Corentin de Chatelperron, après plusieurs semaines à vivre dans un appartement low-tech : « les low-tech ne sont pas, comme certains pourraient le penser, un retour en arrière, mais un progrès »

biospjere urbaine

Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz dans l'appartement low-tech Biosphère urbaine à Boulogne Billancourt Photo DR

Depuis des années, Corentin de Chatelperron est un ardent défenseur de la low-tech. Afin d’en faire la démonstration, cet ingénieur de formation l’expérimente au quotidien avec le Low-Tech Lab. Sa dernière expérience a consisté à vivre dans un appartement de Boulogne-Billancourt (région parisienne) tout en ayant un mode de vie neutre en carbone. Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz viennent ainsi de passer 4 mois en recourant aux low-tech pour limiter leur empreinte carbone, comme tout à chacun pourrait le faire en 2040. Le féru de low-tech raconte la démarche dans un entretien avec GoodPlanet Mag’. L’appartement du futur, aussi appelé projet La biosphère urbaine, fera l’objet d’un rapport, d’une exposition et d’une websérie à la rentrée de septembre 2025.

Que voulez-vous montrer avec l’appartement du futur ?

Nous voulions voir s’il était possible d’avoir dans le futur des modes de vie compatibles avec les objectifs de la neutralité carbone, c’est-à-dire émettre moins de 2 tonnes de CO2 par an et par personne. L’objectif impliquait aussi d’avoir un mode de vie qui divise par 10 la consommation d’eau, qui ne génère pas de déchet, qui soit accessible financièrement au plus grand nombre et surtout qui soit désirable. Pour y parvenir, nous avons combiné des low-tech venues des 4 coins du monde et du Low-Tech Lab pour les adapter au milieu urbain.

« Voir s’il était possible d’avoir dans le futur des modes de vie compatibles avec les objectifs de la neutralité carbone »

Nous avons voulu expérimenter spécifiquement les low-tech dans les zones urbaines denses. La région parisienne, une des régions les plus denses au monde, se prêtait parfaitement à l’expérience.

Pour quelles raisons miser sur la low-tech ?

La low-tech aide à réduire l’impact écologique des activités humaines. En plus d’être des solutions à la crise climatique et face à l’érosion du vivant, les low-tech ne sont pas, comme certains pourraient le penser, un retour en arrière, mais un progrès puisqu’elles permettent l’épanouissement individuel, davantage de justice sociale et de préserver la santé. Pour ces raisons, nous pensons qu’elles ont leur place dans notre avenir.

« Les low-tech ne sont pas, comme certains pourraient le penser, un retour en arrière, mais un progrès »

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Et pourquoi en ville ?

Plus de la moitié de l’humanité habite déjà en ville. En 2050, ce sera 70 % de la population. Certaines personnes qui suivent le Low-Tech Lab nous disaient qu’elles vivent en appartement et ne voyaient pas comment agir. C’est pourquoi nous avons décidé d’étudier l’incorporation de la low-tech dans la vie quotidienne en ville.

Pour passer sous les 2 tonnes de CO2 par personne par an, qu’est-ce qui va changer dans la vie quotidienne ?

Tout est à repenser du logement à la mobilité en passant par le chauffage, les vêtements ou encore la communication. Car tous les éléments qui constituent notre mode de vie sont liés tant dans leur conception que dans leurs impacts environnementaux. Par exemple, dans l’appartement 2040, nous sommes parvenus à diviser par 10 notre consommation d’eau en repensant la manière dont nous prenons notre douche, l’hygiène, ou encore le choix des produits de ménage et d’entretien afin qu’ils ne polluent pas l’eau. Pour revenir sur la douche, nous avons repensé le circuit de l’eau. Dans cette dernière, nous cultivons des pleurotes. Puis, l’eau passe par un filtre à bactéries pour la transformer en eau assimilable par des plantes. En effet, un espace de l’appartement est dédié à l’agriculture urbaine.

La douce low-tech de l’appartement de la biosphère urbaine à Boulogne Billancourt Photo DR

« Un espace de l’appartement est dédié à l’agriculture urbaine. »

Pour l’habitant de l’appartement le quotidien ne change pas, il doit juste prendre quelques minutes par jour pour effectuer quelques actions nécessaires bien précises. Tout a été pensé pour répondre de la manière la plus astucieuse et efficace à nos besoins.

Et pour l’alimentation, qui représente un gros poste d’émission de gaz à effet de serre ?

Nous avons cherché à manger local, bio et de saison pour pas trop cher/ en limitant les coûts. Nous avons donc dû trouver les bonnes recettes en travaillant avec le nutritionniste Anthony Berthou et les bons moyens de cuisson. Pour se fournir en produits frais, nous avons travaillé une demi-journée par semaine dans une ferme bio située à une quinzaine de kilomètres à vélo en échange de fruits et de légumes. De plus, nous avons travaillé deux heures par mois dans une épicerie participative. Celle-ci n’a pas d’employé salarié, mais ses adhérents consacrent du temps au magasin, ce qui permet de réduire le prix des produits bio et locaux.

« Nous sommes arrivés avec des bactéries, des plantes, des champignons et des insectes car nous pensons qu’ils sont plus efficaces pour traiter les déchets organiques. »

Enfin au niveau de l’alimentation, on a aussi développé avec une quinzaine de personnes une filière d’élevage de larves de mouches. Leur mission est de dégrader nos déchets organiques de cuisine ou des toilettes. Cependant, les larves ne peuvent le faire que durant deux semaines. Donc, une fois trop grandes, nous donnions les mouches à manger aux poules de la ferme. Il fallait toutefois que nous renouvelions régulièrement nos mouches, c’est pourquoi nous avons demandé à des personnes d’en élever. Nous avons ainsi formé une quinzaine de personnes sur la ville de Boulogne-Billancourt à l’élevage de larves. En 2040, cela pourrait être commun d’avoir des éleveurs de larves de mouches destinées au traitement des déchets organiques de plusieurs foyers.

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Qu’avez-vous appris ?

Suite à ces expériences, nous avons pris conscience qu’une ville low-tech en 2040 reposerait beaucoup sur les échanges, l’entraide et les réseaux. Bref, qu’elle fonctionnerait comme un écosystème basé sur les interactions humaines, ce qui aboutirait à créer du lien social et de la convivialité.

« Une ville low-tech en 2040 reposerait beaucoup sur les échanges, l’entraide et les réseaux »

Finalement, le plus grand changement en 2040 ne serait-il pas que la vie quotidienne ne repose plus par le confort de simplement appuyer sur un bouton pour appeler la fée électricité à la rescousse ?

Effectivement, cela peut se faire en misant sur l’interaction. Il n’y a pas de baisse de confort, en revanche, il y a des changements culturels à opérer pour mettre en place de nouvelles habitudes. Cela concerne par exemple la présence chez soi de bactéries, de larves ou encore de champignons qui nécessitent un temps d’adaptation et un peu d’éducation. Nous avons même eu l’impression de vivre mieux car nous mangions des aliments sains et nous rencontrions davantage de personnes. Ce mode de vie nous a paru plus épanouissant.

« Il y a des changements culturels à opérer pour mettre en place de nouvelles habitudes. »

Quelles nouvelles low-tech avez-vous expérimentées ?

Je n’avais jamais vraiment vécu en ville. Il a donc fallu adapter des technologies, notamment pour tout ce qui concerne l’électricité. Nous avions 4 mètres carrés de panneaux solaires pour recourir uniquement aux énergies renouvelables. Les panneaux solaires étaient connectés à un système que nous avons appelé le cerveau designé par l’ICAM, une école d’ingénieurs. Nous indiquions au cerveau le temps et l’ensoleillement prévu pour la journée et le lendemain, ainsi il calculait l’énergie disponible. En fonction des disponibilités en électricité, il détournait certains systèmes automatisés comme l’arrosage des plantes ou les filtres avec des bactéries pour la douche. Il allumait le frigo uniquement quand il faisait beau… Il agissait comme un système de domotique low-tech pour optimiser les apports en énergie solaire.

« Un système de domotique low-tech pour optimiser les apports en énergie »

Nous avons aussi testé un méthaniseur afin de produire du gaz à partir de nos déchets organiques.  Pour communiquer avec les voisins, nous avons mis en place un Intranet plutôt que de passer par Internet.

Le piège du confort réside dans l’accoutumance. Est-ce qu’après ces semaines passées en appartement, il y a une technologie ordinaire qui vous a manqué ? sur laquelle il vous est difficile de revenir ?

Même si on s’habitue à tout, il faut bien reconnaitre qu’au début ce n’était pas évident de s’adapter aux systèmes de cuisson low-tech dont nous disposions. Ce sont des systèmes de cuisson plutôt lents, ils nécessitent donc de bien anticiper les repas. Avant, j’avais tendance à préparer mes repas au dernier moment, quand j’avais faim, et je faisais frire les plats à la poêles pour aller vite. Là, il a fallu apprendre à préparer le repas du midi dès le martin. Mais on s’y fait rapidement.

Quels étaient vos moyens de cuisson ?

 Toujours avec l’ICAM, nous avons mis au point ce que nous avons baptisé la cocotte du futur. Il s’agit d’une cocotte-minute très bien isolée, sur le modèle de la marmite norvégienne. Ses résistances chauffantes sont reliées aux panneaux solaires, sa très bonne isolation évite les trop grandes déperditions d’énergie. Elle permet de cuire à l’eau ou à la vapeur. Durant l’été, nous avions du gaz grâce au méthaniseur puis en septembre nous avons utilisé une petite poêle afin de griller des grillons ou des champignons.

La cuisine low-tech de l’appartement Biospère urbaine à Boulogne Billancourt Photo DR

Au-delà du confort, une des autres difficultés de la low-tech ne réside-t-elle pas dans le fait que les appareils et dispositifs ne soient pas aussi esthétisés que ceux de la high-tech qui sont le plus souvent épurés et sans aspérité ?

C’est vrai que la low-tech a un vrai besoin de design et de désirabilité. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait vraiment développer un imaginaire global de la low-tech qui soit attirant. Nous ne convaincrons pas en proposant technologie après technologie mais plutôt en proposant un mode de vie. Quand on comprend cette vision futuriste portée par la low-tech, on comprend également pourquoi ça vaut le coup d’avoir des arbres et des champignons chez soi, ce qui permet d’accepter plus aisément des designs qui s’éloignent des codes des design futuristes classiques high-tech propres et  lisses.

« La low-tech a un vrai besoin de design et de désirabilité »

Bien que notre appartement 2040 soit dépourvu de décoration, les visiteurs nous ont fait part d’un sentiment de bien-être. Les matières brutes comme le bois, les tissus, la laine de chanvre, ainsi que les plantes, donnent visuellement un aspect esthétique sympa assez épuré et naturel. Il faut y ajouter les odeurs de plantes, le bruit des grillons et de l’eau qui coule. L’ambiance et les textures ont plu aux gens qui nous ont rendu visite.

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Au-delà du logement et de la vie en appartement, quelles autres low-tech jugez vous pertinentes à l’échelle de la ville ?

une grande partie des low-tech essayées dans l’appartement, nous nous sommes posés la question de l’échelle. Par exemple, le méthaniseur qui produit du gaz à partir des déchets organiques est conçu pour un immeuble de plusieurs appartements, or nous nous demandons si ce type d’équipement ne serait pas plus adapté à l’échelle d’un quartier où il pourrait recevoir tous les déchets organiques tant des logements que des restaurants.

« Une grande partie des low-tech essayées dans l’appartement, nous nous sommes posés la question de l’échelle. »

Après, au niveau des villes, il y a clairement un enjeu à repenser la mobilité notamment la voiture qui génère du trafic, de la pollution et du bruit. Dans une ville low-tech, elle aura moins de place.

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Enfin, il faut surtout améliorer les performances thermiques des bâtiments. Bien que nous ayons pu mieux isoler notre logement grâce à de la laine de chanvre depuis l’intérieur pour notre expérimentation, il vaudrait mieux améliorer l’isolation des bâtiments depuis l’extérieur. C’est un travail à mener à l’échelle de la ville d’autant plus que la plupart des bâtiments anciens sont mal isolés, ce qui représente une énorme perte d’énergie. 

pleurotes douche
La culture de pleurotes dans la douce de l’appartement à Boulogne-Billancourt Photo DR

Avez-vous un dernier mot ?

La place de la nature était une des inconnues que nous avions en arrivant. En effet, elle a beaucoup été repoussée des villes et des appartements. Nous nous sommes demandé si c’était une bonne idée de venir ainsi avec notre concept d’habitat écosystème. Nous sommes arrivés avec des bactéries, des plantes, des champignons et des insectes car nous pensons qu’ils sont plus efficaces pour traiter les déchets organiques. Au bout de 4 mois d’expériences, nous sommes convaincus de la pertinence de de choix. D’une, il rend nos modes de vie plus écologiques et durables, de deux cela enclenche un cercle vertueux qui rapproche de la nature. Notre eau de douche est réutilisée par des bactéries pour nourrir des plantes qu’on mange ensuite ou nos toilettes sèches sont digérées par des larves qui sont ensuite données à manger à des poules qui nous donnent des œufs. Cela permet de faire partie d’un cycle en circuit très très court. Il a l’avantage de faire partie d’un écosystème palpable. Il nous incite donc à faire plus attention à ce que nous mangeons, aux produits que nous utilisons. Ce qui nous conduit aussi à  développer une empathie pour les plantes et les êtres vivants qui nous entourent.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

L’expérience de la Biospère urbaine a pris fin mi-novembre 2024 et fera l’objet d’un rapport, d’une websérie et d’une exposition au second semestre 2025.

Le site Internet du projet La biosphère urbaine – Ville de boulogne-billancourt

Le site Internet du Low-Tec Lab

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