Avancée par divers candidats aux municipales, la gratuité des transports est une fausse bonne idée en contexte de crise, selon Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut).
La gratuité des transports a déjà été introduite dans une vingtaine d’agglomérations françaises, de taille modeste le plus souvent mais parfois importantes (Châteauroux, Aubagne). Elle est aujourd’hui promise par divers candidats, de droite et de gauche, aux élections municipales : à Aix-en-Provence, Avignon, Angoulême, Amiens, Lyon… L’idée est séduisante, mais c’est en réalité une fausse bonne idée qui repose sur des illusions et présente des risques non maîtrisés à ce jour.
La gratuité répond-elle à une demande des usagers ? Manifestement non, ces derniers privilégient la poursuite de l’amélioration de l’offre : maillage du réseau, fréquence, vitesse commerciale, intermodalité, tarification familiale… On est encore loin, en France, de l’optimum «suisse».
L’équité sociale implique-t-elle la gratuité pour tous ? Non, la tarification solidaire en vigueur à Strasbourg suffit à garantir le droit au transport des usagers à faibles revenus, la gratuité étant réservée aux personnes sans ressources, dans le cadre d’une démarche de réinsertion sociale. Le transport public a un coût économique élevé, pourquoi subventionner intégralement ceux qui peuvent payer ?
La gratuité favorise-t-elle l’usage du transport collectif ? La croissance de la fréquentation observée lors de son introduction est un indicateur trompeur, car le trafic initial est généralement très faible. La gratuité stimule certes la mobilité des usagers captifs. Elle séduit aussi des piétons et des cyclistes, mais en contradiction avec la politique de santé publique, sans gain environnemental et au risque de surcharger ponctuellement le transport public. Quant aux automobilistes, il est illusoire d’espérer leur report massif sur les bus et les tramways : une plus forte attractivité du transport public suppose en priorité une augmentation de la vitesse commerciale… et une restriction des possibilités de circulation et de stationnement dans les centres-villes.
Venons-en aux risques. La gratuité ne permet pas de pérenniser l’offre de transport public. La perte des recettes commerciales ne serait que marginalement compensée par les économies réalisées sur la billettique et le contrôle. Or, une hausse du versement transport des entreprises et des impôts locaux peut difficilement être envisagée aujourd’hui. Les dotations de l’Etat aux collectivités locales et les revenus de la fiscalité locale diminuent, et les dépenses sociales explosent. La conséquence la plus probable de l’instauration de la gratuité serait donc une diminution de l’offre, surtout dans les grandes agglomérations, au moment où il faudrait la développer pour accueillir une clientèle nouvelle.
Il serait par ailleurs très difficile de définir le périmètre de gratuité : pourquoi, afin d’éviter des inégalités entre usagers, ne pas étendre la gratuité aux cars, TER et RER, qui assurent des dessertes périurbaines ? Elle encouragerait les ménages, confrontés au coût excessif du logement dans les zones denses, à s’installer loin en périphérie et à accepter des déplacements quotidiens longs et fatigants. Et l’éparpillement, grâce à l’automobile, de l’habitat autour des terminus de lignes périurbaines et des gares périurbaines, aggraverait l’étalement urbain diffus.
Le danger d’une tarification trop bon marché du transport a été souligné par Alfred Sauvy (le Socialisme en liberté, 1970). Il dénonçait courageusement l’effet pervers de ce qu’on appelait alors l’abonnement ouvrier : «L’anti-économique est devenu, comme bien souvent, antisocial» (et anti-environnemental, aurait-il sans doute ajouté aujourd’hui).
En conclusion, dans un contexte de crise financière des collectivités et de non-maîtrise de l’urbanisation diffuse, la gratuité des transports n’est pas un sujet d’actualité. La priorité est de dégager des ressources nouvelles afin d’enrayer la dégradation de l’offre, déjà perceptible, et de permettre son développement. Une piste moins électoraliste que la gratuité mais plus féconde est la mise en place d’une fiscalité écologique : hausse des taxes sur les carburants automobiles et introduction du péage urbain.
Ce texte a été publié originellement sur Libération.
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Municipales : la promesse de la gratuité...
[…] Avancée par divers candidats aux municipales, la gratuité des transports est une fausse bonne idée en contexte de crise, selon Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). […]
Municipales : la promesse de la gratuité...
[…] Avancée par divers candidats aux municipales, la gratuité des transports est une fausse bonne idée en contexte de crise. Texte de Jean Sivardière […]
therese DELFEL
Cet article montre avant tout, combien on peut faire dire aux chiffres ce qu’on veut ! Si on met les quelques centaines de millions d’euros que coûtent simplement la congestion, les dizaines de milliers de morts annuelles par … asphyxie tant la circulation automobile, pire au diesel, reste la norme en France et le tout-automobile-tout ego des français bout à bout, on aura compris pourquoi ce monsieur estime que la gratuité serait une fausse bonne solution. Ce qui serait fairplay, ce serait de mettre en face les arguments de ceux qui y sont favorables, à cette gratuité des transports en commun, juste pour que les lecteurs aient des arguments et des contre-arguments …
Jean Sivardière
Les coût externes de l’automobile en milieu urbain ne se chiffrent pas en centaines de millions d’euros, ils se montent à quelques dizaines de milliards si on tient compte de la congestion de la voirie ! Ceci étant, comme je l’ai noté dans mon article, l’introduction de la gratuité des transports urbains serait peu efficace pour modifier le comportement des automobilistes et réduire sérieusement ces coûts externes : à Tallinn, capitale de l’Estonie, l’introduction récente de la gratuité n’a eu qu’un effet marginal sur le volume du trafic automobile. Certes à Aubagne, la gratuité a permis de multiplier par 3 la fréquentation du réseau mais la fréquentation initiale était d’un niveau anormalement bas et, même aujourd’hui, cette fréquentation est inférieure à la moyenne observée dans les agglomérations de taille comparable.
Didier Barthès
La gratuité est toujours un trompe l’œil dès lors que les choses ont un coût et elles en ont toujours un. Le transfert des coûts sur les contribuables plutôt que sur les consommateurs me semble globalement toujours à éviter sauf dans des cas très restreints (l’éducation et la santé pour les affections graves notamment). Nous poussons sinon à une dangereuse irresponsabilité. Les gens percevront les choses comme gratuites et n’auront bien sûr plus aucun intérêt à les économiser. Un monde où les transports seraient » gratuits » (et les guillemets sont bien nécessaires) serait un monde ou nous découragerions toute relocalisation (de l’habitat notamment) et où nous inciterions à la débauche de déplacements et l’environnement serait une des principales victimes.