Selon une récente étude, même de faibles doses de perturbateurs endocriniens chimiques, présents dans tous les produits ou presque depuis les plastiques jusqu’aux pesticides, peuvent avoir de graves répercussions sur la santé humaine. Les chercheurs ajoutent que cette découverte souligne la nécessité d’introduire de profonds changements dans la façon dont les contrôles de sécurité chimique sont menés.
Les chercheurs savent que certaines substances chimiques de synthèse peuvent interférer avec les hormones qui régulent les fonctions les plus vitales du corps humain, et cette connaissance est antérieure à la publication de Printemps silencieux par Rachel Carson, il y a 50 ans. Mais les preuves des impacts sanitaires de ce qu’on appelle les perturbateurs endocriniens chimiques se sont accumulées entre les années 1960 et 1990. C’est avec la publication en 1996 de Our Stolen Future, de Theo Colborn, Dianne Dumanoski et J. Peterson Myers, que le grand public prend pour la première fois connaissance du fait que l’exposition à ces substances, à travers la pollution industrielle, les pesticides et les contacts avec des produits finis comme les plastiques, a des répercussions sur les humains, la faune et la flore. Depuis, son inquiétude à ce sujet n’a fait que s’accentuer.
En 2009, l’Association médicale américaine avait appelé à une exposition réduite aux perturbateurs endocriniens. L’année dernière, huit sociétés scientifiques regroupant quelque 40 000 chercheurs ont exhorté les responsables fédéraux de la réglementation à inclure les dernières découvertes en date dans les contrôles de sécurité chimique des perturbateurs endocriniens.
La semaine dernière, douze scientifiques, dont certains experts comme Colborn ou Frederick vom Saal de l’Université du Missouri, ont publié un article qui, selon eux, devrait faire avancer le débat de façon significative. Leurs recherches, basées sur l’examen de 800 études scientifiques, concluent qu’il est « remarquablement courant » que de très petites quantités de perturbateurs endocriniens chimiques aient un profond effet indésirable sur la santé humaine. L’article explique que ces substances vont à l’encontre d’un principe fondamental en toxicologie qui veut que « la dose fait le poison », ce qui signifie que plus la dose est importante, plus l’effet le sera lui aussi. Les perturbateurs endocriniens ne se comportent pas obligatoirement ainsi, car, expliquent les chercheurs, les effets importants sur la santé s’observent parfois à des doses faibles plutôt qu’élevées.
« Que de faibles doses de perturbateurs endocriniens chimiques aient une influence sur les troubles de la santé humaine n’est plus à démontrer puisque d’après les études épidémiologiques, les expositions environnementales sont associées à des maladies ou à des invalidités chez l’homme », écrivent les auteurs de l’article. L’étude, publiée dans la revue Endocrine Reviews, affirme que les effets des perturbateurs endocriniens en relation à une faible dose et à une dose spéciale signifient « que des changements en profondeur doivent être introduits dans les contrôles chimiques et la détermination de la sûreté afin de protéger la santé humaine ».
Le principal auteur de cette étude, Laura Vandenberg, post-doctorante au Department of Development and Regenerative Biology de l’Université Tufts, a déclaré dans une interview que ce comportement en relation à une faible dose et à une dose spéciale « devrait être attendu de n’importe quelle substance chimique agissant comme une hormone »
Tous les experts en biologie et en toxicologie ne sont pas d’accord avec les conclusions de l’étude. Certains scientifiques du milieu universitaire, de l’industrie et de l’Agence américaine de protection de l’environnement affirment qu’on ne dispose pas pour l’instant de preuves convaincantes selon lesquelles des doses extrêmement faibles de perturbateurs endocriniens chimiques auraient des effets néfastes sur la santé ou produiraient de façon récurrente des effets qu’on ne peut prévoir d’après leurs effets à de plus fortes doses.
« Il ne fait aucun doute que des composés naturels et de synthèse puissent imiter l’effet des hormones », a souligné George Gray, directeur du Center for Risk Science and Public Health de l’Université George Washington. Mais qu’un produit chimique puisse avoir des effets à un certain niveau, aucun effet à un autre et des effets différents à un troisième niveau d’exposition, « ce n’est pas encore accepté par le plus grand nombre en toxicologie », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « C’est un phénomène dont les toxicologues ne sont pas encore convaincus et qui leur pose problème. »
Des centaines de perturbateurs endocriniens sont aujourd’hui identifiés et il est quasiment impossible d’échapper à l’exposition à ces substances. Parmi celles que l’article mentionne figurent le bisphénol A, utilisé dans les plastiques, les boîtes métalliques et les reçus papier ; des pesticides courants comme l’atrazine et le chlorpyrifos ; le méthylparabène, un agent de conservation utilisé dans les cosmétiques et les produits d’hygiène personnelle ; le trichlosan, un agent antibactérien présent dans les savons et les dentifrices ; le nonylphénol, qu’on trouve dans les détergents ; le retardateur de flamme PBDE-99 ; le perchlorate, un composé servant dans les carburants ; la dioxine, un sous-produit de l’industrie et de l’incinération. L’article cite également le DDT et les PCB, des composés diffus mais très persistants dans l’environnement.
« C’est la première fois que quelqu’un tente de faire une synthèse de ce vaste sujet et de montrer qu’il ne s’agit pas d’une seule et unique question de chimie », a déclaré Laura Vandenberg au sujet de cette étude.
De très petites quantités d’hormones, y compris celles du système endocrinien, c’est-à-dire les hormones qui régulent certaines des fonctions corporelles les plus importantes parmi lesquelles le développement, le métabolisme et la reproduction, peuvent avoir des effets biologiques conséquents. On sait maintenant que c’est aussi le cas de composés de synthèse dotés des mêmes éléments chimiques. Les recherches montrent que l’exposition à de petites quantités de ce type de substances chimiques à un stade particulier du développement peut entraîner des effets qui vont se répercuter non pas seulement sur un seul individu, mais, dans certains cas, sur plusieurs générations.
« Ce ne sont pas juste les hormones sexuelles, mais aussi les hormones thyroïdiennes et l’insuline, entre autres, qui sont concernées », explique Laura Vandenberg. « Nous sommes vraiment des machines complexes. »
Les effets sur la santé documentés par les études passées en revue pour la rédaction de cet article ont été observés chez des animaux vivants, sur des cultures de cellules et lors d’études épidémiologiques sur l’homme. Ils ont un impact néfaste sur le développement reproducteur et sexuel et sur la fertilité, ainsi que sur les systèmes cognitif, neurologique et immunitaire ; on observe en outre des effets métaboliques comme le diabète et l’obésité. « L’ensemble des preuves dont on dispose indique que les perturbateurs endocriniens chimiques touchent un grand nombre de paramètres de la santé humaine qui se manifestent à différents stades de la vie, depuis les périodes néonatales et infantiles jusqu’au vieillissement de l’adulte », écrivent les auteurs.
Les hormones interagissent avec les récepteurs cellulaires comme une serrure avec une clé, explique Laura Vandenberg. L’hormone ou la substance chimique représente la clé et le récepteur, la serrure. « Si vous touchez le récepteur, il réagit », ajoute Laura Vandenberg. Un stimulus chimique trop fort (une clé de la mauvaise taille), cependant, peut perturber le récepteur qui se ferme et ne réagit plus.
Une des idées centrales de l’article est que les perturbateurs endocriniens chimiques sont non monotones, ce qui signifie que les réactions des animaux ou des hommes aux substances chimiques n’augmentent ni ne diminuent obligatoirement en fonction de la dose. Laura Vandenberg illustre cette idée ainsi : « Imaginons une courbe représentant à gauche des personnes non exposées et à droite, des personnes recevant une exposition maximale. La courbe des effets des perturbateurs endocriniens chimiques ne suivra pas forcément cette courbe ascendante de gauche à droite. »
Bien que complexes et déroutantes, les études sur lesquelles cet article s’est appuyé apportent la démonstration que ce phénomène est aujourd’hui bien documenté, affirment les auteurs. « J’espère que cet article fera prendre conscience que le système endocrinien est au-dessus de tous les autres systèmes corporels », explique Theo Colborn, président de l’Endocrine Disruption Exchange, dont les travaux ont joué un rôle décisif dans la sensibilisation du grand public aux perturbateurs endocriniens chimiques. « Il contrôle la façon dont nous nous développons, fonctionnons et nous reproduisons depuis l’instant où nous avons été conçus ; en d’autres termes, il contrôle la qualité de notre existence. »
Si les études épidémiologiques montrent que l’exposition environnementale aux perturbateurs endocriniens chimiques est associée à des maladies chez l’homme, il demeure difficile d’établir un lien entre une exposition environnementale chimique particulière et un trouble de la santé chez un être humain, compte tenu avant tout des nombreuses variables qui entrent en jeu dans les résultats de santé : la période de la vie, la génétique et d’autres facteurs environnementaux.
« Il y a des terrains différents selon les populations qui font que d’infimes quantités d’hormones vont avoir des effets chez certaines personnes mais pas chez d’autres », explique Linda Birnbaum, qui est directrice du National Institute of Environmental Health Sciences et a participé à la révision de l’article. Elle explique dans une interview que ce type de littérature souligne l’importance de procéder à l’étude de faibles doses et de la durée d’exposition lors de l’évaluation de l’effet de substances chimiques sur le système endocrinien.
Certains scientifiques estiment que ces recherches ne suffisent pas à expliquer comment les perturbateurs endocriniens chimiques fonctionnent. L. Earl Gray Jr., chercheur en biologie dans la branche toxicologie reproductive de l’Agence pour la protection de l’environnement, pense que ces effets à faibles doses sont « sans doute biologiquement possibles », mais il se demande si les preuves sont suffisantes pour affirmer que ces perturbateurs réagissent de façon non monotone.
L’American Chemistry Council (ACC), qui représente les fabricants de produits chimiques, a publié un communiqué disant qu’il avait « consacré des ressources substantielles » afin de mieux comprendre les effets potentiels des produits chimiques sur le système endocrinien et il a cité en conclusion un professeur de toxicologie émérite de l’Université du Michigan : « Un doute persistant sur les effets à faibles doses, les produits chimiques ne doivent pas être appliqués dans des conditions réelles ni sur des êtres humains. »
Pour vérifier ces effets, les études doivent faire la démonstration du mécanisme de ces réactions et pouvoir le reproduire, selon Lorenz Rhomberg, responsable de la Gradient Corporation, une société de conseil privée spécialisée dans l’analyse de l’environnement et des risques. « D’après mon expérience personnelle, c’est ce qui manque », a poursuivi ce coauteur d’une étude financée par l’ACC selon laquelle de faibles doses de bisphénol A n’auraient pas d’effets nocifs sur la reproduction ni le développement humains.
C’est pourtant exactement ce que cet article montre, rétorque Laura Vandenberg. « Non seulement nous savons que ces effets se produisent, mais nous savons comment ils se produisent », affirme-t-elle, ajoutant que pour certaines substances chimiques comme le bisphénol A, les réactions non monotones sont confirmées par des dizaines de laboratoires.
Thomas Zoeller, biologiste à l’Université du Massachusetts et coauteur de l’article, estime que les contrôles réglementaires de l’impact des perturbateurs endocriniens restent à la traîne par rapport aux preuves de plus en plus nombreuses de l’effet de ces composés sur la santé, surtout étant donné les niveaux auxquels les populations sont couramment exposées. « Il y a un fossé entre la toxicologie réglementaire et la science moderne de l’endocrinologie qui identifie tous ces problèmes », explique-t-il.
Dans quelle mesure le contrôle des substances chimiques à des niveaux faibles et significatifs sur le plan environnemental va-t-il améliorer la santé humaine ? se demandent les auteurs de l’article. S’il n’est pour l’heure pas possible de chiffrer cela en dollars, les preuves actuelles « d’un lien entre des expositions à de faibles doses de perturbateurs endocriniens chimiques et quantité de problèmes de santé, de maladies et de troubles laissent penser que le coût des expositions actuelles est sans doute important », concluent-ils.
« Les populations sont facilement dépassées par ce sujet », explique Laura Vandenberg. « Mais du point de vue de la santé publique, on ne peut pas considérer ce problème comme trop vaste pour être traité. On ne ferait cela avec aucun autre problème médical. »
par Elizabeth Grossman
Reproduit à partir de Yale36 Environment 360, 19 Mars 2012
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Claudec
La pyramide sociale et l’écologie, la santé, etc.
https://docs.google.com/document/d/13z4rcBReqOnAXihKZCJB49mlkR-4k4on8F1ZGKulw3E/edit?pli=1
Et aussi :
http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com
De la richesse à l’exclusion sociale aujourd’hui et à la barbarie demain, par la démographie.
Une vision décoiffante des fondamentaux de toute question politique et de société.