Forcer les supermarchés à distribuer leurs invendus. C’est tout l’objet d’une proposition de loi anti gaspillage alimentaire qu’Arash Derambarsh, un élu de Courbevoie, s’apprête à défendre à l’Elysée le 7 avril prochain. Lancée en janvier dernier sur le site Change.org, sa pétition a déjà été signée par plus de 173 000 personnes. Rencontre.
Pourriez-vous présenter votre loi ainsi que ses propositions phares ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous mobiliser contre le gaspillage alimentaire ?
L’idée de cette loi part d’un constat très simple. Lorsque j’étudiais le droit, j’ai connu une période très difficile où je devais rationner mes dépenses avec un budget global de 600/700€ par mois, qui m’obligeait parfois à sauter un repas pour pouvoir rentrer dans mon pouvoir d’achat. Aujourd’hui, la crise économique a étendu cette situation aux retraités ainsi qu’à la classe moyenne. En effet, dès le 10 de chaque mois, des millions de Français se retrouvent «sous l’eau» après avoir payé leur loyer et leurs charges, pendant que les supermarchés jettent chaque jour 20 kg de nourriture sans en faire profiter les plus démunis. Une absurdité alors que la précarité augmente en France. Fort de ma malheureuse expérience, j’ai décidé de passer à l’action lorsque j’ai été élu conseiller municipal en mars 2014 à Courbevoie : pour mettre un terme au gaspillage alimentaire avec une proposition simple et efficace. Une loi qui impose aux supermarchés de donner tous leur invendus, soir après soir, à l’association de leur choix.
D’autres initiatives de ce genre ont-elles déjà vu le jour en France ?
Le député du Nord Jean-Pierre Decool avait proposé une loi obligeant les grandes surfaces de plus de 1000m2 à donner leurs invendus à des associations caritatives. Or, il n’y a aucune raison qu’un magasin plus petit ne puisse pas contribuer à la solidarité: ses mesures n’allaient donc pas assez loin selon moi. De plus, la législation française n’autorise le stockage de nourriture qu’aux associations agréées qui possèdent des chambres froides: ce qui réduit la marge d’action de beaucoup d’autres. C’est bien là toute la difficulté. Que proposez-vous ? Un droit opposable. D’une part, chaque citoyen pourra créer son association, déposer les statuts, puis contacter l’enseigne de son choix pour distribuer les invendus directement après les avoir collectés. D’autre part, les communes pourront informer les citoyens de l’existence de cette initiative, pour inciter les deux types d’association à travailler main dans la main pour qu’aucune nourriture ne soit perdue. Les commerçants peuvent être rassurés: la contrainte n’opère pas si personne ne les contacte.
Vous avez testé votre proposition directement sur le terrain, en allant vous-même récolter les invendus dans votre commune à Courbevoie : qu’en est-il ressorti ?
Au début de mon projet, je n’avais aucun financement pour trouver un local de stockage qui corresponde à la réglementation de sécurité alimentaire. J’ai donc détourné la loi d’une façon astucieuse en redistribuant immédiatement les invendus de Carrefour Market, qui m’a autorisé à faire la collecte trois fois par semaine en décembre et en janvier. (À noter que Monoprix et Franprix ont refusé tout partenariat, ndlr.) Inédite en France, cette initiative a permis d’atteindre mes objectifs en contournant la chaîne du froid et l’obligation de la DLC (date limite de consommation), qui font toutes deux l’objet de réglementations drastiques. Sauf qu’aucune loi n’existe à ce jour pour encadrer ces pratiques: c’est la raison pour laquelle nous avons lancé une pétition en ligne avec Mathieu Kassovitz, pour obliger tous les supermarchés à donner leurs invendus à l’association de leur choix.
À quelles barrières avez-vous été confronté ?
La Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), entre autres, me met beaucoup de pression. Si les supermarchés disent souvent qu’ils «font déjà beaucoup», comment expliquer que des jeunes qui fouillent dans une poubelle passent encore au tribunal correctionnel, uniquement parce qu’ils ont faim ? Sans parler de l’eau de javel jetée sur des aliments encore consommables, uniquement pour éviter qu’ils ne le soient.
Vous avez reçu un large soutien de la part des réseaux sociaux ainsi que de nombreuses personnalités, notamment celui de l’association ONE fondée par Bono…
Outre l’appui d’Omar Sy ou du footballeur Youri Djorkaeff, j’ai reçu énormément de soutien de la part des élus, toutes tendances politiques confondues. Au total, plus de quarante parlementaires et de personnalités politiques rejoignent désormais notre action, parmi lesquels Jack Lang, Xavier Bertrand, Jean-Christophe Lagarde et Alain Fouché, qui prévoit de poser une question au Sénat le 26 mai au regard de la pétition lancée sur Change.org. Guillaume Garot, le Ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire, est même venu répondre sur le site en personne pour s’investir à faire passer d’ici deux mois une loi sur le gaspillage alimentaire. Il a écrit : « Député, je ferai, avant la mi-avril, des propositions concrètes au Gouvernement, pour mettre en œuvre dans notre pays une politique cohérente contre le gaspillage alimentaire, qui permette de faciliter le don et plus largement d’éviter le gaspillage. C’est dans ce cadre que sera traité le problème des invendus de la grande distribution. » Cet engagement, inédit de la part d’un élu dans l’histoire de la Ve République, n’a fait que renforcer ma conviction et mon enthousiasme. Plus déterminé que jamais, je vais défendre mes propositions le 7 avril à l’Elysée aux côtés de la présidente de ONE France et de Frédéric Daerden, le député européen à l’origine de la loi anti-gaspillage à Herstal en Belgique. D’ici là, nous comptons sortir une vidéo « anti-gaspi » avec le soutien de plusieurs personnalités, dont Sébastien Folin, Frédérique Bel, Bruno Gaccio et bien d’autres surprises.
L’engouement que votre démarche a suscité témoigne-t-il d’une nouvelle prise de conscience, selon vous ?
Cette prise de conscience était justement l’objectif premier de l’opération. Lors de son lancement en décembre, nous étions quatre. Aujourd’hui, notre pétition a été signée par plus de 173 000 personnes sur Internet, un chiffre qui manifeste un changement d’état d’esprit certain. Nous ne sommes pas seuls dans nos sociétés à faire face à la problématique du gâchis : c’est la même partout dans le monde. La lutte contre le gaspillage alimentaire fera même partie des 17 objectifs de développement durable qui seront adoptés à l’ONU en septembre, en partie grâce à ONE.
J’ai foi en l’effet « boule de neige ».
Propos recueillis par Pauline Pouzankov
Signez la pétition Stop au Gâchis alimentaire en France
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