La fondation GoodPlanet sort le 9 octobre 2014 un livre pour comprendre les enjeux du gaz de schiste. Nous publions ici les extraits des chapitres du livre Gaz de schiste : le vrai du faux (Éditions Delachaux et Niestlé, 144 p. – 12.90 € – 125 x 185 cm) qui racontent ce qui s’est passé aux Etats-Unis, ici le Texas où est né la technologie de la fracturation et du forage horizontal qui ont permis la révolution des gaz de schiste aux USA grâce à la persévérance de George Phydias Mitchell.
Passons maintenant au Texas. C’est le premier état producteur d’énergie aux États-Unis. Des gisements classiques y sont exploités depuis des années. C’est le cœur de l’industrie pétrolière américaine ; il abrite le siège de plusieurs des plus grandes sociétés mondiales du secteur, dont Exxon et Halliburton, mais aussi des sociétés un peu moins connues comme ConocoPhilips (250 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011 tout de même) ou Marathon Oil (70 milliards de chiffre d’affaires). C’est le premier producteur de gaz et de pétrole du pays, le siège des plus grandes raffineries. Les industriels du secteur, petits ou grands, sont regroupés dans la Texas Oil and Gas Association qui compte pas moins de 5 000 entreprises ! C’est au cœur de cette Silicon Valley du pétrole qu’a été découverte et perfectionnée la fracturation hydraulique.
Si des gisements classiques y sont exploités depuis des décennies, c’est là aussi que se situe l’un des plus gros gisements de gaz de schiste, dans ce qui est appelé la formation de Barnett. Le réservoir est bien moins étendu que celui du Dakota, mais il n’en contient pas moins des quantités immenses de gaz naturel et, dans une moindre mesure, d’huiles. Les estimations, toujours à prendre avec beaucoup de précautions, sont de l’ordre de 2,5 milliers de milliards de pieds cube de gaz récupérable (10 fois plus sont présents dans la roche, mais non récupérables pour l’instant). Début 2013, le gisement a produit 4,5 milliards de pieds cube par jour, soit 6,8 % de toute la production américaine. L’histoire des gaz de schiste, à ses débuts, se confond avec celle de ce gisement et avec celle d’un entrepreneur américain, George Phydias Mitchell, qui vient de décéder en 2013, presque centenaire. C’est lui qui a développé les technologies de fracturation, celles qui ont permis l’explosion actuelle des gaz de schiste. La presse économique dresse généralement un portrait élogieux de l’homme et le magazine britannique The Economist écrit de lui que « peu d’entrepreneurs ont autant contribué à transformer le monde ». Le père de Phydias était un pauvre immigrant grec qui tenait une échoppe de cordonnerie à Galveston, au Texas (d’où son deuxième prénom, celui du plus grand sculpteur de l’Antiquité, auteur des statues du Parthénon). The Economist raconte : « Son entêtement était sa qualité la plus importante. Les investisseurs et les amis se moquaient, mais il passa deux décennies à creuser des trous dans la terre autour de Fort Worth, la ville du Texas au-dessus du schiste de Barnett. Tout le monde savait qu’il y avait du gaz en grandes quantités à l’intérieur, mais personne ne savait comment l’exploiter de manière économique. » Ce n’est qu’en 1998, à l’âge de presque 80 ans qu’il eut l’idée de substituer les liquides complexes et coûteux utilisés auparavant pour la fracturation par de l’eau (additionnée de multiples molécules). Cela réduisit drastiquement le coût de l’opération, et permit à Mitchell de transformer une couche géologique en mine d’or. Mais « », raconte l’entrepreneur. À sa mort, Phydias laissa une fortune de 2 milliards de dollars – ce qui lui vaudrait plutôt le prénom de Midas. Mais l’homme d’affaires n’était pas qu’un entrepreneur doué ; il possédait une personnalité plus complexe qu’on pourrait s’y attendre. C’était aussi un grand philanthrope préoccupé d’environnement. « Dans les dernières années de sa vie, il a mené campagne pour une réglementation gouvernementale stricte de la fracturation hydraulique : il craignait que des entrepreneurs peu scrupuleux ne discréditent sa technique, qu’ils fassent n’importe quoi et qu’ils nuisent à l’environnement », écrit The Economist. Dans une interview (toujours au même magazine), il déclarait en 2013 : « En tant qu’homme d’affaires et philanthrope, j’en suis arrivé à penser que l’industrie du gaz naturel ne peut plus se contenter de mettre en avant les avantages du gaz de schiste, sans en relever les défis. Nous savons qu’il y a des impacts importants sur la qualité de l’air, la consommation d’eau, la contamination de l’eau, et les collectivités locales. Nous devons également veiller à ce que les vastes ressources renouvelables aux États-Unis fassent partie de l’avenir de l’énergie propre, en particulier, puisque le gaz naturel et les énergies renouvelables sont les grands partenaires pour alimenter conjointement notre production d’énergie. L’efficacité énergétique est également un élément essentiel de la stratégie globale d’énergie que notre nation doit adopter. »
Par une ironie assez mordante au vu du débat actuel sur les gaz de schiste, l’inventeur de la technologie lui-même était déjà préoccupé des enjeux environnementaux des gaz de schiste. Et il demandait déjà des régulations plus fortes. Il mettait le doigt sur un point essentiel, sur lequel nous reviendrons : l’appât du gain attire les margoulins et les aventuriers, mais dans le monde des entrepreneurs du gaz de schiste, des professionnels conscients de leurs responsabilités côtoient des pollueurs sans foi ni loi. Et l’une des questions les plus prégnantes du débat est de savoir comment séparer les premiers des seconds, et comment mettre en place des règles et faire en sorte qu’elles soient respectées. L’ironie pourra faire place à la surprise quand on apprendra, par la revue de l’Académie des sciences américaines que Phydias Mitchell a participé dans les années 1970 au financement de l’une des études fondatrices du développement durable : The limits to growth, par Dennis Meadow : la première et la plus importante étude sur les risques pour la planète d’une croissance incontrôlée.
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