Le Probo Koala, plus jamais ça !

Probo Koala

Des militants de Greenpeace bloquent le Probo Koala dans le port de Paldiski. en Slovénie en septembre 2006. © Greenpeace / Christian Aslund

En août 2006, le navire Probo Koala déchargeait du slop à Abidjan en Côte d’Ivoire. Ce slop, un résidu toxique de produits pétroliers, a été à l’origine d’une contamination des sols et de la population. Même si un bilan précis reste difficile à établir, plusieurs milliers de personnes ont été affectées et une quinzaine sont décédées dans les jours suivants. A l’occasion des 10 ans de cette catastrophe,  Sabine Gagnier, chargée de plaidoyer Responsabilités des Etats et des entreprises chez Amnesty International, revient sur ces événements et leurs conséquences. L’ONG et Greenpeace suivent ce dossier qui met en lumière les défaillances de plusieurs entreprises et de la convention de Bâle, qui réglemente le transport et les commerce des déchets au niveau international. Aujourd’hui, Amnesty plaide pour la création d’une loi qui responsabilise les multinationales.

Pourquoi les déchets toxiques sont-ils arrivés jusqu’en Côte d’Ivoire ?

L’entreprise suisse Trafigura a nettoyé du pétrole de mauvaise qualité en utilisant de la soude caustique dans les cuves du navire le Probo Koala. Une fois lavé, le pétrole a été vendu, mais il restait, au fond des cuves, un résidu de ces opérations de nettoyage : du slop. Il s’agit d’une sorte de boue très toxique, nauséabonde et qui provoque des irritations. Pour décharger ces résidus, Trafigura s’est rendu en Estonie, à Malte et aux Pays-Bas. Le port d’Amsterdam a donc demandé une analyse plus poussée des produits et a augmenté la facture pour leur récupération. Le Probo Koala a alors mis le cap sur Abidjan où une entreprise venait d’obtenir l’agrément pour récupérer en mer le slop.

Que s’est-il  alors passé en 2006 à Abidjan ?

Le sous-traitant a récupéré les déchets conformément au contrat. Il n’était fait aucune mention du traitement éventuel de ces déchets. Nous reprochons à Trafigura de ne pas s’être assuré que ces déchets seraient correctement traités. Ceux-ci ont été déversés dans une décharge publique à ciel ouvert qui se trouve à une centaine de mètres des habitations. Les premiers chauffeurs de camion se sont rendus compte de la toxicité de ce qu’ils transportaient, certains ont pris peur et ont déversé leur cargaison dans 18 sites différents d’Abidjan.

10 ans après, quel est le bilan sanitaire ?

Il n’est pas possible d’évaluer l’impact sanitaire puisque aucune étude épidémiologique n’a été entreprise à partir de la date du déversement des déchets jusqu’à maintenant. Le chiffre de 15 décès provient du gouvernement dans les jours qui ont suivi le déversement et près de 100 000 personnes ont consulté un médecin à l’époque.

Est-ce que les responsabilités ont été établies ?

Pour nous, depuis notre rapport Une vérité toxique de septembre 2012, elles sont clairement établies entre Trafigura, sa filiale, les intermédiaires et les autorités portuaires qui ont laissé le navire partir d’Amsterdam et rentrer à Abidjan. Le seul procès, qui a eu lieu aux Pays-Bas, a reconnu Trafigura responsable pour l’exportation illégale de déchets toxiques et pour le camouflage de leur véritable nature.

La société connaissait-elle la toxicité de ces déchets ?

Oui car ils ont produit eux-mêmes cette matière par un procédé qu’ils ont créé de façon illégale. A Amsterdam, ils ont constaté la volatilité du produit, qui provoquait irritation et réaction chez les personnes qui le manipulaient. Pour ces raisons, le port d’Amsterdam avait relevé la facture pour récupérer ces déchets car il y avait des signes d’alerte. Trafigura a préféré les reprendre pour s’en débarrasser ailleurs à moindre coût.

Où en sommes-nous des recours en justice  et des indemnisations ?

Un accord entre Trafigura et l’état ivoirien a été signé. Nous le dénonçons car il empêche toutes poursuites. De ce fait, les victimes n’ont plus accès à la justice. Il y a bien eu des indemnisations dans le cadre de cet accord. Les indemnisations gouvernementales ont bien été distribuées même si un petit nombre de victimes ne les ont pas encore reçues. Une autre procédure d’indemnisation est entachée par des malversations et des détournements de fonds.

Quel a été l’impact de l’affaire sur Trafigura ?

L’entreprise Trafigura n’est pas connue du grand public, le risque lié à l’image a été très limité pour elle. Elle vend pourtant ses produits à des marques connues comme Total ou Shell. De plus, l’entreprise a guetté la manière dont on parlait du déversement et veillé à ce que le lien direct ne soit pas mis en avant. Il est toujours prudent d’indiquer que Trafigura a donné les déchets à un sous-traitant qui les a déversés. Ils ont toujours dénoncé quiconque  dit qu’ils ont créé des morts directement. Elle a donc donné les déchets à un sous-traitant qui les a déversés à Abidjan. Trafigura a par ailleurs poursuivi en justice des journalistes dont ceux de la BBC.

Aujourd’hui, une affaire similaire au Probo Koala serait-elle possible ?

Ce qui est choquant, c’est que Trafigura n’a pas respecté les règles de la convention de Bâle. La firme n’avait pas le droit d’exporter ou de donner à un sous-traitant ses déchets. En l’état, la réglementation internationale sur les mouvements transfrontaliers de déchets est suffisamment claire.

Qu’en est-il de la législation sur les multinationales ?

Nous demandons l’existence d’une vraie responsabilité juridique entre les maisons-mères, leurs filiales et les donneurs d’ordre. Aujourd’hui, le donneur d’ordre se cache derrière le sous-traitant pour justifier son irresponsabilité. Nous travaillons en France à l’élaboration d’une loi sur le devoir de vigilance des multinationales, qui est passée en deuxième lecture à l’assemblée le 23 mars dernier.

Que contient ce projet de loi ?

La proposition de loi actuelle est faible car elle propose seulement un plan de vigilance : les entreprises doivent renseigner avec qui elles travaillent, dans quel pays. Le texte ne prévoit pas vraiment de responsabilité juridique, c’est néanmoins un premier pas encourageant. Pour nous il faut reconnaitre la responsabilité des donneurs d’ordre.

Propos recueillis par Julien Leprovost

Pour aller plus loin sur le sujet :
le compte Twitter d’Amnesty International qui retrace le parcours du Probo Koala

–  le rapport d’Amnesty International et Greenpeace

– un entretien avec Sabine Gagnier

https://www.goodplanet.info/actualite/2014/09/29/loi-pour-que-les-multinationales-restent-vigilantes/

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