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Massacre en Afrique

C’est une sorte de guerre qui est menée contre le rhinocéros en Afrique du Sud. Alors que 13 rhinocéros avaient été tués par des braconniers dans le pays en 2007, ils furent 83 en 2008 et 122 en 2009. En 2011, 448 rhinocéros ont été abattus illégalement ; le seuil de 600 a été dépassé en 2012.

Le Braconnage

Alors que dans les années 1970, ces animaux étaient chassés en grand nombre et menaçaient de disparaître, le commerce de l’ivoire et de la corne furent interdits par la CITES. Les populations purent s’accroître à nouveau, même modestement. Mais un nouveau danger plane désormais sur ces animaux majestueux. Un trafic illégal de grande ampleur de corne de rhinocéros a pris place en Afrique du Sud. Alors que 13 rhinocéros avaient été tués en 2007, ils furent 83 en 2008, 448 en 2011 et plus de 600 en 2012. Le braconnage a non seulement pris une ampleur inégalée, mais il s’est aussi profondément transformé. Les amateurs du siècle précédent ont cédé la place à des réseaux mafieux opérant à l’échelle internationale. Ils sont armés, agissent en bande, et sont décidés à en découdre s’il le faut. Ils se déplacent de nuit, en hélicoptère, équipés de lunettes de vision nocturne et de fusils d’assaut ou d’armes automatiques. « On n’est plus au temps du braconnier isolé qui venait chasser pour la viande, avec son piège, ses flèches ou son fusil de chasse », explique Ken Maggs, spécialiste de la traque des braconniers en Afrique du Sud. « Le braconnage des rhinocéros est mené par des organisations criminelles très organisées, aux ramifications internationales poussées (passeurs, acheteurs, courriers, dealers…). Ces organisations disposent de fonds importants pour mener leurs activités illégales », explique Ben Janse Van Rensburg, chef du support aux forces de l’ordre du secrétariat de la CITES.

Plus précieux que l’or

La médecine asiatique prête aux cornes de rhinocéros des vertus multiples et variées. Leur commerce a été interdit en Chine depuis 1993 pour protéger l’animal, mais de nouveaux usages ont créé une demande croissante dans les pays asiatiques, en particulier en Chine et au Viêtnam. Cela a propulsé le prix des cornes à des niveaux jamais atteints. Mais ce n’est pas la seule cause de l’augmentation de la demande – la spéculation et divers usages sociaux l’accentuent. Quoi qu’il en soit, avec l’augmentation des prix, les braconniers vont prendre les cornes partout où elles se trouvent. Une grande corne peut désormais être échangée jusqu’à un demi-million de dollars, et le prix au kilo varie de 20 000 à 50 000 dollars : plus que l’or ! Le braconnage mafieux s’explique par l’ampleur des enjeux : selon le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC), le trafic d’animaux et de végétaux représenterait entre 7 et 10 milliards de dollars par an, sans compter la pêche illégale (entre 10 et 23 milliards) ni le trafic de bois (7 milliards). En valeur, il n’est précédé que par les trafics de drogue, d’armes ou d’êtres humains. La demande est telle que les spécimens des musées ou des zoos du monde entier sont désormais menacés, et cela n’a rien d’anecdotique. Des cornes ont été volées dans des musées en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Autriche ou ailleurs. Dans les musées, des gardiens restent en faction au pied de trophées poussiéreux, le parc zoologique de Thoiry a mis ses trois rhinocéros blancs sous surveillance renforcée, et le musée d’Histoire naturelle de Berne, en Suisse, a pris les devants en sciant lui-même les cornes qui lui restaient.

Un animal menacé

Le braconnage des rhinocéros est déploré dans tous les pays où l’animal est encore présent. L’Afrique du Sud, qui héberge 73 % de la population mondiale de rhinocéros, soit approximativement 18 000 rhinocéros blancs (Ceratotherium simum) et près de 2 000 rhinocéros noirs (Diceros bicornis), constitue donc l’épicentre du combat pour leur conservation. En Asie, moins de 200 rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis) subsistent, et moins de 3 000 rhinocéros indiens (Rhinoceros unicornis). Le 25 octobre 2010, le dernier représentant du rhinocéros de Java (Rhinoceros sondaicus) au Viêtnam a été retrouvé mort, la corne coupée. Il n’en resterait que 40 individus dans un parc de l’île de Java, en Indonésie. En Afrique, le rhinocéros noir est classé « en danger critique » par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Il n’en reste que 3 000 dans le monde, après que leur nombre était tombé à 2 000 environ – alors qu’il y en avait 65 000 dans les années 1970, époque à laquelle ils étaient plus abondants que les rhinocéros blancs. Cette situation est d’autant plus terrible que les mesures mises en place dans les pays africains après l’interdiction par la CITES du commerce de la corne de rhinocéros, en 1977, commençaient à porter leurs fruits. Les populations de rhinocéros noirs s’étaient accrues ces toutes dernières années, passant de 2 410 en 2004 à 4 240 en 2008. Plusieurs groupes avaient été réintroduits au Malawi et en Zambie, par exemple. Quant au rhinocéros blanc, il ne restait plus qu’une cinquantaine d’individus au tout début du xxe siècle, avant qu’il connaisse un renouveau extraordinaire grâce aux efforts des protecteurs de l’environnement sudafricains. Toutefois, au rythme actuel, le dernier rhinocéros blanc sauvage pourrait avoir disparu dans moins de cinquante ans.

Faire face

La gestion du braconnage en Afrique du Sud est cruciale, tant en raison de l’importance des populations de rhinocéros présentes que des moyens dont dispose le pays : c’est l’un des États les plus modernes, les mieux organisés du continent, disposant des institutions les plus efficaces. Si l’Afrique du Sud ne réussit pas à résoudre le problème, que pourra faire un État instable, aux institutions fragiles, ou aux prises avec une guerre civile ? De fait, l’État sud-africain intervient d’une manière de plus en plus déterminée, avec l’appui de l’ICCWC.

L’armée, la police, le pouvoir judiciaire sont mobilisés. Des militaires ont été envoyés dans le parc national Kruger, le plus grand parc du pays, qui héberge la majorité des rhinocéros. Une unité spéciale (National Wildlife Crime Reaction Unit) a été mise en place et forme les gardes aux techniques militaires, une formation d’autant plus nécessaire que les organisations criminelles n’hésitent plus à ouvrir le feu sur les patrouilles – qui répliquent désormais. Le conflit est tout sauf mineur : en 2011, 206 braconniers présumés ont été arrêtés, et 26 sont morts lors d’affrontements avec les autorités. En ce qui concerne les ranchs privés – un quart des rhinocéros en Afrique du Sud appartiennent à des domaines privés, qui organisent un tourisme et une chasse sportive réglementés –, nombreux sont ceux qui ont embauché des équipes de sécurité, et installé des mesures ultramodernes de protection et de détection. Ils font souvent intervenir d’anciens mercenaires d’Afghanistan ou d’Irak ; certains utilisent même des drones sur leurs terrains.

Répression

Pendant longtemps, le trafic d’animaux a été beaucoup moins surveillé que le trafic d’armes ou de drogue. Et la répression était également beaucoup plus faible : un trafiquant arrêté en possession de un kilo de corne risquait bien peu de chose en comparaison d’un autre trafiquant surpris en possession de la même quantité de cocaïne, par exemple. Mais la situation change. L’Afrique du Sud a mis en place un programme pilote de marquage génétique des animaux, afin de pouvoir plus facilement associer les cornes saisies, par exemple dans les aéroports, avec les animaux tués par des braconniers. Le pays a aussi considérablement durci les sanctions. À l’issue d’un jugement sans précédent, au début de l’année 2012, une cour sud-africaine a condamné à vingt-cinq ans de prison trois braconniers venus du Mozambique, arrêtés en possession de deux cornes et de pistolets-mitrailleurs AK-47. Quelques mois plus tard, un trafiquant thaïlandais accusé de jouer un rôle important dans un réseau opérant vers le Viêtnam, a été condamné cette fois à quarante ans de prison. C’est la sanction la plus lourde jamais prononcée dans le pays pour ce genre de crime.

Démanteler les filières

La réponse du gouvernement sud-africain s’organise, les équipes s’étoffent, leur expérience s’accroît… Mais pourtant, chaque année qui passe voit le nombre de rhinocéros tués augmenter. Les groupes criminels ont donc toujours l’avantage. D’autant que le trafic représente des sommes d’argent considérables qui leur permettent de s’assurer des complicités. Les différentes opérations menées ces derniers temps envoient un signal fort aux trafiquants. Mais comment quelques dizaines de gardes, même très bien formés, équipés, et motivés, pourraient-ils surveiller les 20 000 kilomètres carrés que couvre le parc Kruger, pour ne parler que de celui-ci ? Des réponses innovantes sont donc nécessaires. L’utilisation de techniques modernes de traçabilité, qui incluent l’identification ADN des rhinocéros a été utilisée avec succès dans un certain nombre de cas de braconnage en Afrique du Sud ; elle est en train de devenir un élément standard des procédures. Il faut également coordonner le combat par-delà les frontières, ce qui est l’œuvre de l’ICCWC. Ses officiers conduisent des opérations de renseignement pour prendre le devant des braconniers, remonter les filières, identifier les intermédiaires à l’échelle du monde entier, de la même manière qu’opèrent les polices dans leur lutte contre les mafias internationales.

Tentatives désespérées

Faute de mieux, certains défenseurs de la nature ou les autorités de certains pays multiplient les initiatives. Les autorités namibiennes, par exemple, ont mis en place un numéro de téléphone gratuit qui « permettra au public de donner l’alerte en cas d’activité suspecte menaçant la sécurité des rhinocéros, qui constituent notre patrimoine naturel », explique Linda Baker, du SPAN (projet de renforcement du réseau de zones protégées). Certains en viennent à des mesures désespérées. En Afrique du Sud, le propriétaire d’une réserve a décidé d’injecter du cyanure dans la corne de ses rhinocéros. Il espère ainsi décourager les braconniers : « Si quelqu’un, en Chine, en mange et tombe gravement malade, plus personne n’en achètera. » Évidemment, cette initiative pose des problèmes éthiques. Certains envisagent de décorner les rhinocéros un à un, et le gouvernement a même lancé une étude sur le sujet – la ministre de l’Environnement Edna Molewa a toutefois tenu à préciser : « Nous n’avons pas dit que nous allons les décorner, mais nous lançons une étude sur l’impact d’un décornement, et les conclusions en seront rendues publiques. »

Légaliser

Faute de solution efficace, certains évoquent la possibilité de légaliser – sous condition – le commerce de la corne de rhinocéros. Le sujet est extrêmement polémique, car les défenseurs de l’environnement craignent que la moindre brèche dans le dispositif actuel n’encourage le braconnage : l’autorisation de certains quotas, par exemple, pourrait favoriser le blanchiment de stocks illégaux, et donc, loin de participer à la régulation du marché, encourager les braconniers, qui trouveraient ainsi un débouché légal. La question se pose dans des termes très proches de celle de la commercialisation de l’ivoire d’éléphant – elle aussi interdite actuellement. Certains conservationnistes et possesseurs de réserve défendent pourtant cette idée, expliquant que les acheteurs asiatiques ne veulent pas tuer le rhinocéros, mais seulement prélever sa corne. Or, celle-ci est constituée de kératine – comme nos ongles – et peut donc repousser si elle est coupée délicatement. En fait, la question n’est pas si simple, car les animaux sans corne peuvent manifester toute une série de troubles. La légalisation du commerce de la corne de rhinocéros n’est pas du tout à l’ordre du jour. Mais il faut rappeler que l’Afrique du Sud vend légalement des permis de chasse sportive et autorise le commerce d’un quota limité de trophées. Le nombre des permis délivrés est très faible, leur prix très élevé, et les sommes collectées financent des actions de conservation. La condition est que la corne ne soit pas vendue séparément ; le trophée, préparé par un taxidermiste, est expédié à l’adresse personnelle du chasseur. Par ailleurs, des ventes exceptionnelles d’ivoire d’éléphant ont eu lieu : elles concernaient 102 tonnes d’ivoire provenant de stocks saisis par les gouvernements de l’Afrique du Sud, du Botswana, de la Namibie et du Zimbabwe, et ont rapporté plus de 12 millions d’euros.

Réduire la demande

La CITES, l’UNEP, et toute une série de partenaires explorent une troisième piste pour protéger les rhinocéros, celle d’une diminution de la demande. Car l’efficacité de la corne de rhinocéros, pour les usages non traditionnels, n’est en rien prouvée. Certaines allégations concernant ses propriétés anticancéreuses sont clairement de l’ordre de la légende urbaine. Quel que soit le bien-fondé – ou non – de la demande existante, la nécessité de protéger l’espèce n’en est pas moins impérative. Car la disparition de l’animal empêchera définitivement quiconque d’utiliser ses cornes. De fait, le gouvernement chinois a interdit en 1993 sur son territoire le commerce de la corne de rhinocéros, et a ôté celle-ci des recettes de la médecine traditionnelle. Toutefois, certaines personnes restent convaincues des propriétés curatives de la corne de rhinocéros, et restent prêtes à payer le prix fort pour en obtenir. Il semblerait ainsi qu’une partie des cornes qui arrivent au Viêtnam – place principale de ce commerce – repartent vers la Chine. Un tel trafic reste souvent, pour les consommateurs eux-mêmes, un mauvais calcul. Car, comme toutes les substances illégales, la qualité et la provenance du produit ne peuvent être contrôlées ou garanties, ce qui laisse la porte ouverte aux contrefaçons : selon la CITES, une proportion importante des produits présentés comme de la corne de rhinocéros n’en sont pas.

Coopération

Lutter contre le braconnage, démanteler les filières du trafic, diminuer la demande : ces trois stratégies doivent être menées de front pour pouvoir réussir ; elles se renforcent l’une l’autre. Toutefois, elles ne peuvent réussir qu’avec l’engagement des gouvernements et le soutien des institutions internationales, l’implication des communautés locales, des ONG, du secteur privé et de toutes les composantes de la société. L’action du gouvernement sud-africain est aujourd’hui exemplaire. Il faut espérer qu’elle inspirera les autres pays. La coopération que le gouvernement d’Afrique du Sud est en train de mettre en place avec celui du Viêtnam est, à ce titre, prometteuse. En décembre 2012, les deux pays ont signé un accord pour lutter contre le braconnage et le commerce illicite de cornes de rhinocéros. Les populations locales doivent aussi être prises en compte dans le dispositif de conservation. Et leur implication est l’une des clés du succès. En Afrique, l’utilisation durable, la chasse sportive, l’activité touristique autour des Big Five – lion, léopard, éléphant, rhinocéros, buffle – représente une part non négligeable de l’économie et assure des revenus à une part importante de la population. C’est aussi le bien-être de cette population qui est en jeu.

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