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Les algues vertes : un problème de santé publique

Les algues vertes continuent de défrayer la chronique. Le porte-parole d’Eau et Rivières de Bretagne, Jean François Piquot, fait le point sur la situation alors que les marées vertes se sont poursuivies cet été.

Nous sommes à la fin de l’été, quelle est à l’heure actuelle la situation des algues vertes ?

Même si la situation ne s’est pas améliorée en ce qui concerne les algues vertes, l’été a été agité et marque sans doute une date importante puisque nous avons eu confirmation du risque sanitaire posé par les algues vertes. Désormais, elles ne sont plus seulement un problème environnemental mais aussi, avant tout, un problème de santé publique, c’est pourquoi pour la première fois il a été décidé de fermer momentanément certaines plages.

Qu’est ce qui est responsable de leur prolifération ? Quel est le rôle des nitrates ?

Plus de 70 études ont montré que les nitrates étaient un facteur limitant de la prolifération des algues vertes. Nous savons qu’en Bretagne, près de 95% des nitrates polluants l’eau proviennent de l’agriculture et de l’élevage. Il faut savoir que la Bretagne représente 5% de la surface agricole française, et concentre 60% des porcs, 45% des volailles et un peu moins du tiers des vaches laitières du pays. C’est totalement disproportionné ! Pour vous donner un ordre de grandeur, la Bretagne compte 3 millions d’habitants, mais en comptant le cheptel, elle doit gérer les effluents de 60 millions d’équivalent-habitant. En aucune façon, de tels rejets dans les eaux superficielles ne sont épurables sur un territoire de la taille de la Bretagne. D’autant plus que l’hydrologie particulière de la région accentue sa vulnérabilité. En effet, pour chaque kilomètre carré, on compte en moyenne 10 km de cours d’eau.

La responsabilité des algues vertes dans la mort des sangliers ou du cheval est-elle prouvée ?

Elle est indiscutable dans le cas de la mort du cheval. Le cavalier, qui a aussi failli y laisser la vie, a fait autopsier à ses frais sa monture. Les conclusions de l’autopsie mettent en cause sans discussion possible l’hydrogène sulfuré (H2S) résultant de la décomposition des algues. Dans le cas des sangliers, après de nombreux atermoiements, l’Etat a finalement reconnu le rôle de ce gaz toxique issu de la décomposition des algues vertes.

Faut-il craindre que le problème s’aggrave, voire que des humains soient menacés ?

La menace a toujours existé. Pour les humains, elle dépend surtout de l’endroit, de son accessibilité. Il faut garder en tête que, quand cela s’avère possible, les plages sont raclées chaque jour par les bulldozers pour en retirer les algues. Mais cette méthode signifie aussi une atteinte à la biodiversité et à l’écosystème de la plage. Mais, et là le problème est quasi insoluble, on trouve aussi des dépôts d’algues vertes dans des zones rocheuses. Or en ces endroits difficilement accessibles, pas de ramassage possible, et il y a donc nécessairement risque dès que les algues entrent en putréfaction.

Cela fait plus de 25 ans que les marées vertes existent. Cet été une fois de plus, elles sont revenues et ont défrayé la chronique, pourquoi rien ne semble avoir été fait ?

Si rien de sérieux, d’efficace, de cohérent, et à la mesure du problème n’a été entrepris avant que la santé publique devienne un enjeu reconnu, il faut en demander les raisons à nos responsables politiques et étatiques. Mais il vrai que la France a maintes fois été condamnée pour non-respect des directives européennes liées à l’eau. Ainsi, dans le cas de la Bretagne, chacun sait que la France a été condamnée en 2001 pour non respect de la directive de 1975 pour les eaux superficielles destinées à la potabilisation, car elles contenaient plus de 50 milligrammes de nitrates. La solution a été trouvée : plusieurs captages ont été tout simplement fermés.

On pourrait dire que parfois nous sommes dans un Etat de droit qui ne respecte pas le droit et qui s’en sort en recourant à des solutions ubuesques !

Les blocages sont en grande partie politique. La cogestion du problème par deux ministères différents ne facilite pas les choses sachant que malgré les promesses du Grenelle, le Ministère de l’agriculture prime sur celui de l’écologie. Nous le vivons chaque jour. De plus, la FNSEA qui continue de co-gérer les destinées de l’agriculture avec l’Etat obtient sous prétexte de simplifications administratives toujours moins de contraintes, moins de transparence et moins de contrôles sur les pratiques agricoles intensives. En ce domaine, l’exemple breton est quasi caricatural. Ainsi les éleveurs porcins disposent du soutien de certains députés. Par exemple, Marc Le Fur, surnommé « le député du cochon », qui lors de la loi sur la modernisation agricole a obtenu une déréglementation des ICPE d’élevages. Comme si cela n’avait pas encore suffit, il est fortement question aujourd’hui de déréglementer les bases de calcul des rejets de nitrates.

Cependant tout n’est pas noir. Avec le temps, on observe certains progrès. Nombre d’agriculteurs ont pris conscience des dommages pour l’environnement de certaines pratiques et ont fait de réels efforts. À Eau et Rivières de Bretagne, nous avons souvent travaillé avec la Confédération Paysanne. Avec eux, nous portons le même regard sur l’indispensable convergence entre une agriculture durable et paysanne et le respect de l’environnement.

Où en sommes nous dans la recherche de solutions ?

La solution actuelle prônée par l’Etat reste le plan algues vertes. Mais, à moyen et long terme, il s’avèrera indiscutablement insuffisant. Le financement accorde beaucoup plus d’importance au curatif qu’au préventif. Tant qu’en Bretagne, l’élevage continuera de produire autant d’effluents, cela demeurera écologiquement ingérable. De plus, ce plan prévoit de gérer les algues vertes sur 8 baies alors que nous avons recensé des algues vertes dans plus de 100 points différents du littoral.

Comment réagissez vous aux propositions des autorités (interdiction d’accéder à certaines plages, nettoyage, ramassage et le plan de réduction du nitrate d’ici à 5 ans proposés par la région Bretagne) ?

Ce plan constitue un pas en avant en terme d’annonce. Reste à voir quelle sera sa mise en place. Comment réagira concrètement l’industrie agroalimentaire et le syndicat agricole majoritaire qui pour l’instant se refuse à changer de modèle. Et, il faut le dire, c’est avant tout le contribuable et le consommateur d’eau qui payent ce plan, l’agrobusiness (c’est-à-dire toute la filière alimentaire dont les produits sont issus des grands élevages) ne paye presque rien.

Combien de personnes sont exposées aux algues vertes dans le cadre de leur travail ?

Il n’est pas de notre rôle associatif de tenir cette comptabilité. Cela dépend des communes et de la manière dont elles organisent le ramassage des algues. Il peut s’agir d’employés municipaux comme de salariés d’une entreprise en délégation de service publique. En regardant les comptes des communes, il serait peut-être possible d’en savoir plus.

Avez-vous une estimation du coût économique des marées vertes ?

Pour le moment, nous ne disposons d’aucune évaluation sérieuse. Et c’est fort dommage ! Toutefois, une étude récente du Conseil Général du Développement Durable estime le coût de la dégradation des eaux en France à 5 milliards d’euros. Cela donne une première évaluation de l’ampleur du problème au niveau national. Le consommateur d’eau paye 85% de la redevance pollution, l’industrie 10% et les 5% restants sont payés par les agriculteurs. Or, c’est un fait indiscutable, l’agriculture productiviste et l’élevage hors-sol externalisent le coût des dégâts qu’ils causent à l’environnement puisqu’ils ne participent nullement à hauteur des nuisances provoquées.

Puisque l’agriculture et l’élevage sont en question, que peuvent faire les citoyens et consommateurs pour apporter une solution au problème des algues vertes ?

Du côté des consommateurs, il y aurait bien des choses à faire en lançant par exemple un boycott des produits issus de cette agriculture polluante. Mais ce type d’action est davantage dans la culture des pays d’Europe du Nord que dans la nôtre. Les associations de consommateurs sont dans ce domaine particulier de l’alimentation à la fois frileuses et insuffisamment puissantes. Et en période de crise, où le pouvoir d’achat est en berne difficile d’imaginer des actions mobilisatrices.

La généralisation du bio permettrait d’avoir de meilleurs produits, avec un impact bien moindre sur l’environnement. Le tout pour un coût qui serait à peine supérieur à celui des produits industriels vendus à l’heure actuelle si l’on tient compte du vrai coût réel : celui payé lors de l’achat et celui payé par le contribuable par le biais de la PAC. Car dans ce domaine le véritable levier pour le changement est indiscutablement la Politique Agricole Commune (plus connu sous le nom de PAC). Jusqu’à présent, elle a toujours privilégié par ses aides l’agriculture productiviste. Pendant des décennies, la PAC s’est faite l’allié de la quantité plutôt que la qualité et la protection de l’environnement. L’indispensable changement de modèle agricole ne sera possible que si demain l’Europe décide que la protection de l’environnement (qualité de l’air, de l’eau, des sols) prime sur la seule productivité.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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