La mobilisation d’une partie des agriculteurs français contre le traité commercial entre l’Union européenne et le Mercosur et pour alerter, une nouvelle fois, sur les difficultés du secteur, remet en Une la place de l’agriculture tant dans notre économie que dans notre société. Cette crise, ou plutôt ces crises à répétition sont le « symptôme du malaise plus profond », selon l’association Bio Équitable en France qui regroupe plusieurs filières françaises (fruits, légumes, produits laitiers) autour du label du même nom. Ce dernier labelise non pas un produit mais une filière qui va de la ferme aux transformateurs en passant par le groupement de producteurs. Dans cette interview avec GoodPlanet Mag’, Cyril Moulin, président de Bio et Équitable en France et maraicher bio, expose l’analyse qu’il fait de la crise actuelle.
À Bio et Equitable en France, que pensez-vous du traité de libre-échange avec le Mercosur ?
Comme de nombreux autres acteurs du monde paysan et agricole, nous pensons que ce traité avec le Mercosur n’est pas bon sur le plan économique, social, sanitaire et environnemental. Nous y sommes opposés. Il aboutit à faire venir de l’autre bout du monde des produits qu’on peut produire chez nous. Surtout, certains pays membres du Mercosur ont des conditions de production assez peu en adéquation avec les attentes européennes en matière de protection de l’environnement et de la santé avec l’utilisation de produits interdits en Europe.
Pourquoi dites-vous que la crise provoquée par ce traité est le « symptôme du malaise plus profond » ?
Le traité fait ressortir un certain nombre de choses, mais le mal est plus profond. En France, le malaise agricole est d’autant plus ancré qu’il concerne le revenu. Le revenu d’un grand nombre d’agriculteurs, parfois très mince, dépend énormément des aides publiques. Même si ces dernières peuvent aider à mettre en place des filières, à ce qu’elles s’adaptent ou à les protéger, le principe du commerce équitable repose sur le partage de la valeur. Sa répartition permet aux producteurs de vivre de leur travail et de sa commercialisation. Il faut donc arriver à un « revenu du producteur » assuré par la vente de son produit, telle est l’idée que nous défendons avec le label Bio et Équitable en France.
« Un plan social qui ne dit pas son nom et qui va se révéler dramatique pour notre souveraineté alimentaire »
De plus, le traité avec le Mercosur remet une nouvelle fois sur la table la question des modèles de distribution et leurs répercussions sur le monde agricole. Il faut savoir que le nombre de paysans diminue en France. Il ne reste que 400 000 exploitations en France. C’est un plan social qui ne dit pas son nom et qui va se révéler dramatique pour notre souveraineté alimentaire. Or, la viabilité actuelle du monde paysan dépend de ses circuits de distribution. Pour ma part, étant près de Lyon qui est un grand bassin de consommation, je peux m’en sortir. Ce n’est pas le cas de tout le monde.
« En France, le malaise agricole est d’autant plus ancré qu’il concerne le revenu. »
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Quel regard portez-vous la mobilisation actuelle des agriculteurs ?
Il y a une grande diversité dans la mobilisation. Nous sommes d’accord sur la nécessité de défendre le revenu. Le problème réside dans le fait que les solutions proposées ne répondent pas aux problèmes de fond du métier. Il demande beaucoup de temps de travail dans des conditions difficiles sans pour autant garantir de vivre décemment. On ne peut plus s’entendre dire que ce qu’on produit ne vaut rien. Le prix des produits agricoles est devenu la variable d’ajustement des filières. Humainement, ce n’est pas acceptable, ce qui alimente la colère.
« Le prix des produits agricoles est devenu la variable d’ajustement des filières. »
Expliquez-vous la crise actuelle par la volonté de maintenir une agriculture productiviste en dépit de ses limites bien connues ?
Pendant longtemps, le modèle productiviste a été présenté comme le seul permettant aux agriculteurs de s’en sortir. On voit pourtant que les crises succèdent aux crises. Le problème devient structurel. La loi EGALIM est supposée permettre que le coût de revient à la ferme soit respecté et intégré au prix de vente, ce n’est malheureusement pas encore le cas.
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Il faut sortir du mythe de l’agriculture productiviste qui nourrit le monde car il perturbe certains équilibres. Par exemple, il permet des exportations à bas coût vers les pays en développement, ce qui bouleverse leur système agricole et alimentaire. Ce mythe repose aussi sur les produits phytosanitaires dont l’impact sur la santé et l’environnement est de plus en plus documentée.
« Il faut sortir du mythe de l’agriculture productiviste »
Le label Bio et Équitable en France veut défendre une agriculture bio durable et éthique en France afin de réduire l’impact de la production alimentaire. La crise du Covid puis celle de l’énergie ont montré que certains modèles agricoles, moins dépendant des intrants et de l’énergie, sont plus résilients. C’est vers ceux-là, moins tournés vers le productivisme à tout va, qu’il faudrait se diriger.
Que peut faire le consommateur ? Comment le convaincre de payer un peu plus cher ?
Par son acte d’achat, le consommateur participe au maintien des filières. Les jeunes consommateurs y sont sensibles bien qu’ils ne disposent pas toujours du pouvoir d’achat suffisant.
« Les coûts induits par l’agriculture industrielle sont énormes »
Plus généralement, je voudrais préciser que ce qu’on ne paye pas d’un coté on le paye de l’autre. Par exemple, à propos de l’eau, il est de plus en plus difficile et coûteux pour les organismes en charge de l’eau potable d’en assurer la qualité en raison notamment des pesticides et des engrais utilisés depuis des années. Donc, payer quelques centimes de plus pour des carottes cultivées sans désherber chimiquement peut éviter certaines charges lourdes payées derrière par la collectivité. Les coûts induits par l’agriculture industrielle sont énormes en matière d’environnement, de qualité de l’eau ou bien de santé. Payer un peu plus cher à la base pour une alimentation à moindre impact sur l’environnement et la santé pourrait ainsi se révéler pas si cher que ça au final si on faisait une étude coûts-bénéfices.
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Enfin, en filagramme de la crise actuelle, le sujet de la concentration des exploitations, voire de leur industrialisation, et de la baisse du nombre d’agriculteurs apparait. Dans un tel contexte, comment convaincre des jeunes ou de reprendre des fermes ? et d’aller vers des filières vertueuses ?
La difficulté n’est pas que plus personne ne veut faire ce métier, mais qu’il est de plus en plus compliqué de trouver des exploitations à reprendre. Les fermes sont devenues trop grandes, ce qui représente des capitaux trop importants à investir pour s’installer. Ou alors, elles ont des pratiques à revoir, ce qui rend l’installation d’autant plus ardue pour se tourner vers le bio, par exemple. C’est pourquoi la maitrise du foncier est un enjeu vital afin de veiller à ce qu’il reste des fermes reprenables dont les coûts ne soient pas démesurés par rapport à ce qu’il est possible d’attendre du métier en termes de revenus.
« Veiller à ce qu’il reste des fermes reprenables dont les coûts ne soient pas démesurés par rapport à ce qu’il est possible d’attendre du métier en termes de revenus. »
Avez-vous un dernier mot ?
Malgré le contexte pas évident, nous rencontrons de nombreux jeunes passionnés par le métier. Il faut leur donner une vision d’avenir différente de ce qu’on voit aujourd’hui avec les controverses sur les normes. Au vu de l’état de l’environnement, elles sont nécessaires, en revanche leur application avec beaucoup de bureaucratie et de distance mérite d’être questionnée. Car, le métier de paysan ou d’agriculteur est magnifique lorsqu’il est possible de l’accomplir à une taille humaine.
« Le métier d’agriculteur est magnifique lorsqu’il est possible de l’accomplir à une taille humaine »
Propos recueillis par Julien Leprovost
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