Steven Pinker : « Peu de pays se sont combattus pour des ressources comme l’eau ou le pétrole »

Le spécialiste de la psychologie cognitive, Steven Pinker, défend la thèse d’une réduction de la violence et de sa moindre acceptabilité dans les sociétés modernes. À partir de données historiques, il explique dans son ouvrage La part d’ange en nous, Histoire de la violence et de son déclin pour quelles raisons et de quelles manières les comportements violents diminuent.

Comment en êtes-vous venu à constater une diminution de la violence ?

La violence décroît à différentes étapes de l’histoire. Mes conclusions se basent sur des chiffres, en regardant, par exemple, les taux d’homicide ou bien les traces des blessures sur les corps découverts par les archéologues.

Pourtant, ce n’est pas la perception qu’en a l’opinion.

Les gens ne devraient pas baser leur compréhension du monde sur les titres des journaux. La violence ne tombera jamais à zéro et les informations se focaliseront toujours sur la violence, peu importe son niveau. Les gens devraient fonder leur compréhension du monde sur les données, les faits et les tendances. Il nous faut donc plus de données, de preuves. Ce serait un progrès tant intellectuel que culturel.

Qu’est-ce qui montre le déclin de la violence ?

La violence était très présente dans les tribus avant l’apparition de l’État. Depuis le Moyen-Age, le taux d’homicide en Europe a été divisé par 50. Ensuite, la période des Lumières a rejeté les actes de cruauté comme l’emprisonnement pour dette, l’esclavage, la peine capitale pour les délits mineurs ou le bûcher pour les hérétiques. Depuis 1945, les conflits armés ont diminué. Il subsiste principalement des guerres civiles. Et, le nombre de victime des conflits a baissé.

Qu’en est-il de la tolérance ?

Les nombreuses avancées dans les droits des minorités ethniques et sexuelles accompagnent le déclin de la violence. Il y a moins de crimes de haine, moins de lynchages, moins de viols, moins de violences domestiques, moins de recours aux châtiments corporels et moins d’agressions contre les homosexuels.

Quels facteurs expliquent cette tendance ?

J’identifie plusieurs facteurs dont l’acceptation des règles du droit, le commerce, les médias et la place accrue accordée aux femmes dans les sociétés. Le philosophe Thomas Hobbes et le sociologue Max Weber expliquent que l’État prévient la spoliation, la vengeance et les meurtres grâce au monopole de la violence légitime et aux lois. Avec le commerce, acheter des choses se montre moins dangereux que de se les accaparer par la force. L’éducation et les médias aident à se comprendre et à échanger des points de vue. Il devient alors plus difficile de diaboliser les autres. Les femmes gagnent aussi en responsabilité. Or la violence se révèle, de manière disproportionnée, un phénomène masculin. Enfin, les sociétés font appel à leur ingéniosité pour trouver des solutions au problème de la violence, comme ils ont résolu, en partie, ceux de la faim et des maladies.

L’enrichissement des sociétés participe-t-il à la pacification de celles-ci?

Les sociétés les plus riches sombrent moins dans les guerres civiles. Elles éclatent dans les pays les plus pauvres du monde : le Soudan du Sud, l’Afghanistan ou la République démocratique du Congo. On constate aussi que les enfants avec une meilleure éducation ont moins de chances de se battre.

Et la technologie ?

Au XVIIIe siècle, l’imprimerie et l’éducation ont diffusé la philosophie des Lumières opposée à la cruauté. Après la Seconde guerre mondiale, l’électronique a participé à la réduction de l’oppression et des conflits. La guerre du Vietnam a été le premier conflit diffusé dans le salon des gens. Les images, diffusées quasiment en temps réel, ont donné naissance à un mouvement anti-guerre et précipité à la fin du conflit pour les États-Unis. Elles se sont aussi répercutées sur l’engagements des pays occidentaux dans les conflits ultérieurs car les gens ont vu en direct comment la guerre était violente, vicieuse et horrible.

Pour aller plus loin sur le rôle des technologies, est-ce que les énergies fossiles bon marché ont pu jouer un rôle dans la réduction de la violence, comme le charbon qui avait en son temps permis l’abolition de l’esclavage ?

Il existait des arguments moraux contre l’esclavage. Mais, les machines fonctionnant grâce au charbon ou au pétrole bon marché ont rendu moins intéressant le travail des esclaves. Cela a aidé le mouvement abolitionniste. Puis, le scénario s’est répété pour le travail des champs avec les machines agricoles qui ont remplacé les enfants qui ont alors été envoyés à l’école. Et, ensuite, l’émancipation des femmes a été facilitée par l’électrification et ses applications domestiques. Les femmes n’étaient ainsi plus contraintes de rester en permanence à la maison pour accomplir les tâches ménagères et ont consacré leur énergie à d’autres activités.

Un manque d’accès aux ressources est anticipé pour l’avenir. Ne met-il pas en péril le processus de pacification ?

L’Histoire n’est pas déterminée, elle fluctue. Des surprises désagréables sont toujours possibles comme le 11 septembre 2001, la Seconde guerre mondiale ou la recrudescence du crime dans les années 1970 aux États-Unis. Je suis cependant persuadé que la réduction systématique de la violence forme une tendance historique. Je pense aussi que la notion de ressources n’est pas pertinente car les êtres humains n’ont pas besoin de ressources mais de se nourri, de se loger, de s’éclairer et de se déplacer. Les ressources utilisées évoluent avec la technologie. Nous ne tuons plus les baleines pour nous éclairer. Nous devrions pouvoir passer des énergies fossiles à d’autres énergies. Des conflits pour les ressources s’avèrent donc très peu probables. Contrairement aux croyances populaires, peu de pays se sont combattus pour des ressources comme l’eau ou le pétrole. La source des conflits se situe plutôt dans l’idéologie, la gloire, la revanche et la peur.

Et le défi que représente le changement climatique ?

Le changement climatique ne résulte pas du manque de ressources mais de l’abondance du pétrole et du charbon. Nous avons déjà une idée des mesures à prendre. Le monde agira probablement pour prévenir le phénomène. La coopération sera la clef, car le climat, et la pollution, le trou de la couche d’ozone, le terrorisme international ou la prolifération nucléaire constituent des problèmes mondiaux. Si le monde n’agit pas alors cela entrainera beaucoup de souffrances, des famines et des migrations, mais pas forcément à des guerres. En effet, les déplacements forcés de populations n’aboutissent pas nécessairement à des guerres qui se définissent par l’attaque d’une force organisée contre une autre force organisée.

Que pouvons-nous faire pour réduire la violence ?

Au niveau international, les organisations de coopération comme l’ONU doivent être renforcées pour agir. Les sanctions économiques contre les pays auteurs d’agression, les forces de maintien de la paix qui empêchent l’escalade entre les belligérants sont de bons outils. D’une manière générale, il faut renforcer les règles et les lois contre la violence dans le monde, dans la société, dans les foyers ou au travail. La coercition n’est pas seulement une question de politique mais aussi de psychologie. Il doit être inconcevable de ne pas être puni pour avoir commis des actes violents.

Et, au niveau individuel, qu’enseigner ?

Il faut apprendre l’écoute, le contrôle de soi, et développer la capacité à résoudre les conflits par le dialogue. Il faut refuser la tyrannie de la violence. Des politiques efficaces et ciblées ont montré qu’il était possible de réduire les homicides, la criminalité et la violence dans les villes d’Amérique du Nord, centrale et du Sud. Et ce malgré l’augmentation des inégalités. Il est faux de croire que la violence est simplement le symptôme d’une société malade.

Propos recueillis par Julien Leprovost

 La part d’ange en nous, Steven Pinker; 2017, Édition Les Arènes, 1040 pages.Steven Pinker enseigne la psychologie à l’université Harvard. Ce professeur concentre ses recherche sur  la psychologie du langage et la cognition. Son ouvrage Comprendre la nature humaine a été finaliste du prix Pulitzer. Aujourd’hui, il travaille sur la diminution de la violence.

4 commentaires

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  • Extraordinaire commentaires de Pinker Stevens qui rejoint la citation de Russel Train ancien chef de l’autorité américaine de protection de l’environnement lorsqu’il déclarer des 1920 en omettant il est vrai l’eau:

     » la ressource qui ne manque le plus n’est pas de pétrole ni le gaz ni l’uranium; c’est le temps qu’il nous reste encore pour adapter nos comportements aux exigences de notre monde

    • tissier

    Au vu de ce résumé, peut être mal interprêté de ma part, drôle de facon (infantilisante) de voir la part d’ange qui est en Nous.

    Cette « gentille » vision de la réduction de la violence semblant venir d’une place confortablement installée dans « l’équilibre » instauré par un pouvoir centralisé semble ignorer fortement les dangers de cette centralisation et relativement superficielle et tronquée du réel.

    • tissier

    La violence infligée à la vie n’a jamais été aussi grande, (et les conséquences qui en résulteront)

    • David Bourguignon

    Le Pr. Pinker semble oublier que la diminution de la violence intra-spécifique (l’humain contre l’humain) s’est, et ce depuis des millénaires, accompagnée d’une augmentation de la violence inter-spécifique (l’humain contre le reste de la biosphère), au fur et à mesure que les moyens techniques de mort et d’asservissement mis à la disposition des individus progressaient.

    Certes, les humains vivront probablement un jour une forme proche de la « paix éternelle » décrite par Immanuel Kant, mais leur civilisation pacifique sera également probablement assises sur un immense tas des cadavres d’écosystèmes disparus, de tous ces non-humains qui auront eu le malheur de se trouver sur le chemin de la marche triomphale de cette civilisation.

    Est-ce la peu glorieuse perspective à laquelle nous sommes condamnés ? Une réflexion non-spéciste sur la violence humaine aurait eu bien plus d’envergure. Elle reste apparemment à mener.

Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS à propos des enjeux de la COP29 : « réduire les émissions de gaz à effet de serre est moins coûteux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord »

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