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Pour des visions réalistes de la ville durable

ville durable

© Yann Arthus-Bertrand

La ville durable suscite bien des questions sur la manière de la mettre en place. Dans cet extrait de l’ouvrage collectif « Construire plus vite la ville durable » (les éditions Eyrolles), Sébastien Maire, expert en résilience territoriale, interroge la manière de fonder la ville durable. Selon lui, elle ne doit pas se limiter aux solutions techniques, mais prendre en compte les aspirations de ses habitants et les impliquer davantage de différentes manières sans oublier les acteurs économiques afin de les accompagner dans la transition en vue de réduire leur empreinte carbone.

Depuis vingt ans, les questions de ville durable et de lutte contre le dérèglement climatique sont avant tout abordées sous l’angle des solutions technologiques, dans l’objectif d’optimiser nos fonctionnements urbains et de renforcer leur efficience pour limiter les impacts.

Depuis vingt ans, les émissions de gaz à effet de serre et les consommations d’énergie dans le monde n’ont pourtant jamais cessé d’augmenter. Même en France, elles stagnent ou s’accroissent moins vite, mais ne baissent pas.

Devant ces constats d’échec, il est nécessaire de requestionner, de remettre à jour et de rediffuser largement les fondamentaux de la ville durable, qui ne peuvent plus être ceux qu’on nous présente depuis vingt ans. Parce que l’impératif réaliste d’adaptation au dérèglement climatique s’est enfin imposé aux côtés de celui de l’atténuation du phénomène, alors qu’il était quasi absent des préoccupations de la COP 21 et des accords de Paris. Parce que la notion de résilience a fait son irruption, au fur et à mesure des crises que nous avons vécues, dans le domaine climatique et bien au-delà, dans les domaines sanitaire, économique, social, sécuritaire… rappelant que si l’enjeu carbone/climat est central, il est loin d’être le seul de la ville durable. Parce qu’il faut comprendre et admettre que le « développement durable » est un oxymore, en réintégrant dans les paradigmes et cadres logiques de l’action territoriale les notions basiques de limites physiques de la planète.

Rappelons qu’un des fondements de l’économie néoclassique qui régule le monde et la vie de nos sociétés, et le développement économique durable d’aujourd’hui, est basé sur l’affirmation suivante : « Les ressources naturelles sont gratuites et inépuisables1. »

Un développement basé sur l’utilisation de ressources « finies » ne peut évidemment pas être infini, et le cœur de l’enjeu de durabilité de nos sociétés relève aujourd’hui avant tout de notre capacité à transformer le système économique dans ses fondements mêmes. Le « verdir » ne suffira pas, et nombre de solutions présentées aujourd’hui comme des leviers clés de la transition sont en réalité incompatibles avec la réalité des enjeux physiques qui, dans tous les cas, s’imposeront. Nombre de solutions présentées aujourd’hui comme durables ont, en réalité, un bilan écologique négatif si l’on considère l’ensemble de leur cycle de vie.

Combien d’acteurs de la « ville durable » – et quelle proportion de la population ? – ont vraiment compris l’ampleur des enjeux ? Combien ont compris que le sujet ne concernait plus les générations futures, mais que nous étions déjà entièrement engagés dans une dégradation rapide et en partie irréversible des conditions indispensables à la vie humaine sur la planète ? En décembre 2020, 400 chercheurs de 20 pays ont publié une tribune2 invitant à sortir la tête du sable face aux risques d’effondrement systémique de nos sociétés, fustigeant le fait que cette question n’était abordée ni dans les médias ni dans les sphères politiques et économiques, alors qu’elle l’est de plus en plus dans les sphères scientifiques et citoyennes.

Il y a donc vraiment urgence. Et la toute première étape pour s’engager dans une démarche de transition vers des villes et des territoires durables est donc certainement de redéfinir collectivement des visions réalistes de la situation actuelle, et des visions réalistes du futur de nos sociétés. Rarement dans l’histoire de l’Humanité ont coexisté à l’échelle d’une même communauté des visions aussi radicalement opposées de l’avenir : pendant que certaines et certains croient encore que nous allons nous déplacer en voitures volantes et vivre éternellement grâce à la technologie, d’autres se construisent des bunkers en forêt en attendant l’Apocalypse. Et il existe entre les deux toutes les nuances de visions du futur, exacerbées par les réseaux sociaux qui ne diffusent pas une information à tout le monde, sujettes à d’éventuels débats ou controverses dans la société, mais uniquement les informations qui vont dans le sens de ce que pense déjà l’individu, le confortant ainsi dans ses certitudes.

L’exemple de la Convention citoyenne pour le climat est éclairant : cent cinquante citoyennes et citoyens tirés au sort ont bénéficié d’une formation accélérée aux vrais enjeux, grâce à des auditions et des échanges avec des chercheurs et praticiens. Ils et elles ont donc, logiquement, formulé des propositions compatibles avec les vrais enjeux, en particulier ceux des limites des ressources et du plafond environnemental. Des propositions « logiques » qui sont apparues « extrémistes » ou inacceptables pour une grande partie de la société, et même des acteurs traditionnels de la ville durable, parce qu’elles concrétisaient les impératifs de sobriété qui sont pourtant la seule trajectoire soutenable (rouler moins vite, réguler la publicité pour moins consommer, et même « travailler moins » avec une semaine de 28 heures, proposition qui a été écartée de justesse de la liste finale). Il y a fort à parier que si les cent cinquante avaient formulé de premières propositions avant d’avoir échangé avec les scientifiques, basées sur leur vision initiale des enjeux et de la situation, elles auraient été bien différentes.

Dès lors, ce ne sont pas tant les « solutions » pour la ville durable qui sont la priorité, que les processus collectifs d’apprentissage et de compréhension de la situation réelle, et l’évolution en conséquence de la gouvernance des projets et de la gestion des territoires.

L’ampleur des changements nécessaires est telle que seules une implication et une mobilisation de l’ensemble des parties prenantes, publiques, privées, citoyennes et scientifiques, peuvent déboucher sur la mise en œuvre concrète et opérationnelle d’actions de transition.

C’est ce partage d’un diagnostic commun tout d’abord, puis la co-construction de nouvelles trajectoires soutenables entre et par ces catégories d’acteurs, qui peuvent engager les territoires dans la transition réelle.

Bien sûr, en France, la collectivité et les élu.e.s de proximité ont la première légitimité pour réunir et organiser ce travail entre acteurs. Mais les enjeux de transition sont systémiques et, pour bon nombre d’entre eux, la collectivité seule n’a pas les compétences ou les leviers suffisants.

Considérons, par exemple, le bilan carbone d’une grande ville : il est composé aux deux tiers de son empreinte carbone, c’est-à-dire d’émissions extra muros, liées par exemple à la production des biens consommés par les habitant.e.s, mais produits ailleurs. Pour ce qui concerne les émissions directes, la mairie avec son activité quotidienne, ses agents, ses camions et ses bâtiments ne peut agir que sur 2 % des gaz émis localement. Avec son pouvoir politique, budgétaire, réglementaire… 20 % seulement. Tout le reste dépend d’autres acteurs publics, d’acteurs privés et de citoyens.

On assiste depuis quelques années à une évolution forte et positive de la participation citoyenne à l’élaboration des politiques territoriales, et c’est un atout pour engager des territoires dans la transition. Au-delà de la concertation (donner son avis sur tel ou tel projet), de la co-décision (budgets participatifs, etc.), de nombreuses collectivités proposent désormais aux habitantes et aux habitants de s’impliquer, de participer concrètement à la mise en œuvre d’actions de transition.

Végétaliser son pied d’immeuble, créer sa coopérative citoyenne de production d’énergie, récupérer l’eau de pluie, participer à des projets de rues « zéro déchet », s’impliquer dans des réseaux de soutien de proximité aux personnes âgées ou vulnérables, se former aux gestes qui sauvent, etc., sont autant d’actions dans lesquelles les habitant.e.s « font » bien plus que de donner leur avis.

Même si on peut toujours aller plus loin, les pouvoirs publics locaux et les habitant.e.s ont maintenant acquis une pratique du travail en commun, de la participation et de la coconstruction des projets et politiques, qui est sans commune mesure avec ce qu’on pouvait connaître à la fin du siècle dernier. Mais il en va différemment des deux autres catégories d’acteurs que sont les entreprises et les scientifiques.

Il est nécessaire de renforcer l’implication des acteurs économiques dans les processus de gouvernance de projets de transition, quelle que soit leur échelle. Parce que, comme évoqué plus haut, c’est bien le système économique actuel qui est la cause principale de l’émission des gaz à effet de serre et qui doit évoluer, mais il est aussi le moteur principal de financement des services publics et de la protection sociale. Les logiques de RSE sont en pleine expansion et sortent progressivement des départements marketing ou communication pour rejoindre les échelons stratégiques des entreprises.

Le mouvement des entreprises à mission est lui aussi en plein développement, mais le travail commun entre le public et le privé reste complexe, et volontairement limité par les législateurs français et européens. Sans remettre en cause les indispensables règles strictes qui encadrent les relations commerciales entre le public et privé, il reste beaucoup à inventer dans la coopération en phase amont des appels d’offres, entre les sphères publiques et économiques.

Et il est plus que jamais nécessaire de s’appuyer bien davantage sur la science, la recherche et l’expertise, pour que les concepts de la ville durable le soient vraiment.

Du Club de Rome aux premiers rapports du GIEC, ce que nous vivons aujourd’hui et qui nous interroge tant sur la façon de faire marche arrière, a été en grande partie et régulièrement décrit par les chercheurs qui alertent les sphères politiques et économiques depuis un demi-siècle… Devant la complexité des enjeux, l’expertise scientifique doit maintenant guider, irriguer beaucoup plus l’élaboration des politiques territoriales, pour que les réponses aux enjeux de court terme de nos territoires ne soient pas antagonistes avec ceux de moyen et long terme, comme c’est trop souvent le cas.

Le démonstrateur « Rêve de scènes urbaines », qui « expérimente des innovations en série pour bâtir la ville durable de demain, résiliente, frugale, bas-carbone, circulaire et inclusive », s’inscrit dans ces objectifs. Parce qu’il associe et mobilise des parties prenantes  institutionnelles, économiques et de la société civile, parce qu’il vise à identifier des solutions pour reconstruire la ville sur la ville, dans un territoire en pleine mutation, et parce qu’il a, parmi ses objectifs fondateurs, ceux de les capitaliser et de les partager largement avec les autres territoires confrontés aux mêmes enjeux, il constitue un laboratoire opérationnel qui doit nous renseigner sur les évolutions nécessaires dans la gouvernance des projets.

Élues et élus et leurs services, habitantes, habitants et leurs associations, entreprises et acteurs économiques, scientifiques et experts, doivent en effet trouver de nouvelles façons de collaborer, pour que l’indispensable transition écologique et sociale des territoires ne se trompe pas de direction et passe à la vitesse supérieure.

Pour des visions réalistes de la ville durable
Sébastien Maire Expert en résilience territoriale et délégué général de France Ville Durable
Extrait de l’ouvrage Construire plus vite la ville durable, éditions Eyrolles

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Un commentaire

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    • Nicole Grin

    Samedi 25 septembre 2021 j’étais en balade dans le vieux centre ville d’Agde ; déserté ce centre ville n’offre plus aux habitants ni commerce, ni animation,ni vie sociale ; je m’interroge sur les constructions nouvelles qui empiètent sur les terres de la périphérie et donc qui détruisent l’ écosystème et éloignent les terres à cultiver qui pourraient nourrir les habitants. Ne faudrait il pas mieux réfléchir sur des rénovations et mises aux normes des centres villes et conjointement les dotés de transports collectifs ? La ville d’Agde a mis en place des locaux ( ateliers d’artiste à petit loyer ?) mais sans habitants ils sont en train de fermer eux aussi.
    quel dommage

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