Acheter des produits écologiques ne suffira pas à maintenir le train de vie des États-Unis, d’après les experts, à moins qu’avoir le « look écolo » ne se transforme en « vote écolo ».
Apparemment, tout le monde se met au vert maintenant. Des magazines comme Elle, Fortune, et Vanity Fair ont sorti des « numéros verts » l’année dernière, et la cérémonie des Oscars a obtenu le label « carbon neutral ». Le Vatican a récemment annoncé un programme de compensation de ses émissions en 2007, tandis que le Costa Rica s’est engagé à un devenir un pays « zéro carbone » d’ici 2021.
Être écolo, c’est même branché. Whole Foods Market a sorti la semaine dernière en édition limitée un sac en coton arborant l’inscription « Je ne suis pas un sac plastique » au prix de 15 dollars. Sa mise en vente dans les magasins WFM de Taiwan a provoqué une émeute de même qu’à Hong Kong où la police a dû fermer le centre commercial, tandis qu’à New York, on a fait la queue dès l’aube. Plus tard dans la journée, le sac se vendait sur Craigslist entre 200 et 500 dollars. « Ces sacs sont de vraies banderoles, » dit Isabel Spearman, porte-parole de la créatrice du sac, Anya Hindmarch. « Quand quelque chose est à la mode, ça finit par devenir une habitude. C’est le but. »
Les futés du marketing ont trouvé un bon filon. Mais devant cet engouement pour le vert, on peut se demander en quoi cela répond à ce qui est souvent considéré comme une catastrophe climatique imminente.
Du fait qu’il implique un changement d’attitude de la part du consommateur, certains considèrent la « vertédification » (greenlightment en anglais) comme un phénomène encourageant. Et puisqu’elle crée une demande pour des produits moins nuisibles à l’environnement, nombreux sont ceux qui pensent que l’on va dans la bonne direction.
Pourtant, selon les mots d’un professeur, « on fonce à toute vitesse vers le bord d’une falaise ». Cet engouement peut-il nous sauver ? Les réponses des spécialistes vont de « c’est une plaisanterie » à « c’est un début – et peut-être un catalyseur – qui ouvre la voie à des changements importants dans le futur ». Mais personne ne croit que la consommation écologique va, à elle seule, tirer l’humanité de ce mauvais pas climatique. Comme l’écrit Alex Steffen, co-fondateur de worldchanging.com, site web d’information écologique : « aucune combinaison d’achats ne rendra durable l’actuel mode de vie étasunien. On ne peut pas s’acheter une conduite durable ».
Le problème, disent les experts, c’est l’ampleur du problème. Selon le rapport Living Planet de WWF, depuis 2003, les demandes de l’ensemble de l’humanité dépassent de 25 % les ressources de la Terre. Les plus exigeants sont les Étasuniens qui consomment deux fois plus que ce que la planète peut supporter.
Pour beaucoup, sauver la planète implique de réviser complètement nos infrastructures énergétiques. Cela passe par des efforts sur plusieurs fronts pour améliorer l’efficacité énergétique et les technologies renouvelables, tout en repensant entre autres l’urbanisme, l’agriculture et les transports publics.
Certains comparent ces efforts à ceux consentis lors de la Deuxième guerre mondiale, lorsque, confrontée à une menace claire et incontournable, la société étasunienne s’est mobilisée et a accepté des sacrifices pour le bien commun. (L’analogie s’arrête là car il faut se souvenir que les Étasuniens entendaient bien revenir « à la normale » après la guerre. Comme le fait remarquer Dale Jamieson, directeur du département d’études environnementales de l’université de New York, réduire les émissions de CO2 nécessite un changement permanent.) D’autres font la comparaison avec l’ère progressiste de Teddy Roosevelt, qui avait vu grandir le pouvoir des corporations et autres intérêts privés au détriment des institutions publiques et de la société en général.
Sans doute est-il plus approprié de faire la comparaison avec la fondation même des États-Unis lorsque, prenant l’Histoire pour guide, les concepteurs de la Constitution tentèrent d’établir aussi bien au niveau social que politique une « société durable ». « Ces gens voyaient loin et se disaient « faisons un gouvernement qui puisse durer », dit le Dr Jamieson. C’est un peu du même ordre. »
Michael Dorsey, professeur au département d’études environnementales du Dartmouth College de Hanovre, dans le New Hampshire, appelle cela « la pratique de la citoyenneté. » Il prend pour exemple la mesure proposée par le maire de New York, Michael Bloomberg, d’imposer une taxe d’encombrement de 8 dollars sur les véhicules. Même si l’idée n’est pas du goût des chauffeurs de taxi, elle est, selon lui, conçue pour le bien commun.
« Les gens ne doivent pas raisonner comme des consommateurs, mais comme des citoyens au sein d’une société, explique-t-il. La seule chose qui peut empêcher la catastrophe climatique, c’est que des décideurs audacieux prennent des décisions audacieuses en collaboration avec des citoyens audacieux prêts à des actions audacieuses. C’est la seule. Il n’y en a pas d’autre ».
D’autres pensent que le problème est plus complexe. « C’est la société la plus consommatrice de l’Histoire et elle doit essayer de changer son empreinte, » dit Jamieson comparant cela à l’Empire romain se transformant en village du Vermont. Le consumérisme vert galvanisé par les effets de mode « est une condition nécessaire mais insuffisante. Si l’on veut que ça change, on a besoin de ce type d’énergie et d’enthousiasme. Mais ça permet juste de mettre un pied dans la porte ».
Ce mouvement de consommation a des limites inhérentes. Par définition, les consommateurs prêts à payer plus chers pour des produits écologiques sont peu nombreux, fait remarquer Michael Shellenberger, directeur associé de American Environics à Oakland, en Californie. Ils font généralement partie d’une « élite » aisée avec un bon niveau d’éducation. C’est une minorité dont le mode de consommation n’a que peu d’impact. À partir de sondages, M. Shellenberger a constaté que la plupart de ces consommateurs sont bien conscients que leurs choix de consommation ne suffiront pas à changer les choses. Il s’agit pour eux d’un choix éthique – « une forme de vigilance, dit-il, mais ils admettent presque tous qu’une action politique est nécessaire ».
Ou, comme le dit Dan Becker, directeur du programme réchauffement climatique de la fondation Sierra Club : « le gouvernement doit agir ; afin que les consommateurs, pour boucler la boucle, comprennent qu’ils doivent aller voter ».
C’est peut-être devant les urnes que les raisons de « passer au vert » ont le plus d’importance. Ce que l’on consomme a des fonctions manifestes et des fonctions latentes, explique Christopher Henke, professeur assistant de sociologie à l’université de Colgate à Hamilton, dans l’état de New-York.
La valeur manifeste d’un sac en toile est qu’il permet de transporter des choses sans avoir recours au plastique. La valeur latente d’un sac Anya Hindmarch proclamant « Je ne suis pas un sac plastique » – en référence au célèbre tableau du surréaliste René Magritte « Ceci n’est pas une pipe » – vendu par Whole Foods Market au prix de 15 dollars n’a quasiment aucun rapport avec son utilité manifeste.
« On essaie de présenter une certaine image de soi, en l’occurrence quelqu’un d’éco-responsable, qui fait ses courses dans certains magasins et suit une tendance particulière, dit le professeur Henke. Seulement si c’est pour s’en lasser au bout d’un mois, cela n’aura servi à rien ».
Il s’ensuit que si les effets de mode peuvent influer sur certains choix de consommation, n’en reste pas moins la question à un million. Que se passera-t-il quand le consommateur au volant de sa voiture hybride, son sac en toile sur l’épaule, prêt à sortir sa carte bleue « verte » (GE vient de sortir une carte de crédit qui permet d’acheter des parts de participation à des projets de réduction des émissions de CO2) ira voter ?
« Tout est là, » dit Jon Isham, spécialiste en économie environnementale internationale au Middlebury College dans le Vermont. « C’est pour ça qu’il faut dépasser le stade de l’effet de mode. »
Si l’on considère l’échec, en novembre dernier, d’une initiative de l’État pour taxer le pétrole extrait en Californie, ce qui fait chic sur l’épaule est encore loin de ce qui fait cool sur un bulletin de vote. Une chose est pourtant sûre d’après le Dr. Isham, qui paraphrase le célèbre dicton de l’économiste Herbert Stein : « Si ça ne peut pas continuer, ça s’arrête ».
Can ‘green chic’ save the planet ?
Moises Velasquez-Manoff
The Christian Science Monitor, 26 juillet, 2007.Copyright © 2007 Christian Science Monitor.
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