A lire : « Ne pleure pas, Argentine » sur Le Crapaud.fr

Tandis que l’on continue à Bruxelles à ratiociner sur les dangers du glyphosate, un des éléments essentiels du trop fameux Roundup et à autoriser ou non la poursuite de la vente, des reporters du magazine Stern se sont rendus en Argentine, pour constater les effarants dégâts de l’agriculture intensive, ficelée aux traitements chimiques.

Sur la route 14, dans la lointaine province de Chaco. Premier contact avec la famille Scheffer. Leur fille Jessica ne va plus à l’école, tant elle est la risée des élèves.

Son dos fait une courbe comme une feuille qu’on plie, la tête rentrée paraissant cousues aux épaules, les jambes déformées. Au sol, elle se dandine comme un lézard.

Un corps en rupture totale et inimaginable avec l’anatomie humaine.

Mutation génétique

Sa mère et elle ont couru les médecins. Seul l’un d’entre eux, américain, a émis l’hypothèse. Oui, il pourrait s’agir d’une mutation génétique, due aux pesticides.

Oui, les parents Scheffer, journaliers, ont travaillé aux champs, 10 ans durant, aspergeant les cultures d’insecticides, sans masque ni combinaison de protection.

Oui, les insecticides, la maman les connaît, elle peut les citer aussi facilement que les prénoms de ses 6 enfants : Brométhane, Carbofuran, Glyphosate…

Sans responsable, pas de thérapie

Toutes les 2 semaines, Jessica et elle partent à la ville, Posadas – 5 heures de bus – pour chercher de l’aide auprès de l’administration.

Comme elle ne peut pas apporter la preuve des causes de la mutation génétique de sa fille, il ne peut y avoir de responsabilité engagée.

Sans responsable, pas de victime. Et sans statut de victime, pas d’aide thérapeutique. Évident. Pourtant, dans la province, les pédiatres avancent qu’en l’espace de 10 années, les malformations constatées sur les enfants ont quadruplé.

Véritable paradis

10 années pour se souvenir, que cette nationale 14 offrait alors le spectacle d’un véritable paradis. Forêts denses, cours d’eau clairs. Une jungle refuge des singes, des ours de Coati, voire de jaguars, résonnant des appels des toucans et du bruissement des cascades d’eau.

Dans le sillage de Monsanto, qui a fait du nord de l’Argentine, avec ses vastes espaces, une proie pour ses débouchés, l’agriculture industrielle s’est annexée ce coin de rêve. Tu me donnes ta terre, je te donne mes jobs.

Bébés morts

Le malheur n’a pas tardé. On a bien vite recensé, dans les hôpitaux, des bébés morts après fausses couches – plus fréquentes qu’à Buenos Aires et pour ceux qui survivaient, des têtes gonflées, des dos déformés.

Aucun politicien n’ose aborder le sujet, les fermiers encore moins. Leur contrat avec le lobby agraire interdit tout contact avec la presse. Suite à la mort d’un enfant de 4 ans, l’un d’entre eux a été jugé puis débouté faute de preuves.

Rendements et dépendances

Le dilemme traverse toutes les familles. Les revenus des fermiers ont augmenté, mais aussi le nombre de cancers. En tout sens, Monsanto a révolutionné leur vie, comme aucun dictateur ou autre forme d’industrialisation aurait pu le faire.

En 1996, il y a 21 ans maintenant, le conglomérat du Missouri concluait un arrangement avec le gouvernement argentin alors dirigé par Carlos Menen pour ouvrir le pays à l‘agriculture intensive OGM, maïs, blé, soja, coton.

Une liste de cultures, qui assure de forts rendements autant qu’elles rendent dépendants de celui qui fournit semences et traitements.

Une nature géométrique

Aujourd’hui, seuls 10 % de ce qui constituait les derniers maillons d’une forêt tropicale voit encore le jour. Cédant la place à des plantations d’arbres à pignon de pins, dont les fûts sont alignés comme des militaires à la revue et des champs de soja à perte d’horizon.

Au nom de la perfection, la nature est devenue géométrie. Que de petits avions pulvérisateurs survolent à cadence régulière. « Nous, en Argentine, nous avons plus de Pipers arroseurs que d’avions militaires », dit un de ceux qui mène la fronde.

Soga mondialisé

Du reste, la ville de Rosario sur cette Ruta 14 affiche le slogan « États-Unis du soja », lequel soja manipulé va nourrir, sous forme d’huile ou de farine, les cochons de Chine ou les bonbons européens.

À la demande de médecins de l’université locale, des doctorants ont fait du porte à porte dans 28 communes, interviewant des milliers de personnes.

Et établi que le nombre de cas de cancers dépassait de loin la moyenne nationale (368 contre 206, voire parfois 740). Avec une courbe des cancers de l’estomac pour les moins de 50 ans six fois plus forte.

Une fusion qui fait peur

D’ici à la fin 2017, Monsanto doit entrer dans le giron de Bayer pour 66 milliards de dollars. Peu associé jusqu’à présent aux scandales, le groupe allemand, qui propose aussi le glyphosate dans ses produits, risque d’endosser l’image déplorable du semencier américain.

Mais son président, Werner Bauman (54 ans) s’emploie à déminer le terrain auprès des actionnaires. Du reste, symboliquement, il a été le premier dirigeant allemand à sonner à la porte de Donald Trump, mi-janvier, en compagnie du patron de Monsanto.

Evita

En attendant du côté de Rosario, le mal est fait. Cela remet à l’esprit cette extraordinaire mélodie de la comédie musicale « Evita », « Don’t cry for me, Argentina » (Ne pleure pas pour moi, Argentine). Tout de regret et de méfiance, comme dédiée à une autre dictature, celle de la mondialisation.

©Le crapaud.fr

2 commentaires

Ecrire un commentaire

    • pelerins

    La course aux rendements , le libre échanges et on y perd souveraineté alimentaire et on perd l’arbre et les forêts qui nous apportaient ; santé, l’air et la nature. L’économie productiviste mondialisée.. est la catastrophe pour la nature et l humain.
    Le Brésil a aussi une démographie pléthore, qui ne fait qu’aggraver les inégalités et la paupérisation justifiant ainsi une économie sans équilibre ni limite.

    • Salaün Josiane

    Je suis bouleversée de lire tout le mal fait par Monsanto sur la population… Je n’ai pas de mots assez forts pour leur dire mon dégoût de leurs pratiques!!!

Inondations d'octobre : l'état de catastrophe naturelle reconnu pour près de 380 communes

Lire l'article