On est tenté de conclure qu’en Europe, l’objectif de gestion forestière durable a été atteint: la superficie des forêts augmente dans la plupart des pays. Mais peut-on croire cette affirmation de la FAO en ce qui concerne la France?
La surface forestière
Le ministère de l’Agriculture publie régulièrement des indicateurs de gestion de la forêt française assez complets, établissant l’Inventaire Forestier National (IFN). La dernière édition date de 2005 et fournit une estimation précise de l’évolution de la surface forestière entre 1993 et 2003. C’est même le premier indicateur proposé au lecteur! Augmente-t-il? Oui, la forêt proprement dite augmente d’environ 60.000 ha par an et atteint désormais 15,4 millions d’hectares soit 28,1% du territoire national. Non, la forêt linéaire qu’est le bocage régresse d’environ 15.000 ha par an. Non, les autres terres boisées au sens de la FAO (landes et maquis) régressent d’environ 19.000 ha par an.
Le total des formations boisées et arborées en France atteignait 18,4 millions d’hectares en 1993 et 18,6 millions d’hectares en 2003, soit une quasi-stabilité.
Les forêts naturelles
Mais de quoi parle-t-on? Le mot forêt recouvre une large variété de situations. Combien reste-t-il en France de forêts dites primaires ou naturelles, c’est à dire qui n’ont jamais été exploitées par l’homme? Le livret du ministère de l’agriculture donne l’information, qu’il faut aller piocher au troisième point du quatrième chapitre: 30.000 ha soit 0,2% des forêts françaises! Et encore il s’agit seulement de forêts n’ayant pas été exploitées depuis au moins 50 ans. Leur protection est donc une priorité.
Combien de forêts sont-elles strictement protégées en France? 187.000 ha selon l’IFN soit 1,2% des forêts seulement! Elles concernent les zones centrales des parcs nationaux, les réserves naturelles et les réserves biologiques intégrales ou dirigées situées en forêt publique. L’ IFN note que « ce taux est très faible, comparé à celui des pays scandinaves ou d’Amérique du Nord. »
À quoi ressemble une forêt naturelle?
Pour l’écologue Jacques Blondel, une forêt naturelle se caractérise d’abord par la complexité de sa structure verticale avec cinq à six strates bien individualisées de végétation et une hauteur moyenne de la canopée atteignant 30 à 40 mètres, percée de loin en loin par des arbres géants. Ces « émergeants » ajoute Jacques Blondel rappellent les grands arbres des forêts tropicales dont les forêts tempérées ne seraient qu’un « épiphénomène« ! Le deuxième trait majeur est l’importance du bois mort sur pied. À Bialowieza par exemple en Pologne, forêt naturelle de référence chez les naturalistes européens, la quantité de bois mort s’élève à plus de 60 m3 par ha et les grands troncs abattus totalisent quant à eux plus d’un km à l’hectare. À titre de comparaison, il y a en moyenne 1,28 m3 de bois mort dans les forêts gérées par l’Office national des forêts!
Enfin, la dernière caractéristique d’une forêt naturelle est l’hétérogénéité des structures dans l’espace. Pour le dire plus simplement, une forêt naturelle est une véritable mosaïque de compartiments d’âge et de structures très différents. À l’échelle du massif forestier, des trouées et des clairières provoquées régulièrement par la sénescence des arbres ou des perturbations climatiques fortes alternent avec des blocs plus compacts.
Une véritable forêt naturelle nécessite une vaste superficie afin que son écosystème puisse fonctionner normalement. il n’y a pas encore en France de massif forestier qui soit ainsi préservé. […]
La gestion en futaie jardinée
Rappelons au préalable qu’une futaie est une « forêt composée de grands arbres« . Les leçons tirées du fonctionnement naturel de l’écosystème forestier ont conduit à la mise au point d’une gestion en futaie jardinée ou plus généralement en futaie irrégulière. Son principe: l’utilisation optimale des processus d’évolution naturelle, c’est– dire de ce que la nature ferait sans de fortes et coûteuses interventions. Concrètement, cela veut dire qu’il n’y a jamais de coupes rases et que l’exploitation des arbres se fait au cas par cas.[…] L’écosystème, sa faune et sa flore sont alors préservés, tout comme la rentabilité économique, d’autant plus que ce mode de gestion permet à la forêt de résister beaucoup mieux aux tempête ou aux ravageurs. Ce mode de gestion idéal ne concerne pourtant que 4,6% et 639.000 ha de forêts en France en 2004 et est en net recul: il représentait 5,5% et 729.000 ha en 1989.
La gestion en taillis sous futaie
Il s’agit du mode historique de gestion des forêts de plaine en France depuis cinq siècles. Comme son nom l’indique, il s’agit d’exploiter tous les dix à quinze ans des taillis sous la futaie elle-même. Depuis 1850, un mouvement ininterrompu a été lancé par l’administration forestière pour les convertir en futaie régulière. Aujourd’hui, la surface en taillis sous futaie ne représente plus que 30,4% de la forêt française en 2004 contre 32,7% en 1989.
La gestion en futaie régulière
C’est le mode de gestion qui a explosé depuis le début du XXe siècle. Rappelons le cycle d’une futaie régulière: une plantation ou une régénération naturelle sur un sol nu, puis plusieurs « éclaircies » au fil des années pour ne laisser finalement subsister que les arbres qui seront récoltés par coupe à blanc. Le sol est alors mis à nu et le cycle reprend. Ce mode de gestion est beaucoup plus brutalement simple que la gestion en forêt jardinière, ce qui explique son développement. Mais c’est aussi un mode de gestion qui produit beaucoup de petit bois d’éclaircie nécessaires à l’industrie papetière, qui exerce donc une forte pression en faveur de ce modèle sylvicole. La surface en futaie régulière représente aujourd’hui 49% des forêts françaises en 2004, contre 43,1% en 1989 soit une évolution extrêmement rapide.
Plantations
Les plantations artificielles couvraient 1,9 million d’hectares soit 12,6% des forêts en 2004 contre 1,7 million d’hectares en 1989.
Bilan
Un dérisoire 0,2% de forêts naturelles, une surface strictement protégée d’à peine plus de 1%, un mode de gestion proche de la nature pour les forêts exploitées en régression à 4,6%, des plantations artificielles en augmentation à 12,6% des forêts: le bilan ne porte franchement pas au cocorico. Pourtant un changement d’esprit indéniable a eu lieu ces dix dernières années en ce qui concerne les forêts domaniales et communales gérées par l’Office national des forêts, soit 11% des forêts françaises. Mais, dans la réalité, l’exploitation du bois au détriment de toute autre considération reste prioritaire, même dans des forêts symboliques comme la forêt de Tronçais où la sage association des Amis de la forêt crie aujourd’hui au massacre…
Ecrire un commentaire