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La chasse n’est pas un loisir comme les autres

Président de l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages) Pierre Athanaze est l’auteur du Livre noir de la chasse massacre et abus de pouvoir. Il entend montrer en quoi la France « bénéficie » d’une exception culturelle cynégétique puisque bien que minoritaires les chasseurs français disposent d’un grand pouvoir.

En quoi la chasse occupe un statut particulier en France ?

En écrivant ce Livre noir de la chasse, avec l’éditeur nous voulions faire un point sur la réalité de la chasse en France. Sans être « ni pour, ni contre », nous voulions montrer qu’en France, la chasse constitue un loisir différent, voire à part. Que ce soit dans sa pratique ou dans son fonctionnement. En effet, le pratiquant n’a aucun moyen de choisir la fédération à laquelle il adhère, contrairement aux autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie. Le chasseur français est donc contraint d’adhérer à la fédération de son département.

Une fois inscrit, le chasseur dispose de faibles marges de manœuvre dans le choix de ses représentants et de ses dirigeants. Ce n’est que depuis la loi Chasse de l’an 2000 que ces derniers sont élus et encore, la loi Chasse de 2003 est revenue sur cette décision en imposant une pondération des votes.

A la lecture de votre livre, le poids de la chasse en France semble un anachronisme, pourquoi ?

Cela provient principalement du fonctionnement des institutions qui gèrent la chasse. C’est ce qu’on essaye d’expliquer en mettant en cause un système qui donne des pouvoirs énormes aux fédérations. De fait, elles sont en situation de monopole. Les chasseurs ont des représentants et des soutiens à tous les échelons qu’ils soient administratifs ou politiques. Ils ont des élus. Il suffit de constater qu’à l’Assemblée Nationale le groupe d’étude sur la Chasse et le Territoire regroupe 160 élus de tous bords. Il s’agit du premier groupe d’étude thématique du Parlement, loin devant la pauvreté, le cancer ou le droit des animaux.

Que pense l’opinion française de la chasse ?

Je pense que l’opinion est sensible à la question du partage de l’espace et du temps dans la nature entre les usagers. Pour beaucoup de Français, la présence des chasseurs lors de leur randonnée suscite un sentiment d’insécurité. Il faut savoir que moins de 1,9% de la population chasse en France. Mais cette minorité semble s’accaparer la nature pour son passe-temps. Et au détriment des autres usagers, comme les promeneurs. Et les gens sont aussi de plus en plus sensibles à la question de la cruauté envers les animaux, cela joue. (Pour en savoir plus sur ce thème, lisez notre focus Pierre Athanaze : la chasse est une activité cruelle)

Comment expliquez-vous le pouvoir politique des chasseurs ? Ce poids n’est-il pas conduit à décliner ?

Le pouvoir politique des chasseurs s’explique en partie par la surreprésentation du milieu rural au niveau politique. Il faut moins de voix aux candidats ruraux pour être élus. Ils sont vite confrontés aux chasseurs. Il y a eu 8 lois sur la Chasse depuis 1994. Toutes allaient dans le sens des chasseurs avec notamment une dérégulation des règles de sécurité en particulier la disparition des distances de tir à proximité des habitations.

De plus, cela se voit aussi au niveau administratif puisque les préfets n’hésitent pas à prendre des arrêtés illégaux, ces derniers sont souvent annulés par les tribunaux administratifs.

Ensuite, la fédération dispose d’importantes ressources économiques. Elle gagne beaucoup d’argent et dispose même de son propre cabinet de lobbyistes. Toutefois, le nombre de chasseurs a diminué de moitié en 25 ans passant de 2,4 millions d’inscrits à moins de 1,2 millions.

Qu’en est-il de la candidature de Frédéric Nihous pour CPNT en 2012 ?

Ce parti est moribond, malgré leurs élus, il n’a pas su faire preuve de professionnalisme.On peut le considérer comme poujadiste. Trop fluctuant, il n’a pas su nouer d’alliance durable ni à gauche ni à droite. D’ailleurs, selon un récent sondage IFOP, moins de 7% des chasseurs voteront pour lui. Si on regarde en détail, un quart des chasseurs voterait FN, 22% socialistes et seulement 13% UMP. Pourtant, l’UMP a fait beaucoup en faveur des chasseurs.

Il semble que dans d’autres pays, les chasseurs et les pêcheurs (notamment aux USA les rivières et les saumons) soient plus impliqués dans la préservation des espèces, pourquoi ce n’est pas le cas en France ?

Ailleurs en Europe, la chasse est juste perçue comme un loisir. Être chasseur et écologiste n’est pas forcément incompatible. Alors que chez nous, l’antagonisme est si fort que c’est impossible, les chasseurs n’acceptent pas les critiques ni le dialogue. Dans les autres pays, les chasseurs jouent parfois un rôle dans la préservation des espèces, ils connaissent la nature. En France, c’est loin d’être le cas, les chasseurs estiment que sans eux, sans leur intervention, la Nature n’existe pas. Surtout, ils pensent jouer un rôle dans la régulation des espèces comme les ongulés. En effet, tandis qu’ils affirment réguler la surpopulation des sangliers, les chasseurs en sont en fait les responsables. La surpopulation des sangliers s’explique par l’agrainage qui consiste à nourrir les sangliers en forêt. Cela favorise l’accroissement des populations de sangliers et engendre des dommages très importants aux cultures. La préfète de la Meuse a décidé d’interdire l’agrainage et on constate, au bout de deux années seulement, que la population de sanglier est en baisse et que les dégâts aux cultures ont diminués de 30%. Ce que les chasseurs ne sont jamais arrivés à faire.

Est-il possible d’imaginer un compromis entre les chasseurs et les écologistes ?

Un compromis entre chasseurs et écologistes pourrait s’imaginer au niveau européen. En France, cela reste du domaine de l’impossible car le monopole des fédérations de chasse l’empêche. Ou alors, ce serait un marché de dupes. Certaines associations ont voulu tenter l’expérience et cela n’a pas marché.

Cela bloque et les hommes politiques manquent de courage pour s’opposer à la minorité des chasseurs. Ce sont moins de 2% de la population. Ils fonctionnent au chantage. En échange d’une concession, ils demandent le maintien ou l’extension d’un de leur privilège. C’est d’autant plus dommage, que même sans être d’accord sur les espèces à chasser ou non, nous devrions au moins nous entendre sur la protection des milieux. Ce n’est pas le cas puisque les chasseurs s’opposent systématiquement à toute création de parcs nationaux ou de réserves

Existe-t-il des alternatives à la chasse ?

Tout d’abord, la chasse ne se montre pas indispensable dans la régulation des espèces, il suffit pour s’en convaincre de regarder le canton de Genève qui l’a interdite depuis 25 ans et il n’y a pas de problèmes de surpopulation des espèces. Il n’y a pas de surpopulation de chevreuils ou de chamois. Il y a quelques rares tirs de régulations qui ne concernent que les sangliers, qui arrivent, pour la plupart, de France ! Au bord du lac Léman, les oiseaux d’eau abondent du côté helvète et se font plus rares côté français. Le rôle de régulateur que les chasseurs veulent se donner est un fantasme. Donc la chasse demeure avant tout un loisir. Ensuite, il convient de se demander d’où provient le plaisir de la chasse. S’il s’agit du plaisir de tuer, il sera difficile de trouver des alternatives. Cet amer constat est flagrant quand on sait que 20 millions de faisans et perdrix sont élevés justes pour êtres relâchés lors des parties de chasse en France.

Mais si c’est le plaisir de la traque, du contact avec les animaux, alors pourquoi ne pas plutôt faire des photos ? Surtout qu’avec moins de chasseurs, les bêtes seraient moins méfiantes et se laisseraient approcher plus aisément. Tout le monde pourrait voir des animaux à des distances normales.

Enfin, dans un soucis de compromis, les pouvoirs publics pourraient s’inspirer des revendications de certaines associations thématiques de chasse. Je pense au club national des bécassiers. Ils travaillent uniquement sur une espèce, prodiguent des enseignements sur son comportement, sa façon de vivre, apprennent aux chasseurs à mieux connaître l’espèce, à savoir l’âge d’un individu en fonction de ses caractéristiques (et donc de savoir s’il convient ou non de le tirer). Ce volet pédagogique serait utile, plusieurs études ont montré l’incapacité d’une partie des chasseurs à identifier leur proie. Mieux éduqués, ils pourraient chasser « mieux ». Pourtant, cette association de chasseurs, comme d’autres, n’a pas son mot à dire face à l’hégémonie des puissantes fédérations de chasse.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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