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Protéger la forêt gabonaise, c’est servir le pays tout entier

Marc-Ona-Essangui
Marc-Ona-Essangui
Marc-Ona-Essangui

Lauréat du Prix Goldman pour l’environnement en 2009 pour son combat en faveur de la préservation du Parc national d’Ivindo au Gabon, Marc Ona Essangui revient pour GoodPlanet Info sur les activités de son association, Brainforest, et notamment sur le rôle qu’elle a joué dans le dossier Bélinga. Ce nom désigne un projet d’exploitation minière qui prévoyait la construction d’une mine, d’un barrage, d’un chemin de fer, d’une route et d’un port en eaux profondes en plein cœur du parc national d’Ivindo au Nord-est du Gabon et à proximité des chutes Kongou – parmi les plus belles d’Afrique.

Marc Ona, vous êtes le président et le co-fondateur de l’ONG Brainforest. Avant toute chose, d’où vient ce nom, « Brainforest » ?

En anglais, « brain » signifie cerveau. C’est Giuseppe Vassallo, un ami italien aujourd’hui décédé avec qui j’ai créé Brainforest, qui a choisi ce nom. Il pensait que la forêt jouait pour la planète le même rôle que le cerveau pour le corps humain. C’est d’ailleurs lui qui est à l’origine de la création de Brainforest en 1998. Il était tombé littéralement amoureux des chutes Kongou au Nord-Est du Gabon, et c’est pour les préserver qu’il a voulu fonder Brainforest. À sa mort, en 2000, j’ai repris le flambeau. C’était aussi son souhait, que les Gabonais poursuivent son œuvre. Et aujourd’hui, notre mission et nos actions vont plus loin que la protection des chutes Kongou et de la forêt de l’Ivindo. Nous intervenons désormais dans trois principaux domaines : la gestion des forêts, l’exploitation des ressources naturelles et la gouvernance.

Gestion des forêts, exploitation des ressources naturelles et gouvernance, ce sont justement les trois composantes de l’affaire Bélinga. Pourquoi vous êtes-vous opposé à ce projet ?

En 2007, le gouvernement gabonais a conclu une convention minière avec la société chinoise CMEC pour l’exploitation d’un très important gisement de fer, à Bélinga, dans le nord est du pays. Or, ce contrat prévoit non seulement la construction d’une mine mais également un barrage, une voie de chemin de fer et un port en eaux profondes au beau milieu du parc d’Ivindo et à proximité des chutes Kongou. De tels ouvrages représentent une menace importante pour les populations locales et pour les écosystèmes et auraient des conséquences irréversibles sur l’environnement de la région. La société CMEC a d’ailleurs déjà construit une route jusqu’aux chutes Kongou, en violation totale du Code de l’environnement gabonais, permettant ainsi aux braconniers d’accéder à des zones qui étaient jusqu’ici préservées. En tant qu’ONG de protection de l’environnement, il était de notre devoir de dénoncer ces risques.

C’est donc pour cette raison que vous vous êtes battu pour obtenir la suspension du projet et la révision de la convention passée entre le gouvernement et la CMEC. Comment avez-vous fait ?

Lorsque nous avons obtenu une copie de la convention de 2007, nous avons découvert qu’aucune étude d’impact environnemental n’avait été réalisée. Ni pour la mine, ni pour le barrage, ni pour le chemin de fer, ni pour le port en eaux profondes. Les Gabonais n’avaient pas non plus été informés des conséquences du projet Bélinga, pas plus qu’ils n’avaient été consultés, comme le prévoit pourtant le Code de l’environnement du Gabon. Mais en plus, nous avons découvert que le contrat comprenait des clauses qui étaient largement plus favorables à la partie chinoise qu’au Gabon. Il était par exemple prévu que la CMEC bénéficierait d’une exonération d’impôts de 25 ans et que le Gabon ne recevrait que 10 % des profits de l’exploitation. Puis, au fil de nos investigations, nous avons appris que seuls quelques ministres avaient été impliqués dans la signature de l’accord et que la grande majorité du gouvernement, y compris le président Omar Bongo, n’en avait pas eu connaissance. Lorsque nous avons dévoilé le contenu du contrat au président Bongo, il a immédiatement convoqué tous les ministres concernés et a décidé de suspendre le projet.

Mais votre succès ne s’arrête pas là.

En effet, suite à nos efforts, le gouvernement a entrepris de renégocier le contrat d’exploitation de la mine de Bélinga dans des termes plus favorables et le 24 mai 2008, une nouvelle convention a été signée. Celle-ci prévoit notamment la création d’un Comité technique de suivi environnemental et social et a ramené la superficie de la zone qui devait être affectée à la construction du barrage de 7 700 à 600 km2. Pour nous comme pour l’ensemble de la société civile gabonaise c’est déjà une première victoire mais nous restons malgré tout vigilants.

Dans cette affaire, votre combat a donc été bénéfique pour le Gabon. Pourtant, vous avez passé treize jours en prison fin 2008 débuts 2009. Quels sont vos rapports avec le gouvernement ?

Ils sont encore loin d’être parfaits mais ils se sont légèrement améliorés. Aujourd’hui, le gouvernement ne nous considère plus uniquement comme des empêcheurs de tourner en rond. L’affaire Bélinga a légitimé notre existence à ses yeux et il a pris conscience que nous n’étions pas là pour nous opposer constamment à toutes ces décisions et que nos actions pouvaient servir le pays tout entier. D’ailleurs, nous ne sommes pas contre le fait qu’une société étrangère vienne exploiter les ressources naturelles du Gabon. Nous savons que le développement économique du pays passe par là. En revanche, nous tenons à ce que l’Etat et les populations gabonaises puissent profiter des revenus qui en découlent et que l’environnement soit correctement pris en compte et convenablement protégé.

Propos recueillis par Benjamin Grimont

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