La fondation GoodPlanet publie le 9 octobre 2014 un livre pour comprendre les enjeux du gaz de schiste. Nous en publions ici quelques extraits – ici sur le Dakota où s’est produit une ruée vers le gaz. Gaz de schiste : le vrai du faux (Éditions Delachaux et Niestlé)
Il faut se méfier des généralisations trompeuses ou des simplifications abusives. « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? », demandait le Général de Gaulle. Il en existe en fait un peu plus de 400 dans le pays. Et fort peu aux États-Unis. Mais le pays d’Abraham Lincoln est grand comme dix-sept fois la France, et il est d’une complexité et d’une diversité considérables, très souvent sous-estimées de ce côté-ci de l’Atlantique. L’écart est gigantesque entre les gratte-ciel de la métropole cosmopolite qu’est New York, les villes européanisées de la côte Est, les cow-boys ou les mormons des plaines du centre, et les villes dynamiques et bronzées de la Silicon Valley.
De la même manière, la situation est plus variée qu’on ne peut le croire en ce qui concerne les gaz de schiste. Pour en donner une idée, nous évoquerons trois régions très différentes qui recèlent chacune des gisements importants de gaz de schiste : le Dakota du Nord, le Texas et la Pennsylvanie.
Les reportages qui se sont multipliés ces derniers temps dans les médias sur le boom des gaz des schiste se sont pour la plupart intéressés au Dakota du Nord, un État américain des plaines centrales, à la frontière du Canada. Un État de tout juste 670 000 habitants et dont le surnom est Peace Garden State, « le jardin de la paix ». C’est dans son sous-sol que s’étend, pour l’essentiel, la formation de Bakken (du nom d’un propriétaire terrien), qui, avec 520 000 km2 est presque aussi large que la France métropolitaine. Des quantités considérables de pétrole y ont été découvertes dès 1951, mais, avec les techniques de l’époque, elles n’étaient pas exploitables. Lorsque la fracturation hydraulique et le forage horizontal ont été développés, les gisements sont devenus économiquement intéressants. En 1995, les réserves exploitables étaient évaluées à 150 millions de barils. En 2007, les services géologiques des États-Unis multiplièrent par 25 cette estimation pour atteindre environ 3 milliards de barils. En 2013, les mêmes services portèrent leur évaluation à 7 milliards de barils. Une étude de l’État du Dakota du Nord (qui a tout intérêt à être optimiste, même déraisonnablement), évoque même le nombre de 200 milliards de barils possibles – presque autant que les réserves prouvées, elles, de l’Arabie Saoudite. Les esprits s’échauffent !
Et les réserves de gaz sont proportionnelles. La production de gaz croît de manière presque exponentielle. Elle passe de 3 milliards de pieds cube par an en 2006 à 25 milliards en 2009, 64 milliards en 2010 et atteint en 2012 203 milliards de pieds cube.
Les chiffres sont conséquents, mais, en fait, tout cela reste modeste et correspond environ à la production du gisement de Lacq en France dans les bonnes années. Mais, comme on le voit déjà dans cet exemple, la révolution des gaz de schiste ne concerne pas seulement le gaz : elle concerne également la production de pétrole, ou d’hydrocarbures liquides appelés huiles de schiste. Ces derniers jouent parfois un rôle majeur. Et c’est le cas dans le Dakota du Nord.
Toujours est-il que cet État relativement méconnu il y a peu connaît actuellement une ruée vers l’or comme nous les racontent les romans ou les livres d’histoire. Car le phénomène n’a rien de nouveau en Amérique. L’or noir y a suscité au XIXe siècle non pas une mais plusieurs ruées. En Pennsylvanie, en Californie et en Alberta (au Canada), pour ne citer que ces trois Etats, des aventuriers ont senti l’odeur du pétrole ou du profit ; des fortunes, voire des empires se sont créés en moins d’une génération. L’histoire de Titusville, obscure bourgade de Pennsylvanie (sur la côte Est), en est l’exemple illustre. En 1850, elle comptait 243 habitants. Un jour, du pétrole y est découvert. Edwin Drake y fore le premier puits moderne avec trépan, et alors que le forage atteint la profondeur de 23 mètres, le pétrole jaillit. « Dès le premier jour, avec une production de l’ordre de huit ou dix barils, Drake multiplie la production mondiale de pétrole par… deux », raconte la légende. (Le baril est l’unité le plus couramment utilisée pour mesurer les volumes de pétrole. Il vaut environ 159 litres). Drake était plus un bricoleur qu’un homme d’affaire : il ne profitera pas beaucoup de sa découverte. C’est Jonathan Watson qui deviendra le premier millionnaire de la ville : il possédait le terrain sur lequel Drake fora son puits. C’est aussi dans cette ville que John Rockefeller, fils d’un marchand ambulant anglo-allemand, se lance dans l’extraction de pétrole. Il deviendra rapidement l’homme le plus riche de l’histoire des États-Unis. Titusville connaît un développement exceptionnel : sa population est multipliée par 40 en vingt ans et à un moment, cette petite ville concentra la plus forte densité de millionnaires du monde entier. Mais avec la fin du pétrole, Titusville retourne à sa léthargie. Sa population décline doucement depuis un siècle, et son petit musée de Drake ne donne plus aujourd’hui qu’une lointaine idée du dynamisme et de l’opulence de jadis.
L’histoire se répète aujourd’hui au Dakota. Alors que l’état somnolait à la 39e place sur 51 des états américains par son PIB par habitant, il grimpe grâce aux gaz de schiste à la 20e place en 2009, à la 10e en 2011. En 2012, le taux de croissance du PIB atteint 13,4 % ! Le chômage dans l’état descend en-dessous de 3 % ; il est depuis quelques années le plus bas de tous les États-Unis. Il y a même pénurie de travailleurs. La ruée vers l’or noir attire ainsi les journalistes : « n’importe qui peut trouver un emploi bien rémunéré dans les trois heures de son arrivée », raconte Le Figaro, par exemple : Une serveuse de la chaîne de restaurants Appelbee déclare au quotidien qu’elle gagne « 300 dollars par jour rien qu’en pourboires ». Les produits, articles et aliments s’arrachent si vite que plutôt que de réachalander ses rayons, Walmart pose désormais directement les palettes de marchandise dans les allées de l’hypermarché. Elles sont dévalisées illico. « J’ai essayé d’acheter une laitue pendant trois jours, sans succès », raconte un témoin qui ajoute : « La dernière fois que j’ai voulu faire une vidange à Watford – petite ville de l’État –, j’ai fait la queue pendant quatre heures et demie. C’est la même chose pour tous les services. La seule entreprise de nettoyage de moquette est si débordée qu’elle ne répond même plus au téléphone. »
Combien de temps durera cette ruée vers l’or ? Combien de personnes en profiteront ? Et que se passera-t-il le jour où les réserves s’épuiseront ? C’est l’une des questions les plus pressantes que pose l’exemple du Dakota du Nord. Les autorités locales ne sont pas les dernières à y réfléchir. Mais pour l’instant, personne n’a encore de réponse.
[A lire : le Texas]
[A voir : SDF et gaz de schiste au Dakota du Nord : The OverNighters]
En savoir plus : Gaz de schiste : le vrai du faux (Éditions Delachaux et Niestlé, 144 p. – 12.90 € – 125 x 185 cm)
3 commentaires
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Oskar Lafontaine
Contrairement à ce qui est écrit dans cet article, ce qui ne change rien du tout au fond, l’Alberta n’est pas aux Etats-Unis, mais bien au Canada, villes Calgary et Edmonton. Et en Alberta la ruée sur l’or noir a repris de plus belle depuis quinze ans au moins grâce (ou à cause) des sables bitumineux, qui ne sont pas extraits par des puits classiques, mais bien à la pelleteuses en surface, ce ne sont donc pas non plus des gaz ou pétroles de schistes. Les réserves se trouvent au nord de l’Alberta, du côté de Fort Mc Murray, où il fait très froid, et l’exploitation entraîne une pollution gigantesque, un gaspillage d’eau, du gaz, amené sur place pour chauffer le sable qui contient le pétrole et des rejets gigantesques de CO², mais le bilan financier de cette extraction est largement au rendez-vous.
Enfin les Etats-Unis ne sont pas, comme c’est écrit dans ce texte « six fois plus grands que la France, mais bien quatorze fois plus étendus en superficie, ce qui signifie aussi que la probabilité de découvrir des gaz de schistes ou de pétrole, en abondance en France est faible, même si forcément il y a de tels gaz, mais en quantité marginale. Trois Etats des Etats-Unis seulement sont concernés sur 51, cela déjà donne une idée. Certains en France se font beaucoup trop d’illusions. Par exemple Total, qui avait commencé à chercher de tels gaz en Pologne, y a vite renoncé.
GoodPlanet
@ Oskar, les 2 erreurs factuelles que vous mentionnées ont été corrigées, elles venaient d’une version du texte non corrigée ;((
Pour le reste, nous sommes globalement d’accord : lisez notre livre pour en savoir plus !
Cordialement
Olivier.
Nicols
Olivier de GoodPLanet devrait apprendre le français… en particulier la conjugaison