Après la pandémie, nous sommes nombreux à vouloir éviter à tout prix un retour à la normal. Nous aspirons à « un monde d’après » purgé des erreurs du monde d’avant. Le chantier est titanesque et les premiers signaux envoyés par certains gouvernements, en Inde ou aux Etats-Unis par exemple, sont très décourageants.
Si vous sentez que l’abattement guette, voici un livre qui devrait vous redonner du souffle et de l’énergie. Eloge des mauvaises herbes – ce que nous devons à la ZAD a été publié en juin 2018, quelques mois après le démantèlement de la zone à défendre de Notre Dame des Landes. Ce recueil réunit analyses et témoignages de ceux qui ont observé de près ou de loin ce lieu de résistance, l’ont étudié ou y ont vécu. Alain Damasio, Virginie Despentes, Bruno Latour, Vandana Shiva, Pablo Servigne ou encore Amandine Gay racontent leur lien avec cet endroit de tous les possibles et expliquent ce qu’il représente à leurs yeux.
Petite mise au point sur la ZAD : en 2008, un groupe de militants décident d’occuper un territoire de 1650 hectares, à proximité de Nantes, destiné à accueillir un aéroport. Durant 10 ans, ces habitants, entre 200 et 300 selon les périodes, vont en faire un lieu de résistance contre « l’aéroport et son monde ». Que trouve-t-on à Notre Dame des Landes ? 70 lieux de vie, des espaces sauvages, une brasserie artisanale, des potagers, un jardin de plantes médicinales, deux ateliers de forgeron, une radio pirate ou encore une librairie… En janvier 2018, victoire : le projet d’aéroport est définitivement abandonné. En avril de la même année, défaite : l’Etat Français envoie 2500 gendarmes mobiles, des blindés équipés de lance-grenades et des pelleteuses pour démanteler la ZAD et en chasser ses habitants.
16km2, quelques centaines de personnes, 10 ans de vie. N’est-ce pas complètement dérisoire et anecdotique ? Non, répondent les auteurs de l’ouvrage. Notre Dame des Landes joue un rôle essentiel dans notre imaginaire collectif. C’est un peu le village d’irréductibles gaulois. Tout le monde n’a pas une âme de mangeur de sanglier, tout le monde n’aspire pas à être rebaptisé avec un nom qui se termine en « ix », mais on est rassuré de savoir que, quelque part, cette poche de résistance existe, qu’elle est possible et s’érige comme ultime garde-fou contre un monde étriqué et standardisé. En cas de doute, de découragement, on peut se rappeler que Notre Dame des Landes a existé.
Notre Dame de Landes est également un laboratoire et ses habitants des expérimentateurs. Les zadistes ont imaginé leur monde idéal et réuni les conditions pour le mettre en œuvre. Ils testent, ils bidouillent, ils débattent. Ils construisent, ils installent, ils habitent, non sans difficultés, mais avec la satisfaction d’essayer autre chose. Cette liberté est à l’œuvre dans tous les aspects du quotidien et particulièrement visible dans les lieux de vie : des cabanes hors normes, faisant fi de toute réglementation, mais adaptées aux besoins fonctionnels et aspirations idéologiques de ceux qui y vivent. La ZAD permet de faire un pas de côté, de se délester des contraintes et horizons limités de la société de consommation et de la politique partisane. Cette possibilité de penser et construire hors des sentiers battus est rare et précieuse.
Si la ZAD a beaucoup de qualités, elle n’est pas parfaite. C’est un chantier permanent d’expérimentation, avec ses manquements, ses lacunes, ses imperfections. Parmi ses travers : son incapacité à intégrer la question de la discrimination raciale et à faire de la place aux personnes racisées. Notre Dame des Landes propose une utopie écologiste blanche et par conséquent limitée. Ce n’est donc pas un modèle exemplaire qui a vocation à être répliqué à l’identique. Ce qui peut en revanche nous inspirer pour la suite c’est la pugnacité et l’inventivité dont on fait preuve ses habitants à la fois pour résister à un modèle de société injuste et pour proposer une alternative. Nous ne serons pas tous zadistes demain – j’écris pour ma part ce texte depuis un appartement parisien – mais nous pouvons tous en tirer des enseignements salutaires. Plus que jamais, nous pouvons essayer à notre tour, à notre façon, de nous mettre en action pour dire « NON » à un modèle économique, social et politique qui mène l’humanité à sa propre perte.
? Eloge des mauvaises herbes – Ce que nous devons à la ZAD. Collectif coordonné par Jade Lindgaard – Préface de David Graeber
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