Mardi 17 décembre, la justice danoise a refusé la demande d’extradition de Paul Watson au Japon et libéré le militant écologiste. Pendant les cinq mois d’instruction, la détention au Danemark du militant a été prolongée six fois, et quatre de ses recours ont été rejetés. Après 149 jours en prison, le fondateur de Sea Shepherd âgé de 74 ans est désormais libre. Jean Tamalet du cabinet King & Spalding International et avocat de Paul Watson en France, est revenu pour nous sur ce combat de longue haleine.
Vous attendiez-vous à la libération de Paul Watson ?
Quand on fait ce métier, il y a plusieurs approches. On peut ne pas y croire, dire aux clients que c’est très difficile, faire son travail et ne pas prendre le risque d’une fausse joie. Mais évidemment, on est humain. Si on y croit à fond, il y a des hauts, des bas, des moments de désespoir. Et dans ce dossier, on a connu un ascenseur émotionnel à de nombreuses reprises, entre l’arrestation de Paul et sa remise en liberté.
« Dans ce dossier, on a connu un ascenseur émotionnel à de nombreuses reprises »
Nous avons bien analysé la situation, et les signaux que nous avions n’étaient pas bons du tout. Nous savions que nous avions un très bon dossier, d’un point de vue purement juridique. Je savais que j’avais réuni la meilleure équipe possible pour ce dossier, avec des avocats qui ont pour point commun d’être tous bien meilleurs juristes que moi.
Quels ont été les premiers mots de votre client à sa sortie de prison ?
Ils ont été à l’image de Paul, qui s’efface toujours devant les autres. Sa première réaction a été de manifester son émotion et sa joie de retrouver ses enfants et sa femme.
Dans sa prison, Paul Watson n’avait pas beaucoup de visibilité sur l’actualité que nous lui reportions. Quand il a découvert la mobilisation mondiale dont il a été l’objet, ses premiers mots ont été des remerciement pour tous, des inconnus jusqu’aux politiques, partout à travers le monde. Il a également remercié Sea Shepherd France et Lamya Essemlali, sa co-fondatrice et présidente. Elle a été le chef d’orchestre de l’ensemble de ces mobilisations. Elle a été notre donneuse d’ordre en tant que cabinet d’avocats et a inspiré tout notre combat.
Evidemment, Paul Watson a dénoncé le traitement injuste dont il a été l’objet. Mais il aussi réalisé que jamais auparavant on avait autant parlé du massacre des baleines. Il a donc tiré des conséquences positives de son malheur dans une certaine mesure. Aujourd’hui, tout le monde connaît l’existence des massacres de cétacés, pas seulement les personnes de gauche comme c’était le cas jusqu’à son arrestation.
Quel rôle a joué cette mobilisation civile internationale selon vous ?
La mobilisation mondiale a été populaire, artistique, littéraire et scientifique. Des millions de personnes à travers le monde ont réclamé la libération de Paul Watson. C’est quelque chose qui n’était jamais arrivé dans l’Histoire. Ce mouvement a aussi été complètement transversal, car on ne parle pas seulement de manifestations d’activistes écologistes. Il y en a eu beaucoup, mais la mobilisation s’est étendue bien au-delà.
« La mobilisation populaire a été essentielle »
La mobilisation populaire a été essentielle. Des artistes, des chanteurs aux plus grands acteurs français, se sont exprimés pour la libération de Paul Watson. Cette mobilisation est allée de groupes de rock comme Shaka Ponk, Gojira ou les Red Hot Chili Peppers à des chanteurs populaires comme Francis Lalanne, qui s’est même déplacé au Groenland. Un nombre sans précédent de personnes, des anonymes jusqu’aux stars internationales, ont écrit à leurs dirigeants, au gouvernement danois et aux instances internationales. Autour du monde, la communauté scientifique s’est aussi indignée, avec des prises de parole de personnalités comme Jane Goodall.
Comment expliquer cette émotion mondiale ?
L’emprisonnement de Paul Watson a ému partout dans le monde parce qu’il relève d’une menace très concrète, qui concerne directement nos enfants et même l’avenir de l’humanité.
« L’emprisonnement de Paul Watson a ému partout dans le monde »
Nous avons désormais des preuves scientifiques que si la biodiversité continue de disparaître, la fin de l’humanité va s’accélérer à une vitesse impressionnante. Quand on évoque des conséquences qui se chiffrent en centaines d’années, nous avons du mal à nous projeter. Mais lorsqu’on montre en images que des baleines sont massacrées, là, maintenant, c’est bien plus concret. Malgré tout, les citoyens du monde entier ont constaté que celui qui se tient debout face à cette évidence depuis si longtemps se retrouve empêché de filmer les massacres illégaux de baleines. Pire encore, il est fait prisonnier politique du Danemark, au Groenland, à la demande du Japon. Une situation complètement ubuesque.
[Lire aussi: Jean Tamalet, l’avocat français de Paul Watson : « un prisonnier politique du Danemark »]
Il y a quelque chose d’universel dans cette aventure qui est sans précédent. J’étais avec un ami ougandais quand sa libération m’a été annoncée, dans un petit village le long de la frontière avec le Congo. Il a pleuré de joie comme moi. Les gens dans ces petits villages d’Ouganda suivaient aussi avec passion l’aventure terrible de Paul Watson.
« C’est le chant du cygne des destructeurs de l’environnement »
Evidemment, il ne fait pas l’unanimité. Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est que le signal qui a été envoyé à l’humanité par l’arrestation de Paul Watson est un signal à contre-temps. C’est le chant du cygne des destructeurs de l’environnement. Je pense que cette mobilisation mondiale est historique car elle a remporté la victoire face aux dernières résistances antiécologiques. Une bonne fois pour toutes je l’espère.
Le monde politique a-t-il répondu à cette pression citoyenne internationale ?
La mobilisation politique a été extraordinaire et transversale. Pourtant, la libération de Paul Watson n’est pas une question de politique, ni un raz-de-marée de gauche. Certains élus, qui n’avaient jamais été sensibles à la cause écologiste, ont affiché en soutien le portrait de Paul Watson sur le fronton de leur mairie. Dans le monde, la mobilisation est allée de l’extrême gauche à la droite. De nombreuses personnes ont laissé de côté leurs convictions politiques et ont réalisé qu’il y avait quelque chose de fondamentalement injuste qui les émouvait.
Au niveau international, certaines instances sont intervenues comme le rapporteur pour l’environnement aux Nations Unies. Les actions diplomatiques pour la libération de Paul Watson ont été nombreuses.
En France, tous les bords politiques se sont exprimés en faveur de Paul Watson. Emmanuel Macron est également intervenu personnellement avec une prise de position publique, et, évidemment, un coup de fil au gouvernement danois.
Puis, il y a eu une intervention au plus haut niveau des autorités américaines. Je suis allé chercher des soutiens au Sénat, auprès de l’administration Biden et auprès de la future administration Trump. J’ai fait en sorte qu’ils prennent connaissance du contenu du dossier et des faits exacts qui sont reprochés à Paul Watson par le gouvernement japonais. Je n’avais pas le droit de le faire. Mais je l’ai fait. En lisant le dossier, les Américains sont tombés des nues. Pourtant, je le répète depuis 4 mois et demi, et je ne plaisante pas. Paul Watson est bien poursuivi pour complicité de lancement de boules puantes et pour avoir présenté une facture de dédommagement pour la destruction volontaire par les Japonais d’un trimaran. Et le soutien du consul et de l’ambassadeur des Etats-Unis à Copenhague a été extraordinaire.
Quel a été le rôle de la France, qui a été un soutien important selon votre client ?
Quand vous fendez une pierre avec un maillet et un ciseau, c’est le dernier coup de maillet qui provoque la fissure, et alors la pierre s’ouvre en deux. Mais derrière ce résultat, il y a mille coups de maillet. S’il n’y en avait eu que 999, elle ne se serait pas fendue. Mais il y en a mille.
« C’est la convergence des soutiens qui a accouché de cette libération »
C’est la convergence des soutiens qui a accouché de cette libération. Ce n’est pas seulement moi, en mobilisant le gouvernement américain, ou François Zimeray, ancien ambassadeur de France au Danemark, en sensibilisant le gouvernement danois. Ce n’est pas non plus Gojira, ni Shaka Ponk. Les gouvernements isolés n’y seraient pas non plus parvenus. Ce sont tous ces efforts conjugués ensemble.
Comment expliquer ce succès final ?
Le Danemark est un pays qui craint les pays puissants. Ils étaient sous la pression du Japon. La pression de la France, avec toute la bonne volonté, sincère et engagée, de son gouvernement, n’aurait pas suffi. La pression américaine, je pense, a été beaucoup plus marquante pour le gouvernement danois.
Est-ce que pour autant, la pression américaine seule aurait fonctionné ? Je ne crois pas. Je pense que c’est un mensonge de convergence, des fameux coups de maillet. Chacun va se dire que c’est son coup de maillet qui a fendu la pierre. C’est un orchestre. C’est le son de chaque instrument qui a permis de produire une harmonie.
Quel va être l’effet de l’emprisonnement très médiatisé de Paul Watson sur sa lutte ?
Cet épisode va radicaliser la lutte contre le braconnage de baleines. Pas au sens violent du terme, mais au sens de l’engagement. Enormément de personnes ont manifesté leur volonté d’aider en faisant des dons, en venant à bord, ou en participant à financer de nouveaux bateaux pour créer une flotte mondiale gigantesque de protection des océans. Arrivera le jour où nous aurons, face au Kangei Maru [le bateau japonais à l’origine de la plainte contre Paul Watson] pas deux ou trois courageux navires, mais 50 ou 60. Sauf si les gouvernements prennent enfin leurs responsabilités, et agissent contre ces bateaux de pêche illégale.
La libération de Paul Watson créé-t-elle un précédent dans la criminalisation des militants écologistes ?
Je dirais qu’elle va aider, même si ça n’est pas une décision judiciaire, mais une décision administrative prise par un gouvernement seul. Je fais aussi la part des choses entre les différents militantismes et leur radicalisation.
Dans le cas de Paul Watson, Interpol n’aurait jamais dû publier cette « Red Notice » en 2012, ni la renouveler de façon presque continue. Il faudra désormais que l’instance rende des comptes à sa commission de contrôle indépendante, la CCF. Celle-ci devra analyser les faits et prendre la décision qui s’impose.
Le mandat d’arrêt d’Interpol est exclusivement politique, il ne repose pas sur des faits sérieux. Il ne vise qu’à bâillonner un militant écologiste dont le seul tort est d’avoir rendu publics des massacres illégaux de baleines sous couvert de recherches scientifiques par les baleiniers japonais appartenant à une compagnie soi-disant privée, qui est en partie détenue par l’Etat mais bénéficie également à quelques patrons de la mafia japonaise, les Yakuza.
Nous sommes désormais dans un combat de valeurs entre l’agonie des destructeurs de la planète et la naissance d’une sorte de mouvement transcendant, apolitique et pluriel. Des personnes de toutes origines, de toutes confessions, de tous genres, se sont unies pour crier : « ça suffit ». Plus encore que le résultat qu’on a obtenu c’est peut-être cette mobilisation qui créé un véritable précédent. Le monde a parlé et a dit non.
Le combat continue-t-il aujourd’hui pour Paul Watson ?
Oui, et la première phase du combat pour nous est de concentrer nos énergies sur la destruction du mandat d’arrêt d’Interpol, qui existe toujours. Ensuite, il pourra reprendre tranquillement les mers et continuer son combat.
Le gouvernement japonais et l’affréteur du Kangei Maru ont annoncé qu’ils poursuivraient Paul Watson où qu’il soit pour l’arrêter. Mais je leur retourne le compliment. Nous allons tout faire pour que l’affréteur du Kangei Maru finisse à sa place, c’est-à-dire en prison, puisque c’est un délinquant. C’est un délinquant qui massacre des baleines, en contradiction avec le moratoire de 1986, et nous ferons ce qu’il faut pour le traîner en justice. Nous espérons bien qu’il sera un jour arrêté, et qu’il sera puni sévèrement pour ce qu’il fait. Où qu’il soit, nous aussi, nous allons œuvrer pour le faire arrêter.
Evidemment, nous nous attendons à une campagne du Japon pour salir l’image de Paul Watson. Avec par exemple une campagne de presse, essayant de le faire passer pour raciste. Nous avons déjà repéré 2 ou 3 articles de ce genre. Certains répandent également le mensonge selon lequel il aurait été payé par le gouvernement japonais pour arrêter de s’en prendre aux baleiniers.
Malgré tout, la campagne va reprendre. Nous nous assurerons que Paul Watson est en sécurité dans des endroits où il ne peut pas être extradé ou arrêté. Mais le combat va continuer en mer. La dénonciation des massacres illégaux par les baleiniers japonais, mais également Islandais et Norvégiens, va continuer.
Un dernier mot ?
J’ai plus de 22 ans de métier, et c’est une de mes plus belles victoires. Même s’il s’agit d’une victoire collective, qui est le résultat de la convergence des énergies positives sans précédent mobilisées autour de Paul Watson. Cela rend cette victoire exceptionnelle, délicieuse, mais elle ne doit pas nous endormir. Nous avons encore beaucoup de travail. Il faut désormais s’attaquer à la notice rouge et la détruire. C’est donc une belle victoire, mais nous devons la célébrer avec humilité.
Propos recueillis par Audrey Bonn
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