un courriel à l’AFP.
Agriculteur depuis 25 ans sur une partie des 250 hectares de terres agricoles appartenant à Imerys, M. Troël s’est vu notifier son expulsion en juin, qu’il conteste en justice.
Armelle Renault, compagne de Thierry Troël, assène: « C’est une entreprise qui ne supporte pas le débat ». « Nous ne sommes pas anti-Imerys, nous souhaitons que la raison scientifique l’emporte », plaide-t-elle.
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Elle souligne que tous les scientifiques ayant participé à la rédaction du mémoire ont requis l’anonymat, « tant l’omerta existe ».
Pour Jean-Yves Jégo aussi, Imerys a « créé une fabrique du silence », un « cocktail d’ignorance et d’intérêt économique », dans un territoire pauvre et rural, qui a trouvé dans Imerys un pourvoyeur de revenus.
Mais à Glomel, la terre n’a jamais été tout à fait conquise. Dès les années 1970, Louis Frault, éleveur, s’oppose à la Damrec (l’ancien exploitant), qu’il fait condamner au civil pour « troubles anormaux du voisinage », en 2007.
Il dénonçait alors les dépôts de poussière sur ses patûrages, provoquant, selon lui, de graves problèmes chez ses bovins.
© AFP
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