Dans son dernier livre, Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture, le journaliste Fabrice Nicolino continue à dénoncer les travers et les scandales de l’agriculture industrielle. Vouloir produire beaucoup à bas coût se fait au détriment non seulement de l’environnement mais aussi des paysans. Paru en septembre, cet ouvrage revient sur les origines de l’agriculture industrielle qui s’est développée dans la France de l’après-guerre. Il décrit comment progressivement les paysans sont remplacés par des agriculteurs. Ils sont, au nom du progrès, incités à revoir leurs pratiques pour produire plus. Ce qui conduit au final à la création d’un vaste secteur agro-industriel qui s’imbrique dans la politique industrielle et commerciale du pays, qui permet à de grandes entreprises chimiques ou automobile de trouver des débouchés.
Fabrice Nicolino revient sur la manière dont la mécanisation, la modernisation des cultures, l’essor des intrants et des pesticides ont été rendu possible. Il met en lumière la naissance puis le rôle croissant du ministère de l’agriculture, des syndicats agricoles officiels et de l’INRA. Tous assurent la promotion d’une agriculture productiviste au détriment du maintien de la paysannerie.
Aujourd’hui, selon lui, l’agriculture ne répond pas à la mission de nourrir le monde, malgré tous les progrès relatifs des rendements, la faim dans le monde perdure. Et l’agriculture est devenue une machine industrielle coupée des réalités de la terre, elle épuise les sols, empoissonne les terres, l’eau, les consommateurs ainsi que les agriculteurs et les paysans. Il détaille le cas de l’Inde. Il fustige la FAO pour avoir failli à ses engagements d’éradiquer la faim dans le monde, qu’elle réitère depuis plus de 60 ans. Il s’attarde aussi longuement dans son dernier chapitre sur le land grabbing ou accaparement des terres, dernier symptôme d’une agriculture néo-colonialisme qui favorise les plus riches au détriment des petits paysans locaux. Le land grabbing prive de terres de nombreux petits exploitants et traduit une appropriation de plus en plus croissante des terres aux mains de grandes entreprises.
Le livre montre plaisant à lire, la plume de l’auteur y est pour beaucoup. Toutefois, le choix de rédiger ce livre comme une lettre, en fait un dialogue à sens unique entre l’auteur et Raymond, un paysan fictif français de 90 ans qui a participé à toutes ces transformations, est assez étonnant. On se dit que pour écrire son histoire de la naissance de l’administration agricole française, Fabrice Nicolino aurait pu s’y prendre autrement, surtout que ce choix laisse entendre que le livre s’adresse à un lectorat déjà au fait des problèmes traités et dénoncés dans le livre. Mais, c’est sans doute pour mieux montrer que l’agriculture moderne a perdu la tête et la raison. Fabrice Nicolino espère qu’il n’est pas encore trop tard et qu’on peut encore inverser les choses, il écrit : « Ce qui a été fait peut-il être défait ? Oui, jurent quelques siphonnés, dont je suis, écrit-il. (…). Pour les besoins d’un projet industriel amoral, on a vidé des milliers de villages et rempli les banlieues de millions de prolétaires, dont beaucoup devenus des chômeurs perpétuels. (…) Mon vieux Raymond, (…) ne me dis surtout pas que tu ne regrettes rien. Moi, si. Une autre histoire était possible. Un autre monde reste à construire. »
Pour lire un extrait, tiré du 7e chapitre sur le remembrement agricole, se rendre sur le site de l’auteur –> http://fabrice-nicolino.com/?p=2038
Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture de Fabrice Nicolino, 123 pages, Editions Les Echappés, 13,90 euros.
Julien
2 commentaires
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Francis
Les paysans sont devenus agriculteurs à partir du moment où ils ont appris leur métier à l’école.
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