Les diamants ont une image de pureté et de lumière. Ils sont offerts en promesse d’amour et sont un symbole d’engagement. Les diamants sont pourtant à l’origine de meurtres épouvantables, de nombreux viols et d’amputations.
L’ancien président du Libéria Charles Taylor, actuellement mis en accusation pour crimes de guerre devant un tribunal spécial à La Haye, est soupçonné d’avoir utilisé les diamants pour financer les rebelles dans la guerre civile en Sierra Leone. Les faits qui sont reprochés à Taylor ne sont que quelques uns des nombreux exemples dans lesquels les diamants sont impliqués dans des violations généralisées des droits de l’homme.
Lorsque l’utilisation de diamants pour financer de violents conflits en Afrique avait attiré l’attention du monde entier, l’industrie du diamant mit en place le Processus Kimberley pour retirer les « diamants de sang » du commerce international. Cette initiative rencontrât un certain succès bien qu’elle n’ait pas totalement mis un terme au négoce de diamants dans certains pays déchirés par des conflits comme en République Démocratique du Congo.
Certains au sein de l’industrie s’inquiètent cependant des limites de ce Processus Kimberley et du fait que l’on fait croire aux consommateurs qu’il n’y a plus aucun problème éthique avec les diamants. C’est loin d’être la vérité.
Le problème a atteint son paroxysme cette année lorsque le Processus Kimberley a accepté de certifier les diamants en provenance de Marange au Zimbabwe. Le gisement de diamant de Marange, découvert en 2006, est l’un des plus riches au monde.
Selon Diamonds and Clubs, un récent rapport publié par Partnership Africa Canada, des soldats ont contraint des paysans à travailler sur l’exploitation minière de Marange et prélèvent alors la moitié des recettes. Il y a aussi eu de nombreux tabassages et des détentions arbitraires. Lorsque l’information sur ces abus fut diffusée par Farai Maguwu, activiste des droits de l’homme zimbabwéen, ce dernier a été arrêté (puis libéré depuis).
Les autorités zimbabwéennes prétendent que les violents abus contre les droits de l’homme ont cessé, mais le problème éthique autour des diamants de Marange est beaucoup plus profond. Les militaires zimbabwéens ont pris le contrôle de la zone peu après la découverte de ce gisement. Selon le ministre des finances Zimbabwéen Tendai Biti, quatre ans après cette prise de contrôle par l’armée, l’administration des finances n’a toujours perçu aucun centime de royalties de la vente des diamants de Marange. Les militaires zimbabwéens et l’élite politique se sont appropriés l’immense richesse des gisements de diamant pour leur compte personnel, sans aucun bénéfice pour les millions de pauvres désespérés qui auraient besoin du genre de services que le pays a les moyens de fournir.
Ce n’est évidemment pas la première fois que la découverte de ressources dans un pays sous-développé crée la richesse pour certains plutôt que la prospérité pour tous. Teodoro Obiang, le dictateur de ce tout petit pays riche en pétrole qu’est la Guinée Equatoriale, perçoit un salaire officiel de 60 000 dollars mais possède six jets privés et une maison à Malibu d’une valeur de 35 millions de dollars, ainsi que d’autres demeures dans le Maryland et à Capetown, sans compter une flotte de Lamborghini, de Ferrari, et de Bentley.
La plupart des personnes sur lesquelles règne Obiang vit dans une pauvreté extrême avec une espérance de vie moyenne de 49 ans et un taux de mortalité infantile de 87 pour mille naissances (en d’autres termes, plus d’un enfant sur douze meurt avant son premier anniversaire). Le Nigeria et l’Angola sont deux autres exemples flagrants de pays qui n’ont pas utilisé leurs richesses pétrolières pour le bien être de leurs peuples.
Paradoxalement, les pays en développement riches en ressources naturelles sont souvent dans une situation pire que ceux qui en sont dépourvus. Ceci peut s’expliquer par le fait que ces richesses naturelles sont autant de tentations financières pour renverser le gouvernement et saisir le pouvoir. Les rebelles savent que s’ils y parviennent, ils s’enrichiront énormément, seront à même de récompenser ceux qui les ont soutenus et auront suffisamment d’armes pour leur permettre de garder le pouvoir, quelle que soit leur compétence à gouverner. A moins, bien sur, que ceux qu’ils arment soient eux-mêmes tentés de contrôler toute cette richesse.
Donc, ces ressources qui devraient bénéficier aux pays en développement se transforment en une malédiction entrainant corruption, coups d’état et guerres civiles. Si nous utilisons des produits fabriqués à partir de matériaux bruts en provenance d’un pays pauvre sans que les recettes qui en découlent profitent aux populations du pays, nous devenons complices d’une forme particulièrement inique de vol qualifié.
Il est donc encourageant que les inquiétudes soulevées par les diamants Zimbabwéens le soient au sein même de l’industrie du diamant. Le Groupe Rapaport, un réseau international de sociétés de services pour l’industrie du diamant, refuse d’inclure les diamants de Marange sur la plateforme de négoce RapNet. Son directeur, Martin Rapaport, a demandé à ce que des organisations non gouvernementales et des représentants de l’industrie soient autorisés à visiter la mine pour évaluer la situation des droits de l’homme. Mais surtout, dans un discours prononcé à Mumbai un peu plus tôt cette année, il a énoncé les obligations qui permettraient de légitimer les diamants de Marange et qui comportent des assurances pour que « les revenus des ventes des diamants soient distribués légalement et d’une manière qui bénéficie raisonnablement et équitablement au peuple zimbabwéen. »
Il faut des standards supérieurs à ceux prévus dans le Processus Kimberley. Si les consommateurs acceptent de n’acheter que des diamants éthiques, les négociants pourront peut être alors faire redescendre cette information à leurs sources. Et, si l’industrie du diamant peut respecter cet engagement éthique, cela constituerait un message fort à l’adresse des autres industries impliquées dans le négoce de ressources naturelles qui sont effectivement volées à certaines des populations les plus pauvres du monde.
par Peter Singer
Copyright: Project Syndicate, 2010.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
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