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Agent Orange une aumône pour les victimes du plus grand écocide de l’histoire de l’humanité

Le 10 août 2010,* il y aura 50 ans que le premier agent chimique contenant de la dioxine fut épandu par les Etats-Unis sur la forêt et les récoltes vietnamiennes. Commençait dès lors l’utilisation des défoliants dits « arc-en-ciel » (Agents Orange, Blanc, Bleu, Rose, Vert et Pourpre…). L’objectif des militaires : détruire le couvert végétal qui abritait les combattants vietnamiens mais aussi affamer la résistance et la population.

Un plan d’action ayant pour objectif d’éliminer les séquelles de l’Agent Orange au Viêt Nam vient d’être publié (lien :L’Institut Apsen). Proposé par le groupe de discussions vietnamo-états-unien (composé de 10 personnalités, à parité pour chaque pays : citoyens, scientifiques, et élus) sous le parrainage de la Fondation Ford, ce plan préconise que les USA versent au Viêt Nam 30 millions de dollars par an durant 10 ans. Si je ne peux que me réjouir de cette initiative qui vient souligner, 35 ans après la fin de la guerre, la nécessité de tourner la page, il faut le rapporter à l’engagement pris par les États-Unis en janvier 1973. En effet, l’article 21 des Accords de Paix de Paris signés par les deux nations belligérantes prévoyait un dédommagement de guerre au profit du Viêt Nam d’un montant de 5 milliards de dollars (sans parler du Laos et du Cambodge)… Mais les Vietnamiens ne reçurent rien du dédommagement promis : au contraire, ils se virent imposer un embargo économique pendant près de 20 ans !

Fascinés par ce montant de 300 millions de dollars, les médias, (voir l’article du journal Le Monde daté du 16 juin) n’ont fait preuve d’aucun discernement. D’abord, ils ont donné l’impression que la décision d’octroyer cette somme avait été entérinée par le gouvernement états-unien. Or il n’en est rien. Car si le document de vingt pages précise qu’un tiers des fonds seraient attribués à la décontamination de la dioxine dans les sols et les deux autres tiers à la construction de structures et d’aides médicales aux victimes vietnamiennes, il ne s’agit que d’une déclaration de bonnes intentions, qui ne précise pas quels seraient les débiteurs, ni quel pourrait être le rôle des ONG.

Ensuite, cette recommandation, émise par une organisation qui n’a aucun pouvoir décisionnel ni financier, doit être mise en relation avec la déclaration de la vice-présidente de l’Assemblée nationale du Viêt Nam : Mme Tong Thi Phong avait annoncé une semaine plus tôt que son pays comptait actuellement 4 millions de victimes contaminées par l’Agent Orange. Un rapide calcul permet de constater que cette offre attribue à chaque victime seulement 5 dollars par an ! Comment une telle somme leur permettra-t-elle d’accéder aux soins lourds, à une aide psychologique ou matérielle ?

Le vœu formulé par le groupe de dialogue est positif, puisqu’il multiplie par 100 les engagements de la précédente administration. Cependant, le ministère des Anciens combattants états-unien annonce pour la seule année 2010, un budget supplémentaire de plus de 13 milliards de dollars pour les centaines de milliers de vétérans états-uniens, insuffisamment pris en charge. Les 300 millions de dollars sur 10 ans, paraissent alors d’une obscénité insondable en regard des millions de Vietnamiens contaminés.

Fin juin, j’apprends que l’ONU consacre, dans le cadre du Plan des Nations Unies au développement (PNUD), 5 millions de dollars pour participer à la décontamination de l’ancienne base américaine de Bien Hoa -l’un des 28 principaux « points chauds » nécessitant une action urgente- alors que la Fondation Ford avait estimé à 60 millions de dollars la décontamination de trois bases. Lors de mon intervention à l’ONU visant à obtenir de cette institution « une aide urgente, conséquente et adaptée » pour les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et la décontamination de leurs sols, j’avais rappelé que le Viêt Nam comptait 11 « Villages de la paix » accueillant les victimes de l’Agent Orange quand 1 000 (voire le double selon leur capacité) étaient nécessaires pour les seuls enfants ! Si l’annonce de cette aide de la part de la principale institution internationale constitue une première forme de reconnaissance mondiale de cette catastrophe écologique et humaine, je dénonce la modicité de cette attribution. Je dénonce également l’indignité que ni Dow Chemical ni Monsanto* (ni aucune autre compagnie chimique US ayant fabriqué le poison) n’ont la moindre intention de payer quoi que ce soit aux victimes vietnamiennes – alors qu’elles ont signé, en 1984, un accord à l’amiable avec les associations d’anciens combattants américains pour 180 millions de dollars (ce qui leur permit à très bon compte d’éviter un procès).

La volonté de détruire durablement les forêts tropicales de l’intérieur, celles semi-inondées du delta du Mékong, les mangroves du littoral, ainsi que les cultures, a abouti à un crime qui n’avait pas de nom jusqu’ici : l’écocide. Cette guerre chimique, la plus grande de toute l’histoire de l’humanité, reste quasiment inconnue malgré sa portée immense. Les effets en cascade dus à l’anéantissement de toute végétation sont dantesques, en premier lieu pour le règne végétal lui-même bien sûr, mais aussi pour le règne animal auquel appartient l’homme, comme pour les sols.

Les agents chimiques déversés sur le Viêt Nam représenteraient en effet au minimum 72 millions de litres sur presque 3 millions d’hectares… Cela représente environ 300 kilos de la forme la plus toxique de dioxine. Cependant, la logique des épandages renouvelés sur les mêmes surfaces, parfois jusqu’à 10 reprises, me permet de révéler que les volumes réels approchent vraisemblablement les 350 millions de litres ! Celle-ci pénètre dans les organismes par simple contact, par inhalation, et surtout par ingestion (elle remonte ainsi la chaîne alimentaire). Liposoluble, elle se fixe dans les tissus adipeux par bioaccumulation, et n’a pratiquement pas de voie de déstockage, excepté le sperme chez l’homme (aboutissant aux effets tératogènes chez le nouveau-né) et le lait maternel chez la femme (ayant pour conséquences l’empoisonnement du nourrisson).

Avant même son utilisation, les effets secondaires de ce poison étaient parfaitement identifiés par les scientifiques travaillant pour les fabricants. Pourtant à ce jour, la justice n’a toujours pas tenu compte du principe de l’intentionnalité qui lui est habituellement cher. À l’heure où vous lisez ces lignes, des victimes de l’Agent Orange continuent de mourir au Viêt Nam, mais aussi aux États-Unis et dans tous les pays dont des citoyens ont combattu dans cette guerre coloniale, ou dans les territoires où les essais ont eu lieu, où le produit a été stocké… D’autres viennent juste de naître. Ces victimes, et plus particulièrement au Viêt-Nam, ont besoin du soutien de tous. Maintenant !

Agent Orange une aumône pour les victimes du plus grand écocide de l’histoire de l’humanité

Par André Bouny

texte courtoisie de l’auteur

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